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Des tirs de flashball, l’œil perdu de Joachim et les sources de l’AFP

Vendredi 10 juillet à 15h01, une dépêche de l’AFP titre : « Un jeune squatter perd un œil après un affrontement avec la police ».

De sources concordantes, mais principalement policières.

« Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squatt évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. »

Quelles sont ces « sources concordantes », dont les informations concordent si peu avec la vérité ? Joachim Gatti a 34 ans ; il ne faisait pas partie des squatters et s’il a perdu un œil, ce n’est pas – vaguement dit – « après un affrontement avec la police », mais parce qu’il a été victime d’un tir de flashball.

Que s’est-il passé ? Selon l’AFP : « Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre. Les squatters avaient alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation. » En clair, les sources policières concordent avec les sources policières…

D’ailleurs, poursuit la dépêche de l’AFP : «  "Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball", a déclaré vendredi la préfecture à l’AFP. ». Puisque la préfecture ose le dire !

Suivent alors des informations de source municipale, dont celle-ci : « D’après la mairie, Joachim Gatti fait partie du mouvement autonome - un réseau militant d’extrême-gauche - qui dénonce notamment la cherté des loyers à Paris et dans certaines banlieues parisiennes. » En quoi, même si elles sont de source municipale, ces indications que le vocabulaire employé suffisent à rendre tendancieuses, expliquent-t-elle ce qui s’est passé ?

De sources discordantes, mais beaucoup plus crédibles

Problème : la plupart des « informations » livrées par cette dépêche sont contestées par des sources … discordantes, mais beaucoup plus crédibles, comme la lettre ouverte de Stéphane Gatti - le père de Joachim - que nous reproduisons ci-dessous.

Lettre ouverte de Stéphane Gatti sur les circonstances dans lesquelles Joachim Gatti a perdu un œil

Le matin du mercredi 8 Juillet, la police avait vidé une clinique occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux expériences venues d’Italie, avait pris la forme d’un “centro sociale” à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans papiers, repas… Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse. L’évacuation s’est faite sans violence. Les formidables moyens policiers déployés ont réglé la question en moins d’une heure. En traversant le marché le matin, j’avais remarqué leurs airs affairés et diligents.

Ceux qui s’étaient attaché à cette expérience et les résidents ont décidé pour protester contre l’expulsion d’organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil.

Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d’être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient. Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l’espace. Des images du front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d’Espagne se superposaient à cette fête parce que parfois les images font école. J’ai quitté cette fête à 20h en saluant Joachim.

A quelques mètres de là, c’était le dernier jour dans les locaux de la Parole errante à la Maison de l’arbre rue François Debergue, de notre exposition sur Mai 68. Depuis un an, elle accueille des pièces de théâtres, des projections de films, des réunions, La nuit sécuritaire, L’appel des Appels, des lectures, des présentations de livres… Ce jour-là, on fermait l’exposition avec une pièce d’Armand Gatti « L’homme seul » lu Pierre Vial de la Comédie Française et compagnon de longue date. Plusieurs versions de la vie d’un militant chinois s’y confrontent : celle de la femme, des enfants, du père, du lieutenant, du général, des camarades…

C’était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les journaux de Mai. D’un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle, effrayés, ils venaient se cacher… ils sont repartis. On m’a appelé. Joachim est à l’hôpital à l’hôtel Dieu. Il était effectivement là. Il n’avait pas perdu conscience. Son visage était couvert de sang qui s’écoulait lentement comme s’il était devenu poreux. Dans un coin, l’interne de service m’a dit qu’il y avait peu de chance qu’il retrouve l’usage de son œil éclaté. Je dis éclaté parce que je l’apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée…

Entre ces deux moments ; celui où je l’ai quitté à la fête aux gnocchi et l’hôtel Dieu que s’était-il passé ? Il raconte : Il y a eu des feux d’artifice au dessus du marché. Nous nous y sommes rendus. Immédiatement, les policiers qui surveillaient depuis leur voiture se sont déployés devant. Une minute plus tard, alors que nous nous trouvions encore en face de la clinique, à la hauteur du marché couvert, les policiers qui marchaient à quelques mètres derrière nous, ont tiré sur notre groupe au moyen de leur flashball.

A ce moment-là je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon œil droit. Sous la force de l’impact je suis tombé au sol. Des personnes m’ont aidé à me relever et m’ont soutenu jusqu’à ce que je m’assoie sur un trottoir dans la rue de Paris. Devant l’intensité de la douleur et des saignements des pompiers ont été appelés.

Il n’y a pas eu d’affrontement. Cinq personnes ont été touchés par ces tirs de flashball, tous au dessus de la taille. Il ne peut être question de bavures. Ils étaient une trentaine et n’étaient une menace pour personne. Les policiers tirent sur des images comme en témoigne le communiqué de l’AFP.

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre. Les squatters avaient alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation. Trois personnes avaient été arrêtées et un jeune homme avait été blessé à l’œil puis transporté dans un hôpital à Paris, selon la mairie, qui n’avait toutefois pas donné de précision sur l’état de gravité de la blessure.”Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball”, a déclaré vendredi la préfecture à l’AFP.

La police tire sur l’image d’un jeune de 20 ans qui essayent de reprendre son squat. Et pour la police et les médias, cela vaut pour absolution, et c’est le premier scandale.

Faut-il rétablir la vérité sur l’identité de Joachim Gatti ne serait-ce que pour révéler la manipulation des identités à laquelle se livre la police pour justifier ses actes , comme s’il y avait un public ciblé sur lequel on pouvait tirer légitimement ?

Joachim n’a pas 20 ans mais 34 ans. Il n’habitait pas au squat, mais il participait activement aux nombreuses activités de la clinique Il est cameraman Il fabrique des expositions et réalise des films. Le premier film qu’il a réalisé s’appelle « Magume ». Il l’a réalisé dans un séminaire au Burundi sur la question du génocide. Aujourd’hui, il participe à la réalisation d’un projet dans deux foyers Emmaüs dans un cadre collectif.

On devrait pouvoir réécrire le faux produit par l’AFP en leur réclamant de le publier. Il serait écrit :

Joachim Gatti, un réalisateur de 34 ans a reçu une balle de flashball en plein visage alors qu’il manifestait pour soutenir des squatteurs expulsés. Il a perdu un œil du fait de la brutalité policière.

Stéphane Gatti

Question : jusques à quand l’AFP continuera-t-elle à diffuser des informations policières avant de les vérifier ?

***

PS : L’AFP persiste...

À la suite de la manifestation qui s’est tenue à Montreuil le lundi 13 juillet au soir, en soutien à Joachim Gatti et pour dénoncer les violences policières, l’AFP a récidivé en citant de nouveau la mairie de Montreuil (qui donc, à la mairie ?) pour qui «  la victime, Joachim Gatti, fait partie du mouvement autonome qui dénonce notamment la cherté des loyers à Paris et dans certaines banlieues parisiennes ». Et l’AFP de fantasmer sur « les jeunes gens, qui scandaient des slogans hostiles aux forces de l’ordre, dont de nombreux semblaient proches des milieux autonomes ou de l’ultra-gauche  ».

« Semblaient » ? Mais encore ? Est-ce que l’AFP voudrait suggérer que ces nombreux jeunes sont des proches de Julien Coupat et ses amis, qualifiés de la même manière par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur ? À quoi joue l’AFP en privilégiant à ce point les sources policières et la parole des autorités administratives alors que les témoins ne manquent pas et que les victimes et leurs proches ne font aucune difficulté pour donner leur point de vue ? C’est d’ailleurs à la suite de leurs protestations que l’AFP a finalement contacté le père de Joachim Gatti.

Plus grave encore : l’AFP ose écrire, dans cette dépêche, que les manifestants « protestaient contre l’expulsion mercredi de plusieurs squatters qui occupaient une ancienne clinique, au cours de laquelle un jeune homme affirme avoir perdu un œil , à la suite d’un tir de flash-ball par les policiers ». Une simple opinion, en quelque sorte ! Joaquim Gatti ayant pu sortir de l’hôpital pour participer à la manifestation, l’occasion était pourtant donnée au journaliste de l’AFP de (pour une fois !) vérifier l’information et croiser les sources avant d’écrire... n’importe quoi.

Après avoir souligné la responsabilité de L’AFP dans la divulgation d’infos plus que douteuses, il faut tout de même s’interroger sur la propension de nombreux journaux à reproduire ces dépêches instantanément, sans aucun recul, sans changer une seule virgule, quelle que soit leur cohérence. C’est le cas ici du Monde, de La Croix, de RTL, de l’Express et de TV5.

 
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