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Elections européennes 2009 : L’Express prêche dans le désert

par Denis Perais,

Le 7 juin 2009, se déroulera en France le scrutin visant à élire les 72 députés qui représenteront notre pays au Parlement européen – échéance qui, jusqu’à présent du moins, est loin d’occuper le devant de la scène médiatique. Se disant préoccupés de l’inexistence de la campagne électorale, les maîtres-penseurs des médias dominants clament à longueur d’éditoriaux ou de chroniques qu’il faudrait parler d’Europe du matin au soir, s’interrogent gravement sur l’absence d’échos de leurs appels au débat et à l’information, et désignent tout particulièrement la responsabilité combinée des Français (désintéressés) et des partis de gouvernement (intéressés à cultiver ce désintérêt). Et celle des médias ? La question, semble-t-il, mérite à peine d’être posée... C’est à se demander s’ils lisent eux-mêmes leurs propres publications. La preuve par L’Express.

A l’approche du scrutin, les deux éditorialistes multicartes et très médiatiques de L’Express, Jacques Attali (le 30 avril) et Christophe Barbier (le 14 mai), prennent leur plus belle plume pour s’exprimer sur ce sujet d’actualité… et partagent le même constat : cet enjeu, décisif pour l’avenir de l’Europe, est englouti sous une vague d’indifférence coupable.

Jacques Attali, solennel, est le premier à se lamenter : «  Personne ne parle des enjeux de l’élection des députés européens ; personne ne s’intéresse aux programmes ; personne n’en débat. Et pourtant jamais un rendez-vous n’aura été aussi important [...] A terme, c’est l’existence même de l’euro, et donc de l’Union qui se joue. Mais de cela, nul ne semble s’en inquiéter. »

Christophe Barbier qui voit se profiler un « scrutin européen […] crucial » , et un « semestre qui suivra décisif  », s’inquiète quant à lui de « la piteuse débandade des européennes. »

Où sont les responsables ? Si Jacques Attali reste évasif sur ce point, Christophe Barbier les désigne sans hésitation : « C’est le grand rendez-vous des coucous, qui posent des œufs pas toujours frais de leurs débats domestiques dans les urnes européennes. Et quand il n’y a pas d’enjeu local pour justifier un tel détournement... on ne parle pas des élections. » Parmi ces coupables « coucous » aux œufs pourris, on compte deux principales espèces : « la gauche de gouvernement, traumatisée par son désastre de 1994 et tétanisée par son succès de 2004 – elle ne pourra jamais faire mieux – préfère escamoter ce vote : il est tellement plus excitant de s’ébrouer dans les écuries présidentielles.  » – et « La droite au pouvoir[qui] étouffe la campagne. » Le pire étant que les deux espèces collaborent pour perpétrer leur « crime » : « PS et UMP ont hier inventé ensemble un mode de scrutin criminel , en "grandes régions", pour diluer le débat. » [1].

L’Express au secours du débat ?

Face à cette situation intolérable, dans laquelle un débat « crucial » est détourné ou « étouffé », le lecteur s’attendrait à trouver dans les colonnes de l’hebdomadaire de nombreux articles permettant de mesurer l’importance de ces élections, d’en comprendre les enjeux, et de connaître les programmes portés par les différentes listes en présence – d’autant que, comme le souligne Jacques Attali, «  bien à l’avance , les politiques ont fait l’effort de définir des programmes cohérents, communs aux partis équivalents dans chacun des 27 pays membres : le Parti de la gauche européenne (PGE), auquel sont intégrés le Parti communiste et le NPA, le Parti socialiste européen (PSE) et l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe ont publié très tôt leur plate-forme. Le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe 74 partis de droite, dont l’UMP, le Parti démocrate européen (PDE), qui réunit les partis centristes, tel le MoDem, et le Parti vert européen viennent d’en faire autant ou se préparent à le faire. »


L’Express possédait donc tous les éléments pour se lancer dans une grande campagne d’information et de mobilisation sur cette question décisive...

L’a-t-il menée ? Pour nous en assurer, nous avons passé au peigne fin la version papier de l’hebdomadaire, entre le 5 février 2009 et le 14 mai 2009 - soit pendant les trois mois précédant le premier éditorial. Verdict ? L’Express a publié le nombre considérable de... trois articles sur les élections européennes, dont le sujet… n’est pas le contenu des programmes des différents partis !

- Le premier – « Eurodéputé, un full-time job » - publié le 9 avril, est une interview d’un vice-président (Verts) du Parlement européen, Gérard Onesta, qui prend sa retraite après 20 ans de « carrière », et qui n’évoque pas le programme des Verts mais son expérience personnelle de député européen.
- Le second – « Européennes : micmacs à la gauche de la gauche », publié le 13 avril, est consacré aux relations difficiles entre le Nouveau Parti Anticapitaliste et le Front de gauche.
- Le dernier, daté du 30 avril et intitulé « Le Pen. Le pire n’est plus son fort » est consacré au Front National, à son président, et surtout à l’estimation de ses résultats électoraux. Trois articles hors-sujet « crucial » – et naturellement des « Unes » qui, l’une après l’autre, ignorent superbement ce « rendez-vous » qui pourtant « n’aura jamais été aussi important. ».

Mais peut-être L’Express avait-il décidé de ne pas s’attarder chaque semaine sur les élections européennes pour mieux prendre en compte la demande rédigée par Jacques Attali le 30 avril ? Selon ce dernier en effet, « on pourrait espérer parler de tout cela [les programmes, les propositions] au moins pendant un mois.  » L’Express préparait-il la sortie, début mai, du premier numéro hors-série des « Cahiers de L’Express » (80 pages) qui leur serait entièrement dédié ? Réponse : un choix éditorial très original, certes, mais encore à côté du sujet « décisif » qui préoccupe, paraît-il, ses éditorialistes : «  Les deux ans de Sarkozy . Mai 2007–mai 2009/ Politique intérieure . Du « choc de croissance » à la crise économique/ Amours, copains, dynastie... L’irruption du privé en politique / Diplomatie. Où emmène-t-il la France ? ». Assurément très européen...

En réalité, si l’on veut s’informer un tant soit peu sur les programmes, il ne faut pas compter sur L’Express – du moins dans sa version papier. On peut en revanche se rendre sur le site internet de l’hebdomadaire, qui a mis en ligne à partir du... 11 mai, une analyse comparée des programmes. Gageons que dans les prochains numéros de L’Express, cette analyse sera reprise, commentée, développée et « médiatisée » dans de nombreux autres articles [2].

Les « plus excitantes » écuries présidentielles

Telle était la cause, fustigée par Christophe Barbier, de l’atonie du débat sur les élections européennes : la focalisation, notamment des socialistes, sur les « écuries présidentielles ». Or L’Express leur accorde une place... tout à fait respectable, et pratique ainsi sans vergogne ce que son directeur prétend dénoncer.

Ainsi le 19 février 2009, l’hebdomadaire consacre un article aux « ambitions de M. Peillon », qui le place « dans la course » puisqu’il « n’exclut rien pour 2012 ». Le 16 avril, L’Express fait sa « Une » sur « Bayrou. L’homme qui défie Sarkozy ». Luc Vigogne commente : « A trois ans de l’élection présidentielle, les grandes manœuvres commencent. » Et elles font déjà la « Une » à un mois et demi des élections européennes.

La semaine suivante, l’hebdomadaire lance dans la bataille un autre poulain programmé normalement lui pour... 2017, toujours en « Une » : « Jean-François Copé. Tête à claques ou nouvelle star. » Il est vrai que le 22 janvier dernier, l’hebdomadaire avait déjà publié un dossier « Droite. Objectif Elysée », qui met en scène « la génération 2017-2022-2027 » , représentée par François Baroin, Xavier Bertrand, Jean-François Copé, Nathalie Kosciuzko-Morizet, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez. Et pour 2032 ?

***

Plusieurs facteurs expliquent sans doute le confinement à une quasi-clandestinité de ces élections. S’agit-il d’une nouvelle et volontaire mise en quarantaine médiatique de l’information et du débat démocratique, à l’instar de ce que nous avions déjà constaté l’année dernière sur la ratification par voie parlementaire du Traité de Lisbonne ? Ou plus simplement d’une préoccupation de diffusion et/ou d’audimat, comme l’explique sans détours Franz-Olivier Giesbert, dans Le Point du 7 mai : « C’est une chose connue dans les métiers de la presse. Mettez le mot Europe à la une d’un journal ou à l’affiche d’un débat télévisé et vous ferez fuir les lecteurs ou les téléspectateurs. Il est donc écrit que la campagne des élections européennes ne fera pas recette  »  ?

Notons au passage que ce raisonnement – qui fait bon marché de la campagne référendaire sur le Traité Constitutionnel Européen – a le mérite de faire voler en éclats les récurrentes et belles proclamations sur la mission première des médias [3] : informer avec rigueur et de manière contradictoire les citoyens – ce qui ne saurait exclure, d’ailleurs, les prises de position tranchées de certains éditorialistes.

Mais si le désintérêt de la plupart des médias pour le contenu de la campagne européenne (sondages d’intention de vote mis à part) a sans doute des causes multiples, un constat semble s’imposer : il est tout à fait bienvenu de déplorer le « désintérêt des Français » pour ces élections et peut-être même la responsabilité qui incombe aux partis de gouvernement. Mais, à de rares exceptions près, que l’on n’attende pas des médias évidemment passionnés par ce scrutin qu’ils mettent en cause – ou simplement en évidence – l’indigence de leur propre couverture de la campagne jusqu’à ce jour.

Denis Perais

P.S.  : Quelques timides autocritiques ? - Voici les quelques rares et fugitives « exceptions » que nous avons pu relever. Dans le supplément du 22 mai de Paris Normandie consacré au scrutin (et tout à la gloire de la construction européenne telle qu’elle s’ est réalisée depuis plus de cinquante ans), Michel Lépinay indique en passant : « Nous sommes sans doute, nous médias, parmi les premiers responsables. » Le 10 mai, à l’occasion du passage au « Grand Jury RTL-LeFigaro-LCI » d’Alain Juppé, Jean-Michel Aphatie s’interroge à haute voix, sans que la moindre réponse ne soit apportée : « Les médias ont peut-être une part de responsabilité. » Le 15 mai, toujours sur RTL, Nicolas Poincaré s’interroge lui aussi en interrogeant les invités de « On refait le monde », Patrick Balkany (UMP), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) et Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche) : « On a l’impression qu’on en parle très peu, est-ce que c’est la faute des médias , de notre faute ou est-ce que c’est de la vôtre les candidats qui n’arrivez pas à nous intéresser ? »

 
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Notes

[1Rappelons simplement qu’il s’agit d’un scrutin proportionnel de listes bloquées (sans panachage possible donc) présentées dans huit circonscriptions. «  Les sièges sont répartis, dans la circonscription, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. » (Article 3 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977 modifiée relative à l’élection des représentants au Parlement européen). En 2004, à l’occasion du précédent scrutin, le même fustigeait déjà « le mode de scrutin, émiettant la campagne et étouffant les enjeux, [qui] crée un brouillard démocratique où les électeurs comme les politiques avancent à tâtons vers les urnes. » (L’Express, 6 juin).

[2Le dernier numéro, daté du 21 mai, nous permet déjà de vérifier une nouvelle fois tout « l’intérêt » que la version papier de l’hebdomadaire accorde au contenu des programmes : deux articles y abordent la question européenne. Le premier, intitulé « comment votent les eurodéputés », court et fort peu informatif, indique avec qui votent les centristes et les socialistes français. Le second, intitulé « Mélenchon part à l’aventure », et tout aussi superficiel, est consacré à l’éventuel avenir... présidentiel de Jean-Luc Mélenchon, qui serait lié pour partie, selon l’hebdomadaire, aux résultats du Front de Gauche aux élections européennes…

[3Comme celles qu’un certain Christophe Barbier plaçait en tête du 3000ème numéro, le 8 janvier 2009 : « L’Express se doit, sans cesse, de réinventer ce média insolite qu’est un hebdomadaire, alliance de faits et de réflexions , d’objectivité du reporter et d’engagement de l’éditorialiste. C’est pourquoi, dès la semaine prochaine, votre Express roulera sur un « chemin de fer » réaménagé, dans une maquette au style plus élégant et contemporain, afin de vous apporter davantage d’informations , sur un rythme plus vif, avec une force supplémentaire pour les photographies et un accès de plain-pied au décryptage des faits. »

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