Monsieur le Président,
Nous portons à votre attention la situation de plusieurs milliers de salariés de l’entreprise employés illégalement par succession de contrats précaires.
Du fait de votre parcours professionnel, vous ne pouvez ignorer la gestion arbitraire subie par ceux de vos confrères précarisés qui collaborent pendant toute leur carrière à notre activité, dans les mêmes conditions que les journalistes permanents. Le problème est le même pour les personnels de production, employés en tant qu’intermittents du spectacle, et qualifiés en interne de « permittents » parce qu’ils travaillent sur les mêmes plannings et aux mêmes postes que leurs collègues sous contrat à durée indéterminée.
Cette précarité injustifiée constitue un délit passible de sanction correctionnelle, car elle prive la victime de la quasi-totalité des droits garantis par le Code du travail. Un membre de votre direction a d’ailleurs été condamné de ce chef par le Tribunal correctionnel.
Au cours des dernières années, plusieurs dizaines de décisions civiles ont sanctionné nos chaînes sur recours individuel des victimes. Dans une entreprise publique comme la nôtre, que la direction ne corrige pas sa gestion malgré les multiples interventions de la justice défie l’entendement.
Aujourd’hui cette gestion délinquante se perpétue sur le compte des deniers publics. A titre d’exemple, le 7 avril 2009, la Cour d’Appel de Paris vous a condamné à verser à l’un de vos cadres précarisés un montant d’indemnités supérieur aux salaires qu’il aurait perçu s’il avait pu continuer à travailler jusqu’à son départ en retraite ; ce qui donne la mesure du gâchis humain, professionnel et financier dont votre équipe est entièrement responsable.
Votre équipe ne saurait ignorer la loi sociale au seul motif qu’elle aurait un privilège d’impunité parce que l’actionnaire de l’entreprise est l’Etat. A cet égard, nous regrettons que dans les discussions en cours sur la réorganisation de l’entreprise à la suite de la fusion décidée par la Loi du 5 mars 2009, la régularisation de ce personnel ne soit jamais évoquée.
Malheureusement, notre constat ne se limite pas à cette perpétuation de la précarité. Depuis 18 mois, vous avez entrepris de réduire les effectifs. Les premiers postes supprimés ont visé plusieurs centaines de collègues précarisés, exclus sans tentative de reclassement, sans procédure ni indemnité, et sans même qu’on les informe de leur licenciement. Là encore, la télévision publique se distingue.
Récemment votre direction des ressources humaines a encore dégradé les conditions d’emploi. Par une note du 23 mars 2009, il a été enjoint au management intermédiaire de réduire le volume de travail du personnel précarisé sans aucune procédure légale autre que cette simple instruction. Concrètement, des dizaines de collaborateurs sont depuis 3 mois en chômage partiel, pour une durée indéfinie. Ils restent 365 jours par an à la disposition de nos chaînes alors que leur revenu est diminué au point de ne plus pouvoir assurer leur budget familial.
Nous sommes informés de l’existence d’une « liste noire » où se retrouvent les intermittents qui ont outrecuidance de saisir les prud’hommes pour faire valoir leurs droits. Faute de pouvoir employer des intermittents, nous avons aussi été informés de l’incitation faite aux unités de production de passer par la prestation de service (ce qui est assimilé à un délit de marchandage).
Le 24 avril 2009, sur la protestation de notre syndicat, votre direction des ressources humaines a confirmé et justifié cette décision. Force est de constater qu’il s’agit d’une décision volontaire et délibérée nuisant intentionnellement au droit des victimes. Nous déplorons qu’en ne contredisant pas ces instructions, vous avalisiez les délits ainsi commis par vos proches collaborateurs.
Enfin nous vous alertons sur l’entrave aux prérogatives syndicales dont vos services des ressources humaines se rendent coupables depuis plusieurs semaines.
Nous avons reçu plusieurs témoignages concordants de collègues pour lesquels le syndicat avait soumis le dossier de requalification à la justice prud’homale. Selon ces dépositions, les salariés dont nous demandons la requalification des contrats sont exclus des plannings, c’est-à-dire licenciés brutalement avant que la justice n’arbitre, privant cet arbitrage de tout effet.
Le 7 mai 2009, sur notre demande d’explication, vos services des ressources humaines ont confirmé la réalité de ces instructions, qui viseraient désormais tout salarié « en contentieux » avec l’entreprise, mais aussi tout salarié au sujet duquel le syndicat solliciterait l’arbitrage judiciaire. De sorte qu’aujourd’hui, dans l’entreprise que vous dirigez, vos collaborateurs assument une gestion conduisant directement à priver un justiciable de son droit à un procès équitable ; de même, ils entravent volontairement le droit syndical de recourir à l’arbitrage judiciaire.
Nous vous demandons d’intervenir sans délai pour corriger les agissements de vos services des ressources humaines, nous vous demandons également de prendre les mesures nécessaires pour régulariser la situation du personnel précarisé.
Nous insistons sur le fait que notre démarche vise simplement à faire cesser le trouble illicite constaté dans votre entreprise.
Pour cette raison vous pouvez considérer la présente comme une mise en demeure à laquelle, si vous manquiez d’y déférer, le caractère intentionnel de l’infraction à la législation sur les CDD commise par le chef d’entreprise serait établi, avec les suites légales qui pourront y être données.
Soyez assuré, monsieur le Président, tant de notre dévouement à la télévision publique que notre détermination à ce que la loi y soit respectée.
Paris, le 18 juin 2009