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Mobilisés contre les « réformes » gouvernementales, vous êtes nombreux – étudiants, enseignants, chercheurs, personnels administratifs, personnels techniques [2] – à vous indigner de la façon dont la plupart des grands médias maltraitent votre action, vos positions et vos revendications. Nous partageons, évidemment, cette indignation.
Les chaînes de télévision et les stations de radio diffusent une information raréfiée et anecdotique qui permet d’autant moins de comprendre les motifs et les objectifs de votre mouvement que cette information est biaisée par une interrogation non sur la politique du gouvernement, mais sur son comportement et sa stratégie de « communication ». Quant à la presse écrite, politiquement divisée, la qualité de l’information qu’elle diffuse est généralement proportionnelle au soutien que tel ou tel journal vous accorde. Aussi est-ce Le Monde qui, parce qu’il entretient une réputation illusoire de « référence » et de « neutralité », s’attire les critiques les plus vives ; des critiques qui prennent notamment appui sur un article publié sur le site de notre association : « Le Monde et le mouvement universitaire »
Nous ne prétendons nullement dicter le bon usage des articles que nous publions. Et si ceux-ci alimentent éventuellement des prises de position que nous ne partageons pas ou pas complètement, au moins contribuent-ils à ouvrir le débat. Ainsi, nous n’avons jamais demandé le boycott d’un quelconque média. Tout simplement parce que ce n’est pas tel média particulier qui est en question, mais bien l’ensemble du paysage médiatique et du traitement des informations. C’est donc moins d’une « Charte de bonne conduite vis-à-vis du journal Le Monde » dont nous avons besoin [3] que d’une « Charte de bonne conduite à l’égard des médias ».
Une telle charte devrait reposer sur un triple engagement :
1. Pour une critique publique des médias
Au nom des exigences de la recherche, il est de bon ton, parmi nombre de chercheurs, particulièrement en sciences sociales, de tenir en suspicion une critique des médias qui, sans déroger à des règles de rigueur et d’exactitude, ne craint pas de transgresser les limites de la bienséance académique et de descendre dans l’arène : une critique qui ne se protège pas en se bardant, au nom de la science (magiquement opposée à l’engagement politique), de précautions souvent plus opportunistes que méthodologiques.
Si certains d’entre vous appuient aujourd’hui cette critique corrosive - la nôtre, en l’occurrence - parce qu’elle concerne leur mouvement, pourquoi ne le font-ils pas à d’autres moments et à d’autres propos ? Les enseignants-chercheurs sont dans la rue ? Fort bien. Et si la critique sociale et particulièrement la critique des médias y descendaient aussi ? Cela ne nuirait en rien à la qualité des publications proprement scientifiques. A moins que le souci de la respectabilité académique et de la notoriété médiatique ne l’emporte sur toute autre considération…
2. Pour d’autres relations avec les médias
Sous couvert de débat démocratique, il est admis comme allant de soi que l’on doive se prêter à son simulacre, en occupant les strapontins qui sont réservés aux contestataires dans les pages des tribunes libres et les médias audiovisuels.
N’existerait-il donc que cette alternative : le boycott impuissant ou la participation complaisante ? Faut-il se résigner ou bien à se taire ou bien à accepter de s’exprimer à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions ?
Par temps de mobilisations sociales, faut-il consentir, dans l’espoir illusoire de faire passer un message significatif en quelques secondes, à se laisser traiter en simples passants pour « micros-trottoirs » ? Faut-il accepter, sous couvert de transparence, d’attribuer aux journalistes un droit d’ingérence sans limites dans les délibérations démocratiques d’un mouvement et un droit de sélection de ses porte-paroles ? Et de façon plus générale, faut-il accepter de jouer les figurants dans des « talk-shows » dont les modalités désamorcent par avance toute possibilité de vrai débat ? Faut-il contribuer à vernir de légitimité démocratique des journaux qui combattent jour après jour les opinions et les savoirs que l’on cherche à partager ?
Plutôt que de se laisser séduire par des opportunités ponctuelles (quitte à se plaindre le lendemain de sa naïveté de la veille), voire de concourir dans la foire aux vanités individuelles, ne vaut-il pas mieux, amis des Universités, faire émerger un intellectuel collectif qui soumettrait les médias à son examen et saurait poser quelques exigences des acteurs mobilisés et des chercheurs spécialisés avant d’intervenir dans les médias ; un intellectuel collectif qui s’efforcerait de définir, avec les journalistes qui comprennent cette nécessité, les conditions de débats effectivement pluralistes ?
3. Pour d’autres médias
Au nom d’autres priorités ou d’urgences plus pressantes, la question des médias est souvent considérée comme subalterne ou, au gré des questions sociales et politiques à l’ordre du jour, réduite à un problème de choix entre les médias eux-mêmes.
Une critique conséquente des médias ne peut se borner à faire le tri entre les « bons » médias qui soutiennent la contestation en cours et les « mauvais » qui la combattent, et préconiser le boycott des seconds… quand la plupart pourraient être mis en accusation en d’autres occasions ou sur d’autres sujets. Boycotter Le Monde pour soutenir Libération ? Comme s’il ne s’agissait que de préférer un parti-pris à un autre… N’y aurait-il donc que cela à dire ou à faire ?
Qui ne voit que c’est l’ensemble de la couverture des questions sociales et des mobilisations qui, en tenant compte des différences observables entre les médias et selon les sujets, doit être contesté ? Question de cohérence, mais aussi de solidarité, du moins si l’on ne veut pas s’en tenir à des critiques occasionnelles et sectorielles, voire corporatives.
Qui ne voit que c’est l’ensemble de l’ordre médiatique et des conditions d’activité des journalistes qui est en cause ? C’est cette question qui - avec les journalistes et leurs syndicats, avec les médias associatifs, avec les syndicats, les collectifs, les associations - doit être à l’ordre du jour. Une question politique, donc, au même titre que celle de l’avenir de la Recherche et de l’Université.
Acrimed, le 6 avril 2009.
P.S. (8 avril 2009). À lire, sur le site « Universités libres », à la suite de la repoduction de cette « Lettre ouverte », les intéressants commentaires de Jérôme Valluy. Une discussion à poursuivre...