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BHL, Bernard Guetta et Nicolas Demorand sous le mur de Berlin

par Mathias Reymond,

Les vingt ans de la chute du mur de Berlin. Impossible d’y échapper. Le temps d’une journée, les stations France Inter, France Culture, France Info, Le Mouv’, France Bleu, France Musique et Fip… ne sont devenues qu’une : Radio France. Un seul sujet, un seul point de vue, un seul média. Ce 9 novembre 2009, le patron de Radio France aurait-il voulu nous proposer une parodie « soft » de ce qu’était la radio est-allemande à l’époque de la RDA ? En tout cas, il faut le remercier pour ce chef d’œuvre de pédagogie obligatoire, ponctué par quelques échanges historiques…

Lors de la matinale de France Inter, consacrée donc à l’anniversaire de la chute du mur de Berlin, plusieurs invités étaient conviés à s’exprimer au micro de Nicolas Demorand. La dernière partie de l’émission – de 8 heures 43 à 9 heures – proposait une « table ronde », que l’on peut visionner en intégralité sur Dailymotion réunissant les invités de la matinale (le pasteur Rainer Eppelmann, le président de la radio Deutschlandradio, Willi Steul, et le dernier Premier ministre est-allemand Hans Modrow) et deux nouveaux venus, Charles Fiterman et un philosophe méconnu du public : « Viennent de nous rejoindre : Charles Fiterman, ancien ministre communiste dans le gouvernement de Pierre Mauroy 1981-1984 (…). A vos côtés, se trouve le philosophe Bernard-Henri Lévy. »

Nicolas Demorand, porte-micro de Bernard-Henri Lévy

… Un philosophe trop souvent silencieux : ce n’était que la sixième invitation dans le 7-10 de Demorand depuis septembre 2007. Il était déjà venu faire la promotion de son livre co-écrit avec Michel Houellebecq (10 octobre 2008), on l’avait entendu soutenir la députée néerlandaise d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali menacée de mort (7 février 2008), donner son avis sur l’affaire de l’Arche de Zoé (5 novembre 2007), faire le point sur l’état de la gauche française à l’occasion de la sortie d’un de ses livres (9 octobre 2007), et commenter un documentaire élogieux qui avait été fait sur sa personne (4 février 2009). Le 9 novembre 2009, il est présent pour célébrer son propre rôle dans la chute du mur de Berlin. Et demain ?

Courbette obligatoire et silence imposé devant le Grand Philosophe : Nicolas Demorand fait tourner la « table ronde » autour de son invité. Sa première question s’adresse, politesse oblige, à… Bernard-Henri Lévy : « il y a vingt ans, vous faisiez quoi, Bernard-Henri Lévy ? » (0’52’’). Sa deuxième question s’adresse forcément à… Bernard-Henri Lévy : « Comment vous avez reçu, perçu cet évènement ? » (1’08’’). Pour la troisième question, Demorand se tourne naturellement vers... Bernard-Henri Lévy : « Et pour vous, Bernard-Henri Lévy, qui à travers vos livres aviez mené le combat intellectuel on va dire, contre le communisme, est-ce que ça avait aussi intellectuellement une dimension, peut-être même une saveur particulière ? » (1’31’’)… Avant de poser sa quatrième question à … Bernard-Henri Lévy : « Vous avez cité, Bernard-Henri Lévy, un certain nombre de noms, un certain nombre de noms de penseurs, d’essayistes, ces noms-là font partie de la grande famille anti-totalitaire. Est-ce que vous pouvez resituer ce courant ? » (3’03’’). Quant à la cinquième question, elle s’adresse évidemment, à… Bernard-Henri Lévy : « Les choses peuvent peut-être prendre des formes différentes, Bernard-Henri Lévy, mais est-ce qu’il n’y a pas tout de même, si vous l’analysez avec bienveillance, dans cette idée de Tzvetan Todorov, est-ce qu’il n’y a pas tout de même quelque chose de vrai ? » (4’22’’) Depuis près de six minutes, Bernard-Henri Lévy, devenu l’expert incontournable des pays de l’est, a la parole. Alors que parmi les cinq invités, quatre n’ont jamais été conviés dans la matinale de France Inter avant ce matin-là, Nicolas Demorand, sans complexe, pose une sixième question à… Bernard-Henri Lévy : « Bernard-Henri Lévy, l’idée de fin de l’Histoire, vous y avez fait rapidement allusion à l’instant, c’est l’une des grandes illusions qui suit la chute du mur de Berlin. On voit qu’il n’en est absolument rien. » (5’56’’) La table ronde (sic) entame sa septième minute, quand Demorand, plutôt que de couper BHL, préfère accompagner son propos : « Et la tragédie se porte bien, hein ? » (7’13’’)

La parole est à Bernard-Henri Lévy :

Bernard Guetta et BHL : résistants des ondes

Il a donc fallu attendre sept minutes et trente secondes avant que Nicolas Demorand se décide (enfin !) à donner la parole à un autre invité (Charles Fiterman). Mais après quatre minutes, celui-ci doit s’effacer pour laisser à Bernard Guetta le soin, non pas de poser une question à proprement parler, mais d’instruire un véritable procès qui occupera les six dernières minutes de la matinale et donnera à Bernard-Henri Lévy l’occasion de prononcer la sentence.

- Nicolas Demorand : « A mes côtés, Bernard Guetta pour une question à Hans Modrow. »

- Bernard Guetta : « Oui monsieur Modrow, je vous entendais dire tout à l’heure, et ça m’a beaucoup surpris, à quel point vous étiez déçu qu’il y ait une intervention allemande aujourd’hui en Afghanistan. Mais enfin, si mes souvenirs sont bons, vous apparteniez à la direction d’un Parti communiste est-allemand qui avait non seulement approuvé, mais demandé à l’Union Soviétique l’intervention contre le printemps de Prague. Est-ce qu’il n’y a pas, pardonnez-moi de la dureté de mon mot, une certaine obscénité de votre part, à vous élever aujourd’hui contre cette guerre en Afghanistan, alors que vous avez participé, souhaité, demandé, l’écrasement du Printemps de Prague ? » (11’52’’)

Nicolas Demorand avait déjà interrogé Hans Modrow à 8h20. Adhérent du SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – le parti communiste est-allemand), Hans Modrow, après avoir exercé diverses responsabilités pour le compte de ce parti, était devenu une figure « réformiste » du Politbüro, soutenue par Mikhaïl Gorbatchev. Dernier Premier ministre de RDA (1989-1990), il avait contribué à sa façon à la réunification pacifique de l’Allemagne. Devenu ensuite député PDS au Bundestag et au Parlement européen, il est aujourd’hui président d’honneur de Die Linke, le parti de la gauche de gauche en Allemagne. Certes, le rôle des journalistes n’est pas de servir la soupe aux hommes politiques, mais était-il nécessaire et justifié de la part de Bernard Guetta d’intenter un procès en « obscénité » ?

Faut-il comprendre que si Bernard Guetta pose cette question c’est parce qu’il condamne, quarante ans plus tard, l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie et qu’il soutient ouvertement, aujourd’hui, l’intervention militaire en Afghanistan ? [1] Quelques instants plus tard, Bernard Guetta revient à la charge : « Sur le Printemps de Prague, vous regrettez ou pas cette intervention soviétique, cette guerre ? » S’il avait commencé par cette question, il ne serait pas soupçonnable de propagande en faveur de l’OTAN…

Mais nul doute que le chroniqueur de France Inter aurait interrogé sur leur « obscénité », Mikhaïl Gorbatchev au sujet de l’intervention soviétique, ou les anciens présidents des États-Unis à propos de l’invasion du Viêt-Nam.

Or, pendant que Hans Modrow rappelle qu’il s’est excusé auprès du peuple de la Tchécoslovaquie, qu’il est contre les guerres, qu’il regrette l’intervention soviétique en Afghanistan, et que, précise-t-il, tout n’est pas comparable (l’Afghanistan en 2009 et Prague en 1968), Nicolas Demorand se penche vers BHL, pour se concerter avec lui. Lui annonce-t-il qu’il va lui donner la parole ?

- Nicolas Demorand, évidemment : « Bernard-Henri Lévy, un mot ? » (15’14’’)

Un mot ? Non. Un torrent de mots, un fleuve de phrases, une marée de paroles. BHL inondera Radio France jusqu’à la fin de l’émission pour « se faire » l’invité et donner raison à Bernard Guetta. Rarement un invité s’était retrouvé harcelé à ce point dans la matinale de France Inter. Après une courte réponse de l’accusé, le philosophe pour médias prononce la sentence finale : « Vous étiez des hommes glacés, vous étiez des hommes de marbre, vous étiez des hommes de pierre, animés par une idéologie de granite, et avec ce qu’il y a de plus glacé au monde : qui est la violence des armes, quand vos sentinelles flinguaient les pauvres gens qui tentaient de passer le mur. » (16’52’’)

Sans doute tous les murs n’ont-ils pas la même signification et la même portée. Mais, sans que cela excuse si peu que ce soit le « flingage » de 18 Allemands de l’Est tués en moyenne chaque année en tentant de passer à l’Ouest entre 1961 et 1989, on est en droit de se demander si BHL aurait été aussi virulent à l’égard de George Bush Jr ou de Barack Obama en leur rappelant que chaque année depuis 2000, plus de 407 mexicains sont tués en tentant de passer aux États-Unis ? [2] Aurait-il prononcé une condamnation semblable contre les responsables des crimes de guerre à Gaza et de l’édification du « mur de séparation » entre Israël et les territoires occupés ?

BHL est BHL. Soit. Mais pourquoi fallait-il qu’il lui soit ainsi laissé le dernier mot ? Or la vidéo – magie d’Internet ! – montre que Nicolas Demorand qui a complaisamment donné la parole à Bernard-Henri Lévy pour qu’il achève le procès instruit par Bernard Guetta, la refuse à Charles Fiterman, alors que celui-ci la demande pendant le long monologue du chouchou de Nicolas Demorand (comme le montre l’image ci-dessous).

Une « table ronde » ? Non. Le nième show de Bernard-Henri Lévy mis en scène par Nicolas Demorand, en attendant les prochaines invitations.

Mathias Reymond
Avec Ricar au montage vidéo.

 
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Notes

[1A plusieurs reprises dans ses chroniques matinales, Bernard Guetta a affiché son opposition au retrait des troupes de l’OTAN, et des troupes françaises en particulier, de l’Afghanistan. Le 22 septembre 2008, il déclarait par exemple, que l’« on ne peut pas souhaiter que députés et sénateurs votent « non » [au prolongement de l’intervention militaire en Afghanistan] car un retrait de la France en entraînerait bientôt d’autres. » Ou plus récemment (29 octobre 2009), il affichait son désaccord avec Dominique de Villepin, partisan du retrait, affirmant que si l’OTAN « devait s’en retirer à brève échéance, elle ne ferait pas que concéder à l’islamisme une victoire dont il s’enivrerait. Elle laisserait aussi l’Asie face à ses conflits, sans la moindre garantie de ne pas en subir les retombées. »

[2Source : Le cahier d’été du Plan B, hors-série, été 2009.

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