– Dès le samedi 24 janvier, dans un article de Catherine Rollot intitulé « Universités : appels à la grève contre le statut des enseignants chercheurs », la cause est entendue : Le Monde n’entend qu’une « grogne » et ne perçoit qu’une « fronde ».
- Le 24 janvier donc, grâce à la plume de Catherine Rollot, nous apprenons ceci : « La grogne monte dans les universités ]. Et le même article de distinguer, d’une part des « objectifs » (« Le décret s’inscrit dans une réforme globale de l’université dont l’un des objectifs est de mieux encadrer les étudiants ») et de l’autre une « fronde » à maîtriser (« Pour tenter de contenir la fronde […] Valérie Pécresse a concédé des aménagements […]. »)
- le 28 janvier, le supplément Le Monde de l’éducation, évoquant « le grand saut périlleux dans l’autonomie », identifie déjà des « crispations », et concède même d’« éventuelles insuffisances, voire des inconvénients » dans la loi d’autonomie. Mais pas de panique : on fera le point, nous dit-on, dans cinq ans.
- le 31 janvier, une brève indique que le décret est envoyé au conseil d’Etat, alors que la première coordination nationale a réclamé son retrait pur et simple, faute de quoi elle appellera à la grève illimitée. Mais la vision du Monde est plus optimiste, le gouvernement ayant apporté « une précision destinée à rassurer la communauté universitaire. »
- Le 3 février, dans un portrait d’Olivier Beaud signé Catherine Rollot, et délicatement intitulé « Dans la rue, malgré lui », on précise que « son exaspération n’a rien d’un coup de sang. » Une colère réfléchie ? Et notre portraitiste de s’interroger : « Sa révolte ne serait-elle qu’un réflexe de mandarin ? Une réaction de défense corporatiste ? » Difficile à croire d’autant qu’Olivier Beaud « réfute toute trace d’aigreur ou de nostalgie dans son engagement ». Précisions qui permettent tout de même de les suggérer.
– Le 5 février, a lieu la première journée nationale d’action contre la réforme. Mais Le Monde n’attend pas…
- Le 4 février, dans un article qui paraît dans l’édition du lendemain, Catherine Rollot parvient « au cœur de l’agitation » : c’est « l’évaluation », bien entendu. Car la modulation « n’est possible que si leur travail est soumis à évaluation individuelle. Une notion qui suscite de fortes réticences dans le milieu universitaire ». Réticences dont le lecteur devra imaginer les causes ou les raisons tout seul, car l’article est entièrement consacré au système actuel « d’évaluation ». Il pourra à cette occasion tenter de s’expliquer les « réticences » d’un « milieu » à une « notion » qu’il pratique déjà [1]
- Dans l’édition datée du 5 février toujours, sous le titre « Quand les dossiers de M. Darcos et Mme Pécresse agrègent les contestations », Le Monde nous propose un « éclairage » mémorable de Luc Cédelle, illuminant le visage de « Mme Pécresse » tentant sans succès « d’arrondir les angles », face à « ses détracteurs (qui) durcissent leur position » .
– Le 10 février se tient une nouvelle journée de mobilisations. Mais Le Monde n’attend pas.
- Le 9 février, dans un article qui paraît dans l’édition du 10 février, en page 11, Le Monde renouvelle son vocabulaire, puisqu’il coiffe un article titré « Enseignants-chercheurs : la fronde s’étend », d’un surtitre novateur : « Le gouvernement fait face à une grogne qui touche les facs les plus conservatrices comme les plus remuantes ».
- Dans cette même édition, la « chronique » de Gérard Courtois consacrée à « La fracture universitaire » relève d’abord des « propos rageurs », la « hargne » des chercheurs en colère, alors que, note-t-il malicieusement, quand on écoute Valérie Pécresse, « on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. » Comment expliquer ce décalage ? Répugnant à mettre en cause l’ingénuité de la ministre, il pense d’abord avoir affaire à des « excités d’extrême gauche ». Même si « l’argument plaît à droite », il convient qu’il « ne fait pas long feu. » « Corporatisme », alors ? Et quoi d’autre ?! « Cet argument-là est plus embarrassant. » Mais c’est surtout, nous apprend-il, l’histoire d’une « fracture entre deux modèles […] un affrontement entre deux philosophies » : « entre une logique ouvertement libérale et une tradition républicaine qui est tout sauf irréprochable. » Une chronique irréprochablement libérale ?
- Le 11 février, Mme Rollot nous informe que « Valérie Pécresse nomme une médiatrice », mais elle craint que cela ne suffise pas : « il faudra donc qu’elle aille plus loin pour avoir une chance d’être comprise de ceux qui veulent encore entendre parler du décret. » Inutile d’envisager l’hypothèse saugrenue selon laquelle les opposants auraient très bien compris la ministre et sa « réforme ».
- Le 13 février, le Monde s’inquiète, et annonce en « Une » : « Affaiblis, plusieurs ministres s’essoufflent ». Dans ce numéro, un article inoubliable de Luc Cédelle plaint les ministres confrontés à des « perceptions » impossibles à « enrayer », et déplore la « cruauté » des contestataires.
- Le 14 février, une fois de plus, en page 10, un titre condense les « mobiles » de la contestation : « Universités, organismes de recherche, enseignement scolaire : la grogne se propage ». Et le sous-titre complète ce diagnostic en adoptant le point de vue des thérapeutes du gouvernement : « La désignation d’une médiatrice sur le dossier des enseignants-chercheurs n’a pas l’effet apaisant escompté » – et sans préciser, ni ce jour, ni les suivants, que cette apaisante médiatrice était la directrice de la commission de suivi de la LRU. Mais il y a plus grave : « La plus mauvaise nouvelle, pour le ministre de l’éducation Xavier Darcos et la ministre de l’Enseignement Supérieur Valérie Pécresse, a été le durcissement de la Conférence des Présidents d’Universités à leur égard ». « Durcissement » qui ne saurait être imputé aux ministres, toujours prêt à tendre la main « pour tenter de renouer le dialogue », à la différence des opposants durcis qui réclament des négociations, mais sur de tout autres bases. Et ce n’est pas fini, car « les membres des organismes de recherche se mobilisent eux aussi » en raison sans doute d’une mauvaise analyse de la situation : « ils s e jugent menacés par le projet gouvernemental de restructuration de la recherche publique » (dont on ne dira pas un mot). Une mauvaise perception… et un peu de mauvaise humeur : « leur mécontentement se nourrit de l’onde de choc du discours [de Nicolas Sarkozy] ».
- L’édition du 15-16 février indique en une que « le gouvernement lâche également du lest sur la formation des enseignants ». Face au durcissement tous azimuts de ses opposants, le pouvoir n’en finit pas de s’amollir : « l’Elysée annonce de nouvelles pistes », ce qui cacherait un « recul probable ». Le Monde s’inquiète d’un « nouveau coup de canif au projet de réforme du statut des enseignants-chercheurs », et d’une autre « concession » (le report au 31 mars de la remise des maquettes des masters d’enseignement, quand le mouvement réclame unanimement le report de cette réforme à l’année suivante, et majoritairement son retrait pur et simple).
- Le 19 février, Le Monde publie son « dossier spécial », dans lequel figurent huit tribunes d’universitaires opposés aux projets gouvernementaux. Les annonces de « Une » ne s’écartent guère des présupposés jusqu’ici en vigueur : « Les universitaires face à la réforme / Les raisons de la colère / Les chercheurs ulcérés / Comment sortir de l’impasse. » Présupposés largement développés dans une « analyse » impérissable de Catherine Rollot, disséquant l’« hypersensibilité du milieu universitaire ».
- Le 21 février l’espoir renaît : « Les Présidents d’Université posent leurs conditions pour sauver la réforme », bien que dans le dernier paragraphe de l’article l’on apprenne avec un peu d’angoisse que « les opposants les plus farouches aux réformes ne désarment pas. »
– Le 26 février se tient une nouvelle journée de mobilisation. Mais Le Monde n’attend pas…
- Le 26 février, dans un article qui paraît dans l’édition datée du 27 février à la « Une », Le Monde annonce que « le gouvernement jette [une nouvelle fois…] du lest », et rapporte que l’ouverture vient cette fois de « M. Fillon » qui « fait un geste pour tenter de renouer le dialogue ». Le Monde qui s’envole dans la montgolfière gouvernementale parvient malgré tout à distinguer encore un « autre point de crispation » (la réforme de la formation des enseignants), et s’interroge gravement : « tous ces gestes suffiront-ils à sortir de la crise ? »
- Le 28 février, un article indique en sous-titre : « si la mobilisation a semblé marquer le pas , jeudi 26/02, de nouvelles journées d’action sont prévues les 5 et 10 mars ». Le corps du texte évoque quant à lui des « cortèges sensiblement moins nombreux ». Mais « en conclure que le mouvement aurait déjà amorcé sa décrue serait toutefois aventureux », poursuit l’auteur, signalant au passage que certaines universités sont en « vacances scolaires ». « Conclure » à la décrue du mouvement, peut-être, mais pas l’évoquer en titre.
- Et dans l’édition du lendemain (1er-2 mars), l’heure est presque à l’euphorie : « le gouvernement confiant sur l’issue du conflit » [2], et « après sept heures de discussions, [les 3 syndicats] se disaient satisfaits ». Certes, il reste un souci : le Snesup (syndicat majoritaire), qui « boude les négociations ». La veille, Le Monde nous avait déjà alertés sur le manque de civilité de ce syndicat boudeur qui avait « déclin[é] l’invitation à négocier de Valérie Pécresse ». Mais tout devrait rentrer dans l’ordre, le gouvernement cherchant à « rétablir le contact. »
– En tout cas, Le Monde ne cherchera pas à troubler ce climat d’« apaisement », puisque pendant une semaine son édition papier, à l’exception d’une « brève » qui, le 3 mars, signale de « nouveaux appels a manifester », ne consacre plus d’articles au mouvement en cours…
… Alors que le 5 mars a lieu une nouvelle journée de mobilisation.
- Le 8-9 mars, Le Monde annonce fièrement un « compromis entre Valérie Pécresse et quatre syndicats sur le statut des enseignants-chercheurs », en rejetant dans un encadré la seule mention de la manifestation de la semaine. Catherine Rollot présente le compromis comme un « savant mélange de reculs, d’avancées et de statu quo [qui] devrait satisfaire une partie de la communauté universitaire », et distribue les points : un bon pour le « gouvernement » (« en réussissant à faire passer l’idée d’une évaluation obligatoire et régulière, le gouvernement marque là un point »), un mauvais pour… « les universités » (en ce qui concerne les promotions) : « cette nouvelle version se fait au détriment des universités . La première mouture du projet leur accordait en effet le pouvoir de décider de 100% des promotions. »
- Le même jour, Le Monde publie également un récapitulatif révélateur que voici
« Les étapes du conflit
- 31 octobre 2008 : Valérie Pécresse divulgue son projet de révision du statut des enseignants-chercheurs.
- 2 février 2009 : La coordination nationale des universités appelle à une grève illimitée dans toutes les universités.
- 5 février : Première journée nationale d’action contre la réforme.
- 9 février : Une médiatrice, Claire Bazy-Malaurie, est nommée.
- 10, 19, 26 février et 5 mars : Journées de mobilisation.
- 13 février : Nicolas Sarkozy demande que « soient rapidement explorées de nouvelles pistes ».
- 25 février : François Fillon annonce qu’aucune suppression d’emplois n’aura lieu en 2010 et 2011 dans les universités.
- 27 février : Première rencontre entre les syndicats et Mme Pécresse pour dénouer la crise.
- 3 et 6 mars : Poursuite des négociations »
Un historique qui observe le mouvement à la jumelle depuis le toit de Matignon : sur les neuf « étapes » retenues, cinq concernent les « gestes » du gouvernement, quand les quatre manifestations (qui semblent indiquer assez clairement la réaction du mouvement à ces « gestes ») sont réduites à une seule étape, déjà dépassée par la « poursuite des négociations ». Nul doute qu’un historique qui aurait tenu compte du point de vue des acteurs du mouvement aurait autrement mis en valeur ces « journées de mobilisations », fait place à certaines prises de position de personnalités ou d’institutions (CPU, Académie des sciences, Institut universitaire de France…), et n’aurait pas retenu comme dernières étapes des déclarations officielles aussi marquantes que celle de Nicolas Sarkozy appelant à explorer de « nouvelles pistes », ou des négociations avec des « syndicats » minoritaires.
- Le 11 mars, l’éditorial du supplément Le Monde de l’éducation s’effraye d’un « recul à marche forcée » et d’une « Berezina ». Mais rend hommage à la ministre : « A force de patience et de diplomatie , fait d’un savant dosage de reculs et d’avancées, Valérie Pécresse semble proche du cessez-le-feu avec la communauté universitaire ». Puis Luc Cédelle et Catherine Rollot s’attaquent en ophtalmologistes au « Budget des universités. Les Milliards sont là, mais tout le monde ne les voit pas ». Tout l’article consiste à rendre compte des annonces du gouvernement et d’y opposer les « perceptions » divergentes de la communauté universitaire, en se gardant bien de fournir un « point de vue extérieur. Méthode que résume admirablement la conclusion de l’article qui détaille les « milliards supplémentaires » annoncés dans le plan de relance, avant de poser la bonne question : « seront-ils considérés comme fictifs ? »
- Le 13 mars, Le Monde est de plus en plus perplexe. En effet, contre toute attente, annonce-t-il en « Une », « le gouvernement ne parvient pas à dénouer la crise. » « Malgré les annonces de François Fillon [...] entre 30000 et 60000 manifestants ont encore défilé dans toute la France », et « la situation se radicalise dans les universités », regrette le quotidien qui a publié la veille une brève intitulée : « Universités : violences et blocages. » Comme preuve de cette radicalisation, il « cite » (pour la troisième fois) la Coordination nationale des universités qui « réclame le retrait du projet et l’abrogation de la LRU » – ce qu’elle fait depuis le 20 février.
En page intérieure, Philippe Jacqué se propose d’expliquer – c’est le titre – « Pourquoi le gouvernement ne parvient pas à calmer la fronde ». « Malgré des discussions tous azimuts », s’étonne-t-il, la mobilisation ne faiblit pas. Et plutôt que d’exposer les motifs rationnels (bien qu’ils soient évidemment discutables…) d’une contestation généralisée (irréductible par conséquent à une simple « fronde »), l’« analyste » du Monde, adoptant le point de vue d’un conseiller du gouvernement qui s’interrogerait sur son impuissance, tente de comprendre : « Un simple problème de méthode ? Une mauvaise lecture de l’état d’exaspération de la communauté universitaire ? […] François Fillon pensait avoir trouvé la clé [...] il avait réussi à regagner la confiance des Présidents d’Université et de la majorité des syndicats les plus modérés […] Comment expliquer qu’en multipliant les réunions sur les sujets qui fâchent et en cédant chaque jour un peu plus aux demandes syndicales, le gouvernement n’arrive pas à sortir de la crise ? » Est-il si difficile à concevoir qu’en cédant « chaque jour davantage » à une « majorité de syndicats » minoritaires, dont la moitié était déjà favorable au premier projet de décret, le gouvernement n’utilise peut-être pas la bonne « clé » ?
A suivre…