Politique ou polémique ?
« Ecoutez la différence ». Ce slogan de France Inter suscite régulièrement notre intérêt pour cette radio. Malheureusement, nous sommes régulièrement déçus. La « différence », nous avions déjà relevé qu’elle ne se trouvait pas dans les invitations de la matinale de France Inter, ni dans l’émission dominicale de Roland Mihaïl, aujourd’hui disparue [1]. La différence ne se trouve pas non plus dans le choix des invités économiques, comme nous le signalions dans l’article « Les voix enchanteresses de l’économie ». Et en créant une variante hebdomadaire du « Téléphone sonne » (le vendredi de 19h20 à 20h) en septembre 2008, France Inter cultive sa ressemblance et s’aligne sur la concurrence, celle par exemple de l’émission de RTL « On refait le monde ».
Le titre de l’émission est trompeur, et, contrairement à sa version des autres jours, le « téléphone » du vendredi… ne « sonne » pas beaucoup. D’une façon générale, la parole est brièvement donnée à un auditeur pour lancer la discussion et maintenir une fiction d’ « interactivité », puis les « hostilités » s’ouvrent sans qu’on ait généralement prêté la moindre attention à « l’opinion » de l’auditeur, si tant est qu’il ait pu en exprimer une. En définitive, il y a au maximum un auditeur par sujet – au nombre de trois à cinq par émission.
Il semble en réalité que l’on ait cherché à modifier quelque peu le format de l’émission, sans trop le dire, pour disposer, dans une tranche horaire appropriée, de l’indispensable foire d’empoigne qui tient lieu de « débat politique », où plusieurs personnalités – représentant des options politiques assez peu diversifiées - comme on le verra – viennent « débattre ». Mais de quoi ?
De « polémiques » – un terme qui ne veut pas dire grand-chose, vu son inflation dans les médias, mais qui semble concurrencer celui d’« actualité », et permet de traiter la politique sous l’angle du fait divers. La polémique, c’est, indistinctement, les sujets d’actualité – ceux inscrits à l’agenda politique (et médiatique) du gouvernement, les petites phrases, les « scandales » ou les querelles de personnes [2]. Polémiques que l’émission entretient par la même occasion. Une énième variante des émissions de faux débats – dont il est difficile de prétendre qu’elles n’auraient aucune incidence sur le « débat » public.
Pluralisme anémié
Les invités se prêtent avec d’autant plus de grâce à l’exercice, qu’ils ont tout intérêt, pour la plupart d’entre eux, à cette mise en forme du débat. Le schéma de base d’une émission peut se présenter ainsi : un membre de l’UMP, un représentant de « l’opposition » – de préférence PS ou Modem –, un éditorialiste – de préférence de Marianne - au milieu, et Pierre Weill en chef d’orchestre. Avec cela, peu de chances d’entendre des notes discordantes.
Sur les 41 émissions diffusées durant la saison 2008-2009, il y a eu 84 invitations politiques. Parmi elles, 37 ont été attribuées à l’UMP, 24 au PS, 8 au Modem, 7 aux Verts et à Europe Ecologie, 3 au Parti de Gauche, 3 au Parti Communiste, 1 à Debout la République, et 1 à Lutte Ouvrière. Ainsi, près de la moitié des cartons d’invitation a été distribuée aux membres de l’UMP, et les trois quarts aux membres de l’UMP et du PS. Certains partis, comme le NPA ou le FN, n’ont quant à eux eu droit à aucune invitation... Pluralisme, quand tu nous tiens !
Il n’est pas surprenant non plus que les invités privilégiés soient ceux que l’on classe volontiers dans la catégorie « grande gueule ». Ainsi c’est Jean-Luc Mélenchon qui détient le record, avec 5 invitations [3], suivi de près par Frédéric Lefebvre, invité 4 fois. De préférence, d’ailleurs, on les invite ensemble, pour s’assurer d’une ambiance réussie – ainsi le 12 décembre 2008 et le 5 juin 2009 [4], deux émissions où pour faire bonne mesure Jean-François Kahn vient faire le troisième larron.
Du côté des invitations de journalistes, on constate la même concentration. Sur 41 invitations, Marianne (8 invitations – 10 si l’on compte Jean-François Kahn), Le Figaro (7), Le Monde (5), reçoivent la moitié des cartons d’invitation. Là encore, le choix est fait d’inviter des « vedettes ». On retrouve naturellement les habitués des plateaux : Franz-Olivier Giesbert (3), François d’Orcival (3), Alain Rémond (3), Edwy Plenel (2), Philippe Tesson (2), Jean-François Kahn, etc. Tous appartiennent aux médias dominants ou en sont issus. Les trois invités issus de médias plus « critiques » donnent surtout une idée du conformisme de toutes les autres : Daniel Schneidermann (ASI), Pierre Haski (Rue 89) et Guy Bedos (Siné Hebdo).
Si le poids de l’UMP est déjà écrasant, il est parfois renforcé par la présence récurrente, parmi les « journalistes » – censés porter, on l’imagine, une parole moins partisane – d’éditorialistes ouvertement sarkozystes. A cet égard, on notera d’ailleurs l’absence de journalistes issus de Libération, L’Humanité ou du Canard Enchaîné. Quoi qu’il en soit, et même sans prendre en compte le positionnement idéologique du PS (ni celui du présentateur), la radio généraliste du service public propose, certains vendredis soir, un débat politique singulièrement déséquilibré. Ainsi de l’émission du 7 novembre, où Malek Boutih (PS) fait face à Pierre Lellouche (UMP) et… Philippe Tesson ; ou de celle du 19 juin, où Nathalie Arthaud (LO) doit affronter Patrick Ollier (UMP) et… Franz-Olivier Giesbert.
Ce type de programme ne constitue ni une innovation ni une « différence » dans le paysage radiophonique français [5]. Donner la parole à ceux qui l’ont déjà partout ailleurs : le principe de tels « débats » n’a pas changé avec le temps. Et le manque d’invention de la forme continue d’accuser le manque de diversité du fond.
Mathias Reymond et Olivier Poche