En guise de préambule :
Comment on réécrit l’histoire…
Des conflits d’une rare intensité opposent, depuis la première élection d’Hugo Chávez à la Présidence du Venezuela, le gouvernement et ses partisans, d’une part et les médias privés d’opposition et leurs supporters, d’autre part. Pour comprendre les événements et la situation, encore conviendrait-il de les replacer dans leur contexte et dans leur histoire. Or, le contexte, dans la plupart des médias français, ce ne sont ni les formes d’appropriation des médias au Venezuela, ni le rôle des médias et la nature des informations qu’ils diffusent, ni les poids respectifs des radios privées et des radios associatives : pour l’établir, il faudrait enquêter. Non : le contexte, ce n’est pas la situation générale, mais, pour chaque acte imputable au gouvernement ou à ses partisans, les autres « événements » que l’on peut lui raccorder. Pour le cas qui nous occupe, informer sur une « affaire », c’est inévitablement évoquer les deux autres. Et c’est tout.
Quant à l’histoire, il suffit de relever quelques échantillons des « mises en perspective » dont ont bénéficié les événements récents, pour être… stupéfait.
Par exemple, sur le site de Métro, le 4 août 2009, on pouvait lire cette présentation (sous le titre « Venezuela : un nouveau pas vers la censure ? ») :
« Depuis son coup d’Etat [sic !] avorté de 2002, lorsque les médias d’opposition avaient occulté les manifestations en faveur de son retour au pouvoir, M. Chávez s’est montré de plus en plus méfiant. » Passons sur ce coup d’Etat de Chávez : les doigts de la journaliste ont dû déraper sur son clavier… Mais où celle-ci est-elle allée chercher cette présentation qui « occulte » la participation des médias d’opposition au coup d’Etat ? Dans une dépêche de l’AFP, reproduite, sans la mentionner : « La rupture entre le dirigeant socialiste et une partie de la presse remonte au coup d’Etat avorté de 2002, lorsque les médias d’opposition avaient occulté les manifestations en faveur du retour au pouvoir de M. Chávez. »
Sur l’Express.fr, on s’y connaît en matière d’occultation…. Un article intulé « Chávez et les médias » en administre la preuve.
Citation : « Avril 2002 : dans les 3 jours mouvementés qui précèdent le retour de Chávez le 11 avril 2002, [sic !] l’information est devenue un enjeu. Le gouvernement utilise à plus de trente reprises l’article 192 de la Loi sur les télécommunications qui lui donne le droit de réquisitionner l’antenne de l’ensemble des télévisions et radios. Le 11 avril, les chaînes de télévision, ayant majoritairement soutenu la tentative de coup d’Etat contre Chávez [Ah bon ? Il y a eu un coup d’Etat ?], sont obligées de diffuser un nouveau discours du Président Chávez. Elles pensent pouvoir retransmettre simultanément l’allocution présidentielle et la manifestation de l’opposition en partageant l’écran en deux. Mais Hugo Chávez annonce que le signal hertzien des principales chaînes, accusées d’"inciter à la violence", est coupé. Celles-ci poursuivent alors leurs retransmissions par satellite. »
Les faits évoqués sont, pris isolément, à peu près exacts, mais la présentation du coup d’Etat le réduit à un épisode mineur, à peine mentionné.
La suite n’est pas mal non plus : « Décembre 2002-Janvier 2003 : une importante partie de la presse privée apporte son soutien à une grève décrétée par l’opposition pour obtenir la démission du président Chávez. Diffusion de spots incitant à la désobéissance civile, retransmission d’appels au soulèvement de l’armée, diffusion de fausses informations... La riposte du gouvernement est rapide : augmentation du nombre d’agressions contre les journalistes, sièges de plusieurs médias privés assiégés, véhicules de chaînes de télévision brûlés. » Les faits, allusivement mentionnés, sont attribués à une « riposte du gouvernement » lui-même.
Ce n’est pas tout : « Puis fin janvier 2003, Hugo Chávez utilise les excès commis par les médias pour lancer des représailles à leur encontre ».Qu’appelle-t-on de (simples) « excès » ? Ce qui était mentionné plus haut : « Diffusion de spots incitant à la désobéissance civile, retransmission d’appels au soulèvement de l’armée, diffusion de fausses informations ». Et qu’appelle-t-on « des « représailles » ? Ceci : « projet de loi sur leur "responsabilité sociale", poursuites administratives lancées contre des chaînes de télévisions, pressions fiscales sur plusieurs médias d’opposition… »
La dépêche de l’AFP mentionnée plus haut poursuit : « Cinq ans plus tard, cette prise de position (selon l’AFP : l’occultation des manifestations en faveur de Chávez…) fut l’un des motifs de la résiliation de la licence de la chaîne RCTV, très critique à l’égard du régime. »
La journaliste de Métro traduit : « Ces dernières semaines, il a menacé la chaîne de télévision privée Globovision de subir le même sort que sa consœur RCTV, disparue des canaux hertziens en 2007 sur ordre du gouvernement qui lui reprochait son ton acerbe à l’égard du pouvoir. » Cette fois la participation de RCTV au coup d’Etat n’est même plus une « occultation », c’est un « ton acerbe » [1].
Ces quelques exemples de mise en perspective ne sont peut-être pas généralisables, mais ils témoignent, au mieux, d’une méconnaissance qui n’est pas sans effet sur la présentation des faits, comme l’attaque de Globovision.
I. L’attaque de Globovision
Quelques mots sur le contexte. Comme nombre de médias ne manquent pas de le rappeler, Globovision a fait l’objet, depuis quelques mois, de plusieurs procédures judiciaires et administratives, assorties de menaces prononcées par Hugo Chávez. Mais, comme fort peu de médias le relatent, cette chaîne ne se borne pas à critiquer le gouvernement : elle multiplie agressions et désinformations. Du moins si l’on en croit François Meurisse, de Libération, peu suspect de complaisance à l’égard du gouvernement bolivarien. Evoquant la diffusion par l’une des radios privées d’antenne d’Aló Ciudadano, « un des programmes phares de l’antichavisme radical diffusé sur la chaîne Globovisión » , François Meurisse l’évalue ainsi : « Une émission où les lignes rouges de la diffamation et de l’injure sont dépassées quasi quotidiennement. Et où l’on continue à nier le soutien actif de la majorité des médias privés au coup d’Etat contre Chávez en avril 2002. [2] » De quoi susciter révolte et colère.
Une attaque
Lundi 3 août 2009. Plusieurs dépêches de l’AFP font état des informations suivantes :
« Un groupe armé a lancé deux grenades lacrymogènes à l’intérieur du siège de la télévision privée Globovision, très critique à l’encontre du président du Venezuela Hugo Chavez, a annoncé l’une des directrices de la chaîne. Une trentaine de personnes sont arrivées en moto au siège de Globovision dans la capitale vénézuélienne. Ils ont menacé les vigiles avec des armes à feu et sont entrés dans les locaux où ils ont jeté ces grenades, a raconté Maria Fernanda Flores. »
Et la suite de la dépêche de préciser : « "Nous tenons le président pour responsable de ce qui s’est passé", a affirmé le directeur de la chaîne, Alberto Federico, dénonçant une attaque menée "en plein jour" par "un groupe de ses partisans". » Quant aux condamnations immédiates de ces actions par des membres du gouvernement, elles attendront….
Ces informations, plus ou moins résumées, figurent également dans des dépêches qui font état de diverses condamnation de la suspension des licences de radio ou du « projet de loi sur les délits médiatiques » [3] Comme si tous ces faits avaient le même sens et la même portée.
Nombre de médias en ligne se sont bornés à reproduire tout ou partie de ces dépêches. C’est le cas par exemple du Figaro sous le titre : « Venezuela : Globovision prise pour cible » ou de Métro, le 4 août, dans l’article intitulé « Venezuela : un nouveau pas vers la censure ? » [4]
Ouest France, en revanche, a proposé une adaptation significative de l’information. Publié le 3 août à 22h44, un articulet intitulé « Venezuela : des partisans de Chavez attaquent une station de TV d’opposition » résumait l’attaque et « précisait » : « […] Globovision est une petite station qui diffuse des programmes d’information critiques envers Chávez. » La « petite station » en question « couvre » plusieurs régions (dont Caracas) où vivent près de la moitié des vénézuéliens. Quant aux « programmes d’information critiques », nombre d’entre eux relèvent de la diffamation et de la désinformation. Le taire, c’est interdire de comprendre les motifs des assaillants, aussi condamnable que puisse être leur action. Et, information équilibrée : « Le gouvernement Chávez a condamné l’attaque, mais les propriétaires de Globovision disent soupçonner le président d’en être l’instigateur. ». Soit le type même de ces accusations qui entretiennent le « débat démocratique » au Venezuela. Plus précise, la dépêche de l’AFP témoignait d’une accusation légèrement plus prudente : « "Nous tenons le président pour responsable de ce qui s’est passé", a affirmé le directeur de la chaîne, Alberto Federico […]. »
Les dépêches de l’AFP font état des condamnations internationales, mais aussi de celle d’un « Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une organisation non gouvernementale basée à New York » - sans fournir la moindre indication sur la nature exacte des cette organisation [5]. En revanche, les condamnations de l’attaque par les autorités vénézuéliennes sont consciencieusement minorées, voire omises.
Des condamnations
Or dès le 3 août à 14h40 (alors que l’attaque avait eu lieu dans la matinée), on pouvait lire (et entendre) sur le site de VTV (Venezolana de Televisión) – la chaîne du gouvernement - une déclaration du Ministre de l’intérieur :
« Nous voulons, au nom du Gouvernement Bolivarien, condamner énergiquement et rejeter ce type d’actions violentes qui se sont produites à l’encontre de la chaîne Globovision. Nous n’acceptons pas que la violence soit l’instrument par lequel on tranche dans nos divergences. Nous avons, en conséquence, suivi strictement la loi et avons fait une démarche juridique vis à vis de la direction Nationale contre les Délits Organisés afin d’ouvrir l’enquête correspondante ; et quelle que soit la personne impliquée dans cette action violente et délictueuse, elle doit être mise à disposition de la justice vénézuélienne. » [6]
Le même jour, la ministre de l’Information et de la Communication du Venezuela, Blanca Ekhout, lors d’un contact téléphonique avec TeleSur confirme la déclaration du Ministre de l’intérieur et précise que ce sont les actions comme l’attaque à cette chaîne privée qui permettent aux médias d’opposition de « se victimiser afin de défendre leur agenda d’agression contre le Gouvernement bolivarien et contre le président légitime Hugo Chávez » Et d’ajouter notamment : « Jamais le gouvernement vénézuélien ne s’est comporté de la sorte : toujours il s’est tenu au respect du droit. Jamais les partisans de notre gouvernement et ceux qui ont défendu cette révolution (qualifiée de pacifique en dépit des agressions) n’ont cessé de respecter l’ état de droit ; nous avons agi sans accepter les provocations dans le but de maintenir la paix et la stabilité. » [7]
De ces déclarations, nous n’avons trouvé aucune trace dans les dépêches du même jour de l’AFP (du moins parmi celles que nous avons pu consulter). Et nous n’avons découvert que de rares allusions à ces déclarations sur les sites des quotidiens d’opposition du Venezuela. Ainsi sur le site de Tal Cual, cette « brève » elliptique, titrée « Il promet qu’il va “punir” les agresseurs » : « Le ministre de l’intérieur et de la justice Tareck El Aissami, manifeste son rejet et condamne l’action violente contre Globovision et assure qu’il a donné des instructions pour trouver les responsables. » La plupart de ces médias manifestent le même scepticisme. Et pourtant…
Le 4 août, Lina Ron, organisatrice présumée de l’attaque, se livre volontairement et est arrêtée. Une dépêche de l’ Agencia Bolivariana de Noticias (ABN) intitulée « Le Président Chávez informe de la détention de Lina Ron » [8] rapporte les propos suivants du président de la République : « Des événements de ce genre nuisent à la révolution socialiste car ils sont contre-révolutionnaires […] » Et après avoir fait état des remarques privées et publiques qu’il dit lui avoir adressées depuis longtemps : « La camarade Lina Ron fait du mal à la révolution. Elle fait le jeu de l’ennemi. » Enfin, après avoir annoncé la mise en détention de cette dernière : « Elle est arrêtée, il n’y a pas d’autre solution, elle a violé la loi et il faut lui appliquer la loi en toute rigueur ainsi qu’à ceux qui l’accompagnaient. On ne peut pas tolérer des actes de ce genre, qu’ils soient le fait de l’opposition ou de la révolution. »
Que reste-t-il des déclarations d’Hugo Chávez dans les médias d’opposition au Venezuela ? A dire vrai, pas grand-chose. Qu’en reste-t-il dans les médias français ? Presque rien, si l’on excepte une citation tardive dans le Monde. C’est ainsi que, le 7 août, au détour d’un article – « Au Venezuela, le projet de loi sur les "délits médiatiques" n’est plus d’actualité » - qui met bout à bout l’abandon de l’examen du « projet de la loi, la suspension de 34 radios et télévisions et l’attaque contre Globovision, l’on apprend ceci : « Le parquet a immédiatement ordonné la détention de la dirigeante politique. Chávez a approuvé la mise en détention de Lina Ron et critiqué publiquement l’agression contre le siège de Globovision ». Et l’auteure de l’article de citer Hugo Chávez : « "Des actes de cette nature ne peuvent être tolérés, qu’ils viennent de l’opposition ou non, qu’ils viennent de révolutionnaires ou de pseudo-révolutionnaires ou de qui que ce soit", a déclaré le chef de l’Etat. Lina Ron s’est livrée, mercredi, aux autorités. »
Qui sait ? Peut-être les lecteurs de la presse écrite ou électronique en France auraient-ils aimé en être informés immédiatement et en savoir plus ? Par exemple sur le fait que la condamnation politique de Lina Ron et son arrestation ont divisé ceux qui soutiennent le gouvernement, entre ceux qui approuvent ses prises de position et ceux qui déclarent une solidarité indéfectible avec Lina Ron et avec son action. Tout n’est pas simple, même au Venezuela !
Henri Maler
- Documentation réunie avec Raúl Guillén
– A suivre : Le « Projet de loi sur les délits médiatiques » et la suppression des licences des radios et télévisions.