« Jamais il ne faut se raidir. Jamais il ne faut se bunkériser. Jamais il ne faut détester », « L’un des plus grands problèmes de la France c’est le sectarisme » a déclaré le président de la République dans une interview au Nouvel Observateur. Il y demande aussi « pardon » à quelques personnes qu’il avait maltraitées. Il s’engage à avoir de la « retenue », à organiser la « transparence », à refuser « l’hypocrisie ». Il va jusqu’à regretter Le Fouquet’s. Mais il ne s’excuse pas auprès des jeunes « racailles » à « nettoyer au karcher » de la Courneuve et d’Argenteuil. Il affirme qu’il va continuer imperturbablement sa politique néo-libérale et anti-sociale.
Avec l’avis du conseil Constitutionnel, certains ont espéré que le réexamen de l’Hadopi allait être l’objet d’un toilettage salutaire. Et bien non ! Le vocabulaire change mais l’esprit demeure. Et si Madame le Garde des Sceaux héritière du dossier, rend à la justice ce que l’Hadopi 1 lui avait confisqué, elle y introduit subrepticement « l’ordonnance pénale », celle-là même que le Sénat, lors de la discussion de la loi du 12 mai 2009 pour la simplification du Droit, avait écartée dans un rapport de notre collègue Bernard Saugey. Ecoutons-le :
« Votre commission est particulièrement réservée face à cette extension massive du champ de l’ordonnance pénale (…). il s’agit d’une procédure écrite et non contradictoire basée essentiellement sur les faits établis par l’enquête de police et au cours de laquelle la personne n’est, à aucun moment, entendue par l’institution judiciaire. Si l’ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux entièrement simples (telles les infractions au code de la route), elle n’est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes. Comme l’ont fait observer les magistrats entendus lors de l’examen de ce texte, étendre le champ d’une procédure rapide et dépourvue de publicité apparaît contradictoire avec la volonté affichée par les Pouvoirs publics de renforcer la transparence de l’institution judiciaire. Un recours systématisé à la procédure de l’ordonnance pénale pourrait affecter la qualité de la justice. Votre Commission s’était déjà, à l’occasion de la loi Perben 2, opposée à une extension massive du domaine de l’ordonnance pénale. Elle en a supprimé les dispositions dans l’article 63 de la proposition de loi ».
Or, ce retour inadmissible de l’ordonnance pénale, bunkérise l’Hadopi 2, plus concerne toutes les contrefaçons. En fait « de retenue » présidentielle, il n’y en a aucune dans cette loi, tout comme dans Hadopi 1, où avait été introduit, in extremis, un cavalier sur le Droit d’Auteur des journalistes non conforme à l’esprit des Etats Généraux de la Presse de l’automne dernier. Et cela se passe sans consultation de la Commission des Lois, et sans que son président, interrogé par la présidente du groupe CRC-SPG, Nicole Borvo, ait demandé une saisine. C’est un mépris, une déqualification du travail parlementaire, une démission. Et Madame le ministre n’est pas convenable de m’avoir dit, en Commission des affaires culturelles, quand j’ai abordé cette question que c’était « faux ».
Le ministre de la Culture a été plus loin. Sur l’ensemble de mon exposé il a commenté : « C’est brillant, mais tout faux ». Je connaissais les Fausses confidences de Marivaux, la Fausse maîtresse de Balzac, les Faux-monnayeurs de Gide, Le Faussaire de Schlöndorff, la « fausse note », le « faux pas » ou « le faux-fuyant » dans un débat, mais comme le Ministre du travail a fait de même avec le Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale en lui répondant le 30 juin, lors des questions d’actualité « C’est faux ! » et est passé à son ordre du jour, j’ai l’impression que c’est un nouveau mot de passe du gouvernement ou dans le remaniement ministériel l’arrivée d’un personnage digne des Caractères de La Bruyère, Monsieur TOUFO qui entre un faux plafond et un faux plancher raisonne à plafond bas ! La Bruyère ajouterait : « Il y a des gens qui parlent un moment avant que d’avoir pensé ».
En tout cas, si je suis « tout faux », et je ne demandais pas à être « tout bon », je suis en bonne compagnie notamment du Conseil d’Etat, dont le journal La Tribune, du 30 juin, rapporte la vive préoccupation sur Hadopi 2. Ne me rétorquez pas le code de la route. Le Conseil constitutionnel a estimé le 10 juin qu’ « il n’y a pas d’équivalence possible entre la situation de l’internaute et de l’automobiliste ».
On me dira, « Tout cela est fait pour ce qui vous est si cher et dont vous êtes depuis tant d’années un combattant fidèle, le droit d’auteur ». Je ne suis pas naïf, et quand dans le Nouvel Observateur, le Président déclare : « J’ai compris, mon rôle était de défendre la création et les artistes », c’est stupéfiant. Sa lettre de mission à Madame Albanel du 1er août 2007, les méfaits de sa RGPP (Réduction générale des politiques publiques) déstabilisante voire volatilisante du Ministère au moment du 50ème anniversaire de sa création, son budget de la Culture rétréci militent à l’opposé. Et ce n’est pas tout. Sur le droit d’auteur, seuls les actes départagent. Or, le Sénat et l’Assemblée nationale avaient voté il y a 2 ans, une définition des œuvres patrimoniales à l’unanimité. Le gouvernement n’en a jamais assuré la moindre application.
Pendant la discussion (déjà en urgence) en mai 2006 de la Dadvsi pour appliquer la directive européenne du 22 mai 2001, on lisait au considérant 7 de celle-ci : « le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d’auteur et des droits voisins doit (…) être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». Le droit moral, essentiel au droit d’auteur, dans le débat à l’Assemblée nationale où la majorité déclarait chercher l’équilibre en la matière, n’a été évoqué que 12 fois alors que le marché l’a été 114 fois. De plus en plus l’équilibre entre droit d’auteur, droit des publics et droit de l’exploitant qui a toujours été le résultat d’un compromis - le droit d’auteur en étant le centre et la dynamique - est aujourd’hui déstabilisé par l’accroissement de l’emprise de l’économie financiarisée sur la vie de la société. Le centre de gravité du droit d’auteur s’est clairement décalé vers la protection d’investissements, sous la pression de puissants groupes d’intérêts avec qui le gouvernement travaille en fertilisation croisée. Ainsi se développe un « droit d’auteur sans auteur » dans le cadre du nouvel Esprit des lois, « la concurrence libre et non faussée » qui n’est pas pour rien dans la crise actuelle.
C’est pourquoi, le 13 mai dernier, lors du débat - encore en urgence - de l’Hadopi 1 au Sénat, nous avons déposé un amendement sur la réaffirmation solennelle du droit d’auteur comme un droit fondamental comprenant le droit moral et garantissant la rémunération de l’auteur et de ses ayant droits. Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 et afin de renforcer la protection du droit moral des auteurs - spécificité française - nous réfléchissons au dépôt d’une proposition de loi qui reconnaît le droit moral comme principe constitutionnel. Le 13 mai dernier, nous avions déposé aussi un amendement sur la reconnaissance de l’accès égalitaire à Internet à haut débit comme droit fondamental de tous les citoyens, sur l’ensemble du territoire.
Nous avions proposé dans un troisième amendement la création d’un Conseil pluraliste « Beaumarchais-Internet-Responsabilité publique et sociale », comprenant d’abord ceux qui font les programmes, ceux qui les regardent et les chercheurs qui analysent leur rencontre ; amendement clef car dans toutes les structures d’études gouvernementales ces trois catégories de citoyens sont absentes. Un quatrième amendement instituait une contribution des opérateurs de télécoms au financement des droits d’auteurs et de la création, ce qui n’efface pas la nécessité d’une contribution raisonnable des internautes. Un autre amendement concernait la constitution d’une plateforme publique de téléchargements votée à l’unanimité en 2006 et toujours pas appliquée ! Enfin, dernier amendement : la garantie des droits d’auteur des journalistes et des photojournalistes. J’étais hier à l’inauguration des rencontres de photographie d’Arles. Je vous assure que les photographes sont très, très inquiets.
La majorité a refusé tous ces amendements ce qui décemment lui interdit de se dire défenseur des auteurs et des artistes, et plus généralement de la Création.
Dans le projet de la Commission des affaires culturelles, en familiarité avec le Gouvernement, il n’y a pas de réponse au défi que doit relever ce secteur de la vie sociale, humaine et culturelle. Ce projet de loi créé un monde des issues fermées.
Nous sommes dans une situation Hadopitoyable ? Le texte d’aujourd’hui crée une situation Hadopire ! Mais même si vous avez la majorité, vous n’aurez qu’une victoire à l’Hadopyrrhus !
Rappelons que Monsieur Olivennes, actuellement directeur général délégué du Nouvel observateur, mais alors PDG de la Fnac, chargé par l’Elysée d’établir les bases d’une loi, avait réalisé un document traitant le problème au bénéfice des grandes affaires et blessant les internautes et les auteurs. Les cloisons et les clivages Olivennes, superficiels et déséquilibrés, sont restés tels quels dans Hadopi 2.
Le droit d’auteur est un grand héritage, « nous devons le défendre et dans un même mouvement nous en défendre, sinon nous serions inaccomplis ». Pierre Boulez a beaucoup travaillé cette question. Dans un de ses cours au Collège de France, « La mémoire, l’écriture et la forme », j’ai lu ceci : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l’immobilité illusoire du passé mais le projeter vers le futur avec peut-être l’amertume de l’inconfort mais plus encore avec l’assurance de l’inconnu ». « Avoir le sens de l’aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l’antécédent. Curieusement la création s’appuie constamment sur deux forces antinomiques : la mémoire et l’oubli ».
Je n’ai pas trouvé de plus forte métaphore que dans le Soulier de satin où Claudel fait dire à Rodrigue : « La création est un jeu de racines qui font éclater la pierre, l’organique détruisant le minéral ». Nous sommes pour l’exploration des territoires de l’inédit sachant se nourrir des éclats du passé. Nous sommes pour travailler dans l’espace du doute actif. Nous partageons la pensée le poète palestinien Mahmoud Darwich quand il dit : « Je ne reviens pas, je viens ».
Le numérique est un grand dérangement. C’est tout avoir, tout savoir, tout voir dans l’instant. C’est l’omniprésence de l’événement. Tout voir sans être vu et dans les plus grands espaces. S’affranchir de l’apesanteur, réussir à être partout à la fois, à mener ses affaires, à parler toutes les langues. Le numérique c’est une efficacité insolente pourvu qu’on ne rencontre pas de « bugs ». Il provoque un effet de dépaysement. C’est un nouvel âge de l’Humanité qui doit déboucher sur de grandes libertés et non sur un grand système géré par… un grand ou un petit suprême.
Or, votre projet de loi a organisé un clivage entre ces deux secteurs, la création et le numérique, qui doivent se réguler ensemble puis proposer aux grandes affaires une Convention d’usages, d’avenir. Personne ne peut se disculper de cette obligation de société. Personne ne doit éviter, dans le respect réciproque, de mener une dispute authentique, profonde, constructive. C’est pourquoi, les Etats Généraux de la Culture, qui depuis 1987 ont participé à tous les combats pour ne pas avoir de « retard d’avenir », organisent au Sénat, le lundi 28 septembre, une RENCONTRE entre tous les acteurs intellectuels et populaires de la vie culturelle qui peuvent et doivent « travailler à la fin de l’immobile » et déboucher, en multipliant les occasions de penser, sur une régulation moderne, qui « bourdonne d’essentiel », de sens. M’adressant aux forces du travail et de la création, je leur transmets ce texte de Jean-Luc Godard :
Notre groupe CRC-SPG veut construire. Le Sénat a débattu sur ces questions 20h15 les 4,9 et 10 mai 2006, 10h30 les 29 et 30 octobre 2008 et 2h40 le 13 mai 2009, en tout 33h25. Notre groupe a voté « contre » le projet de loi la première fois, s’est abstenu la deuxième, et a refusé de participer au vote la troisième. Dans un premier réflexe je voulais garder cette troisième attitude mais nous avons beaucoup réfléchi en familiarité avec deux grands penseurs et résistants : Jean Cavaillès appelant à assurer « une révision perpétuelle des contenus par approfondissement et rature » et Georges Canguilhem selon lequel il faut « dégager une place vacante pour un concept mieux avisé ». Cette loi ne réglera rien ni pour les internautes ni pour les auteurs, elle accroît leurs oppositions entre eux et leurs divisions internes, ce qui paralysera l’imagination et embarrassera les juges. C’est tellement vrai que le ministre de la culture a annoncé en Commission son intention de créer une coordination sur la rémunération des auteurs. De plus, cette loi étend de façon biaisée et inacceptable le champ d’application de l’ordonnance pénale qui concernera l’ensemble de la contrefaçon (à quand toute la justice ?), frappera les internautes, heurtera l’attachement des auteurs à la Liberté et concernera toute la société. En fait, vous vous êtes raidis, bunkerisés, sectarisés, sans retenue et sans transparence.
Face à cette agression contre la Liberté, les libertés, face à une loi qui dit une chose et en fait une autre, nous ne pouvons que nous opposer dans l’esprit d’André Malraux, premier titulaire du Ministère des affaires culturelles en 1959 : « L’homme ne devient Homme que dans la poursuite de sa part la plus haute »… Nous voterons Non !
Jack Ralite