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Hadopi contre le droit d’auteur des journalistes

par Marie-Anne Boutoleau,

Le projet de loi dit Hadopi, qui a été repoussé il y a peu par l’Assemblée nationale dans des conditions rocambolesques, repassera devant la chambre à la fin du mois et a de fortes chances d’être voté. Or, il contient un amendement qui attaque frontalement le droit d’auteur des journalistes, alors même que les défenseurs de la loi prétendent défendre celui des artistes. Paradoxe ? Pas tant que ça : dans les deux cas, il s’agit de protéger le droit des grands groupes, qu’ils soient éditeurs de presse, majors musicales ou relèvent de l’industrie du cinéma, au détriment des soutiers de l’information et de la culture : journalistes et artistes.

Droits d’auteurs des journalistes…

Dès le premier examen du projet de loi dit « Hadopi », des syndicats de journalistes nous ont alertés sur le danger que faisait peser un amendement sur leur droit d’auteur. Nous avions par exemple publié le communiqué du SNJ-CGT – « Albanel et Kert aux ordres des patrons de presse » : « Le gouvernement et sa majorité viennent de porter atteinte au statut du journaliste et de le dénaturer. Au cours du débat sur la loi Internet et Création, un amendement était soumis au vote visant à régler le problème de la cession des droits d’auteur des journalistes dans l’environnement numérique. Monsieur Kert, député UMP des Bouches-du-Rhône, se faisant le relais des revendications patronales a présenté un sous-amendement qui modifie le code du travail et le statut du journaliste. [...] Le sous-amendement de Monsieur Kert introduit un nouvel article dans le code du travail, L.7111-5-1, qui dit : "La collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l’ensemble des supports du titre de presse tel que défini au premier alinéa de l’article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle, sauf stipulation contraire dans le contrat de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle". Alors que le code du travail prévoit que le journaliste est employé par un titre, le nouvel article permet à l’employeur de lui imposer de travailler sur l’ensemble des supports. Les patrons pourront imposer aux journalistes de travailler indistinctement pour un titre, pour le site Internet, la radio, la chaîne de télévision, etc. »

Autrement dit : au lieu d’être payés, comme c’est le cas aujourd’hui, à chaque publication d’un même article sur un nouveau support, les journalistes ne seront payés qu’une fois et tous les titres de presse du groupe pour lequel ils travaillent pourront réutiliser à leur guise leurs papiers. De plus, les journalistes perdront tout droit de regard sur la reproduction de leurs articles dans les médias d’un même groupe, dès lors qu’ils ont écrit pour l’un d’eux, alors qu’en principe leur accord est requis en pareil cas. De même, en principe et jusqu’à ce jour, la publication non autorisée par son auteur et non rémunérée d’un article par un titre de presse d’une part relevait de la contrefaçon, d’autre part constituait une atteinte au code du Travail s’il était le fait d’une entreprise de presse.

Ce projet d’amendement est donc d’une atteinte avérée au droit d’auteur des journalistes, sous ses deux aspects : financier et moral. Son adoption et son application ne profiteraient qu’aux grands groupes de presses soucieux de faire des « économies d’échelles » en mettant en place des « plateformes multimodales » et en pressurisant encore plus la « masse salariale », dans une profession déjà très précarisée.

Cet amendement remet même en cause le compromis – discutable – adopté par les Etats généraux de la presse écrite, dominés pourtant par les patrons de presse. C’est ce que souligne notamment un communiqué du SNJ, publié le 29 avril 2009, dans lequel – sous le titre « Droits d’auteur : un nouveau coup de Jarnac » - on peut lire notamment : « Le projet de loi « création sur Internet », qui revient devant les députés ce mercredi 29 avril, comporte un article sur les droits d’auteur des journalistes. Ajouté à l’issue des États généraux de la presse écrite, ce texte est censé reprendre le contenu du « Blanc ». Un document élaboré par des représentants des journalistes et de la plupart des organisations d’éditeurs, au terme d’un long travail de réflexion et de concessions réciproques. Les États généraux, où siégeait une écrasante majorité de patrons de presse, ont validé ce « Blanc », souligné le consensus dont il fait l’objet, et conclu à la nécessité d’en préserver strictement les principes dans toute réforme législative à venir. Le Président de la République a fait le même constat et exprimé le même souhait dans son discours de clôture. Alors que le précédent passage du projet de loi devant les parlementaires avait conservé les principaux équilibres du « Blanc », ceux-ci sont remis en cause à l’occasion du retour du projet de loi devant les députés. »

… et droit des industries de l’information et de la culture

Dans le même temps, le même projet de loi entend sanctionner les internautes qui, en « piratant » films ou morceaux de musque sur le Net, empêcheraient la juste rémunération des artistes, se rendraient coupables de contrefaçon et porteraient donc gravement atteinte à leur droit d’auteur, là aussi tant du point de vue financier que moral. Or, comme l’ont montré nombre d’analystes, comme l’ont souligné les cinéastes qui se sont élevés contre se projet de loi et un certain nombre d’artistes dans le domaine musical, comme nous l’avons nous-mêmes déjà expliqué, ce projet répond avant tout à un souhait des majors et des grosses entreprises de l’industrie du cinéma de se faire encore plus d’argent sur le dos de leur public et sur celui des artistes. En effet, ces entreprises constituent l’un des principaux obstacles à une juste rémunération des artistes, qu’elles cherchent à payer le moins possible, se faisant de confortables marges sur les ventes de disques dont elles touchent la grosse majorité des revenus.

La défense du droit d’auteur ne serait-il au fond qu’un prétexte ? Car dans les deux cas, il s’agit de la même logique : on enrichit de gros groupes privés au détriment de leurs salariés, tout en privatisant un espace perçu comme peu soumis à la sphère marchande, en tout cas dans les domaines de l’information et de la culture.

Alors que les tenants et les aboutissants de l’apparition d’Internet et de son poids grandissants sur les marchés de l’information et de la culture sont encore mal évalués et mal évaluables, ce n’est pas en réprimant ses usagers qu’on va répondre aux problèmes soulevés par cette mutation. Ce n’est pas non plus en précarisant les employés des entreprises de presse qui s’y déploient ou en imposant des lignes éditoriales à ces médias qu’on résoudra le problème de ce qu’il est habituel d’appeler « la crise de la presse ».

Internet introduit de nouveaux usages, de nouveaux rapports aux produits culturels et à la propriété intellectuelle. La défense conjointe des droits légitimes des journalistes et des artistes passe par la remise en cause de la course aux profits des industries dont ils dépendent. Si de nouvelles formes de financements doivent être inventées, ce ne peut être ni aux détriment de la majorité des journalistes et des artistes, ni en pourchassant les internautes.

 
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