Un cuisinier arpenteur
Sacré « meilleur intervieweur de France », par le magazine Elle du 17 mars 2008, Jean-Michel Aphatie avait confié à son blog, le 2 février 2007 : « Mon truc, c’est la cuisine [1] », et comme nous avons eu maintes fois l’occasion de le constater [2], le meilleur interviewer est l’un des meilleurs cuisiniers parmi les journalistes politiques. Un exemple du journalisme de microcosme qui nous intéresse à ce titre.
Jean-Michel Aphatie travaille pour une maison renommée. Le 4 février 2009, il confiait sur son blog que s’il se sentait si bien sur RTL c’était en raison d’« une tradition d’information de bon niveau, un savoir faire journalistique, une culture professionnelle , qui rendent cette maison attachante et qui nourrissent mon plaisir d’y travailler ». Aussi, concluait-il, « le désir de continuer à arpenter les chemins du journalisme à RTL est infiniment plus fort que tout le reste. »
Dernière étape de l’arpenteur de cuisine, donc, l’interview de Vincent Peillon, député européen et dirigeant du Parti Socialiste.
Questions pour un champion ?
Nous avons recueilli pieusement l’intégralité des questions (ou des interventions) de Jean-Michel Aphatie – qu’on a simplement regroupées par centre d’intérêt, avec des titres de notre choix, pour permettre une lecture rapide qui en saisisse toute la substance. Mais les détails méritent le détour :
– Le cas Aubry
- « On vous présente parfois Vincent Peillon, comme un premier secrétaire bis, comme un caillou dans la chaussure de Martine Aubry. Vrai ou faux ? »
- [Interruption pour préciser que Xavier Darcos, évoqué par Vincent Peillon avec qui il vient de co-signer un livre, « …n’est plus ministre de l’Education. Vous n’avez pas de chance... »)] Et…
- « Vous avez de l’amitié pour Martine Aubry […] Ecoutez-la hier soir à la Rochelle, elle est au micro d’Emmanuelle Julien, l’envoyée spéciale de RTL : "Je suis heureuse que tous les partis de Gauche aient décidé de venir ici non pas pour faire des belles photos, c’est pas le sujet". Et voilà, bang ! Vous vous l’aimez bien, mais elle, dès qu’elle le peut, elle vous tacle. »
– Le cas Bayrou
- « Alliance toujours. Le MoDem est-il de gauche ? »
- « Selon vous... Selon vous... »
- « Est-ce qu’ils sont de gauche ? »
- « Pour la petite histoire, vous avez des contacts avec François Bayrou ? »
- « Bon, c’est dommage… »
- « Enfin, si vous pensez qu’il est de Gauche, voyez, vous dites on parle avec tout le monde… »
– Le cas Strauss-Kahn
- « Tous les dirigeants socialistes sont désormais acquis à l’idée d’une primaire pour désigner un candidat de la gauche à l’élection présidentielle. Quand le Parti socialiste doit-il définir ce mécanisme, d’après vous ? »
- « Quel est le moment de la désignation idéal du candidat de la Gauche à l’élection présidentielle, d’après vous Vincent Peillon ? »
- « Comment allez-vous gérer le cas de Dominique Strauss-Kahn ? Selon les sondages, c’est le dirigeant socialiste le plus crédible pour la fonction présidentielle, et il est pris jusqu’en 2012 à la tête du FMI. Comment vous gérez cette question ? »
- « Posons la question autrement. Est-ce que la mise en place rapide du mécanisme des primaires n’est pas une manière d’exclure Dominique Strauss-Kahn de la course présidentielle ? »
- « En allant rapidement, vous excluez Dominique Strauss-Kahn de la mécanique… »
- « Oui mais alors, il devra démissionner du FMI... »
– Le cas Peillon
- « Question simple à Vincent Peillon […] Réfléchissez-vous à la façon, dont vous pourriez exercer la fonction présidentielle, un jour ? »
- « Vous vous excluez d’être candidat ? »
- « Vous êtes un dirigeant socialiste important, monsieur Peillon... »
- « Vous allez avoir 50 ans... »
- « Est-ce que vous excluez d’être candidat à l’élection présidentielle ou est-ce que vous y réfléchissez ? »
- « Dans l’intimité de votre réflexion... Vous excluez d’être candidat un jour, ou est-ce que vous y pensez quelque fois ? »
- « Quand on ne veut pas répondre aux questions qui sont posées, on y arrive, Vincent Peillon... »
Nous n’avons pas conservé les réponses, pour une raison que la lecture des seules questions permet de supposer : leur intérêt à peu près nul. Quel que soit l’interlocuteur, pour peu qu’il tente de répondre, comment pourrait-il en être autrement quand les enjeux politiques sont réduits à des jeux politiciens par celui-là même qui interroge... Plus intéressante : la placidité avec laquelle se livre M. Peillon à cet exercice, qui ressemble à un rituel aux règles obscures, mais apparemment parfaitement maîtrisées par les deux participants.
Quand M. Aphatie formule une question qui doit focaliser l’intérêt des auditeurs puisqu’elle taraude le journaliste « politique » – l’éventuelle candidature de Peillon… « un jour » (2012 ? 2017 ? 2022 ?) ! –, il ne manque pas de ténacité pour obtenir une réponse. Mais poser cinq fois une question inoffensive ou inepte ne la rend pas plus percutante et ne devrait pas valoir à l’interviewer un brevet d’intrépidité [3]. « Quand on ne veut pas » poser des questions qui ne réduisent pas la politique au petit jeu des ambitions personnelles, quel sens donner à cette obstination ? S’agit-il de faire preuve d’impertinence et d’indépendance en donnant une forme incisive à des questions subalternes ? De tester l’art de l’esquive de l’interlocuteur ?
De la cuisine à l’alcôve
Qu’est-ce que le journalisme pour l’arpenteur Aphatie ? Le 10 janvier 2007 sur RFI, il ouvrait une piste : « Je pense que le journaliste a une responsabilité, c’est-à-dire la responsabilité de dire ce qui est. Et le journaliste n’a pas à accompagner tel ou tel dans sa quête ou dans sa conquête du pouvoir. Ca, c’est très clair. Le journaliste doit rester à sa place. Et, sa place, ce n’est pas avec ceux qui gouvernent ou qui veulent le faire. Sa place, c’est avec les citoyens qui cherchent à comprendre. Alors, ça, il ne faut pas l’oublier ». Nous ne l’oublierons pas…
Mais comprendre quoi ? Ecoutons encore le « meilleur interviewer de France ».
A propos de la publication par Paris Match, en février 2009, d’une photo de Ségolène Royal à Marbella avec son prétendu nouveau compagnon, Jean-Michel Aphatie déplore [4] l’absence d’« une réflexion sur le journalisme, ce qu’il peut faire, doit faire, ce qu’il doit au lecteur, le moment où il va trop loin. Il n’y a même pas dans les pages des journaux ce matin, une distinction entre intérêt commercial d’un scoop et intérêt journalistique pour le lecteur. A croire même que pas un journal ce matin n’a lu Paris-Match pour constater, par exemple, la vacuité du scoop. A part, les photos, rien, pas une information intéressante sur ce couple. Vivent-ils ensemble depuis longtemps ? Où se sont-ils rencontrés ? Qu’est-ce qui les rapproche ? Qui est cet homme ? La part minimale de journalisme n’est même pas remplie ».
Faut-il en conclure qu’emprunter « les chemins du journalisme » en compagnie de Jean-Michel consiste en somme... à rejoindre la cuisine en passant par l’alcôve ?
Olivier Poche