Jean-Michel Aphatie : « C’est pas trop violent, “des chiens” ? »
Le 13 mai 2009, Jean-Michel Aphatie interroge Olivier Besancenot. La vidéo sur le site de RTL porte pour titre alarmant, une citation qui sortie de son contexte ne veut rien dire : « Olivier Besancenot : "Les conflits sociaux pourraient très mal finir" » [1].
Sur les quinze questions ou interruptions de Jean-Michel Aphatie, onze portent sur les mots et actions qui, à ses yeux, méritent seuls d’être qualifiés de « violents ». Faut-il rêver d’une telle proportion quand il interrogera les patrons licencieurs ou la Ministre de l’intérieur ?
Les premières questions concernent les élections européennes : leurs enjeux politiciens et non leur contenu politique [2].
Les réponses ne semblent pas intéresser Jean-Michel Aphatie. Les onze questions ou interruptions qui suivent porteront exclusivement sur ce que Jean-Michel Aphatie appelle la « violence ».
- Jean-Michel Aphatie : - « Vous parlez beaucoup de la situation sociale, Olivier Besancenot. La société Caterpillar a confirmé son plan de licenciement dans son usine de Grenoble : 733 personnes sont concernées. Lundi en meeting à Vénissieux, vous avez dit, Olivier Besancenot, "les patrons de Caterpillar sont des chiens." Tous les mots peuvent-ils être utilisés dans le débat public ? »
- Olivier Besancenot : « Je le pense. »
- Jean-Michel Aphatie : « Vous le pensez ? »
- Olivier Besancenot : « Si je le pense, je le dis. »
- Jean-Michel Aphatie : « C’est pas trop violent : "des chiens" ? »
- Olivier Besancenot : « Écoutez, qu’est-ce qui est violent ? »
- Jean-Michel Aphatie : « On peut le dire comme ça ? »
- Olivier Besancenot : « Qu’est-ce qui est violent ? »
- Jean-Michel Aphatie : « Peut-être que le licenciement est violent ! »
- Olivier Besancenot : « Peut-être 733 personnes qui vont rester sur le carreau mais qui, en plus - et c’est pour ça que je l’ai dit - se sont fait balader. […] Résultat des courses, à la fin ? On retrouve exactement la proposition de la direction du début. Ca n’a rien changé et en prime, il y a dix-neuf salariés qui risquent de se retrouver sur le carreau sans rien du tout. En gros, les meneurs. C’est pour ça que j’ai dit à ce moment-là parce que je le pensais. »
Cette explication n’intéresse pas Jean-Michel Aphatie
- Jean-Michel Aphatie : « La contestation est une chose mais qualifier des gens de "chiens", c’est quand même terrible , Olivier Besancenot ? »
- Olivier Besancenot : « Écoutez, des personnes, aujourd’hui, qui touchent des subventions publiques et qui ferment des entreprises, moi je ne sais pas comment vous les appelez ? Mais pour moi c’est ceux-là, oui absolument. Maintenant, je ne suis pas dans l’invective . Ce qui m’intéresse... »
- Jean-Michel Aphatie : « Vous êtes sûr ? »
- Olivier Besancenot : « ... C’est de trouver, d’abord et avant tout, des solutions... »
- Jean-Michel Aphatie : « Vous êtes sûr ? »
- Olivier Besancenot : « Écoutez-moi... »
- Jean-Michel Aphatie : « Ce n’était pas de l’invective, ça ? »
- Olivier Besancenot : « Non, quand il y a des réactions, je les donne. Donc vous m’avez demandé. Je l’assume. Mais si je peux continuer, on a aussi des propositions politiques qu’on est pratiquement les seuls à émettre depuis quelques années qui sont pris maintenant en partie par la classe politique. » Et d’évoquer quelques-unes de ces propositions…
… Qui, manifestement n’intéressent pas Jean-Michel Aphatie.
- Jean-Michel Aphatie : « Dans les débats sociaux, vous avez défendu quand cela s’est présenté, Olivier Besancenot, avec d’autres d’ailleurs, la séquestration des chefs d’entreprise. Geoffroy Roux de Bézieux qui est lui-même chef d’entreprise et patron de l’Unedic, disait ceci. Il était l’invité de RTL, il y a quinze jours. "D’une part, on comprend l’extraordinaire détresse des salariés ; mais de l’autre, rien n’excuse jamais la violence parce qu’on commence par des séquestrations et puis, ça finit... On tire sur Georges Besse. C’était il n’y a pas si longtemps que ça". Votre réaction. »
- Olivier Besancenot : « Sans commentaire. C’est décalé. C’est déplacé. J’imagine que les salariés qui, peut-être, nous écoutent : ceux de Molex, ceux de Caterpillar, vont être légèrement choqués par ce type de propos. Vous savez, les salariés qui retiennent un patron pendant une nuit, simplement pour avoir une réponse à leurs revendications, ils ne le font pas par plaisir. […] . Je soutiens tous les salariés aujourd’hui qui résistent, quels que soient leurs modalités d’actions. »
- Jean-Michel Aphatie : « Au risque de voir des actions déraper dans la violence ? »
- Olivier Besancenot : « Non justement pas. On focalise sur les séquestrations ; mais aujourd’hui, il n’y a pas que des séquestrations. Il y a des salariés qui choisissent des occupations, des grèves, des manifestations. Moi je pense que toute la Gauche devra arrêter de s’excuser de soutenir les salariés quand ils résistent. ». Et d’appeler à la convergence des luttes et à l’unité...
Vient le moment d’achever l’interview, par une question sur « la main tendue » (Aphatie, dixit) par Ségolène Royal quand elle a déclaré la veille à Athènes qu’ « il faut réconcilier la Gauche avec la radicalité qui se développe partout en Europe. [3]. »
Le mot de la fin ? « Olivier Besancenot, qui n’a pas commenté les sondages, était l’invité de RTL ce matin. Bonne journée. [4] »
Thierry Guerrier : « des chiens », c’est « de la violence tout court »
Le lendemain, 14 mai, c’est au tour de Thierry Guerrier, d’interviewer Besancenot dans l’émission « C à dire » [5] sur France 5.
Les premières questions portent sur ce qui motive Besancenot dans la campagne pour l’élection européenne, sur sa position comme n°3 sur la liste d’Ile-de-France (qui montrerait qu’il n’y croit pas), sur l’éventualité qu’il aille siéger à Bruxelles s’il est élu. Bref, trois questions fondamentales sur le fond et les enjeux politiques de cette élection. Quand vient le moment de l’interroger sur la violence…
- Thierry Guerrier : « Vous avez employé un mot : c’est “radical”. […] Hier [...], vous appeliez de vos vœux un nouveau mai 68. Pourquoi tenir des propos pareils qui sont perçus comme un appel à la violence ? »
- Olivier Besancenot : « Je ne sais pas si vous vous le percevez comme un appel à la violence… »
- Thierry Guerrier : « Mai 68, ce n’était pas avec des fleurs uniquement. »
- Olivier Besancenot explique que Mai 68, c’était d’abord la grève générale […]
- Thierry Guerrier : « […] Vous avez dit à propos des patrons de Caterpillar, " ce sont des chiens". Ça, c’est carrément de la violence verbale mais de la violence tout court. »
- Olivier Besancenot : « C’est pas de la violence, c’est ce que je pense. C’est ce que je pensais à ce moment-là, je le pense toujours. »
- Thierry Guerrier : « On est dans l’insulte là. (…) Vous savez ce que le terme de « chien » a comme connotation »
- Olivier Besancenot : « (…) Mais quand bien même ce serait insultant… »
- Thierry Guerrier : « Mais ça légitime par exemple de casser une sous-préfecture, c’est là où on peut voir un appel à la violence ; vous êtes un responsable politique. »
- Olivier Besancenot (excédé) : « Excusez-moi, j’espère que les questions vous les poserez aussi à ces patrons-là. »
- Thierry Guerrier : « On a reçu le patron de Mollex ici, on lui a dit aussi. »
L’affirmation de Thierry Guerrier est malheureusement invérifiable puisque la vidéo de l’interview, daté du 23 avril, de Marcus Kerriou, cogérant de l’usine Molex de Villemur-sur-Tarn, n’est pas disponible sur la page d’archive de l’émission. Mais on se prend à douter que Thierry Guerrier ait interrogé sur la violence sociale son interlocuteur d’alors, avec une obstination semblable à celle dont il fait preuve face à Besancenot.
- Thierry Guerrier : « On a reçu le patron de Mollex ici, on lui a dit aussi. »
- Olivier Besancenot : « Ouais, ben, le patron de Mollex, vous lui poserez la question quand il reviendra. [...] »
- Thierry Guerrier : « Il faut répondre à la violence sociale engendrée par les patrons, selon vous, par une certaine radicalité pour ne pas dire, violence ? »
[…]
- Thierry Guerrier : « On comprend votre logique, c’est pour ça que je vous pose ces questions de cette façon. »
La plupart des questions ayant pris la forme d’affirmations, il était temps que Thierry Guerrier se déguise en avocat du diable ! [6]
Ce que l’on apprécie chez Jean-Michel Aphatie, c’est son inlassable impertinence selon ses interlocuteurs. Voyez par exemple :« Un interrogatoire de Sud-Rail mené par Jean-Michel Aphatie »
Ce que l’on aime par dessus tout chez Thierry Guerrier, ce sont les sermons qu’il inflige en affectant de poser des questions. Voyez par exemple : « En guise d’interview, un sermon : Thierry Guerrier note les enseignants sur France 5 »
Mais ce qui justifie l’égale admiration que nous vouons à ces maîtres-interviewers, c’est le silence qu’ils observent sur toutes les formes de violence sociale (y compris verbales) dont ils se bornent à observer parfois quelques effets. Et l’empressement dont ils font preuve quand il s’agit de condamner la « violence » de leurs confrères. Par exemple de Barbier quand il écrit, dans L’Express du 30 avril 2009 : « “ Rapaces ", a dit François Chérèque de SUD et de ses épigones. Il aurait dû dire "charognards ", car le nihilisme d’extrême gauche ne prolifère que si le syndicalisme classique est moribond.
« Charognards », c’est pas violent ça ?
Qu’on se le dise : tous les patrons ne sont pas des chiens ; et tous les journalistes ne sont pas de « nouveaux chiens de garde », même ceux qui pourraient passer pour de braves toutous.
Henri Maler
- Avec Denis Perais pour les transcriptions.