Qu’apprend-on quand on lit le « making-off » publié dans Libération du 20 novembre (et que nous n’avons pas retrouvé « en ligne » au moment où nous écrivons), sous le titre « Troisième mi-temps à Libé » ? Que la rédaction de Libération est partagée : « Une fracture pareille à Libé, cela remonte au moins au référendum sur l’Europe… » Un débat animé, nous dit-on, lors de la conférence de rédaction du matin : « Sur le terrain des idées, deux équipes retranchées derrière leurs certitudes footballistiques. D’un côté, donc ceux qui s’indignent, plutôt minoritaires il est vrai) » et « en face » ceux qui soutiennent que l’erreur d’arbitrage fait partie du match. « La journée allant, personne ne cédera le moindre pouce de gazon. Mais puisque Libé voit des mains partout il les met dans ses pages [3 pages et la « une »]. Et puis on décide de ne pas faire d’édito pour ne pas se bouffer les crampons. Mais on a oublié le coach Laurent. Pas d’édito mais un billet en une » .
En effet, à Libération « on décide » de ce qu’on fait ou qu’on ne fait pas, à condition que le « coach Laurent » ne décide pas le contraire. Or Laurent Joffrin, nouveau Martin Luther King, a fait un rêve. « Faisons un rêve », dit-il. Et il le dit à la « Une » de Libération, dans un « billet » (un « billet », pas un éditorial, notez bien !…) dont le titre dit tout : « Rêvons, rejouons le match ».
Peu nous importe ici l’opinion de Laurent Joffrin. Sur les conditions de la qualification de l’équipe de France contre l’équipe d’Irlande, il y a beaucoup à dire – du moins à en croire tout ce qui se dit un peu partout. N’en rajoutons pas : cela ne relève pas de la critique des médias.
Mais que la main de Thierry Henry mérite la « Une » de Libération et, surtout, que celle-ci soit décorée par un « billet » de son hyperprésident, alors que la rédaction a renoncé à rédiger un éditorial, voilà qui laisse songeur.
Que Laurent Joffrin se soit réservé la « Une » (et non quelques lignes en pages « Rebonds », comme il arrive qu’il le fasse) pour rappeler à sa rédaction qu’il en est son arbitre suprême, cela vaut bien que nous réservions une « brève » (mais guère plus) à cet étrange comportement.
Celui qui, inquiet, interrogeait Sarkozy sur l’existence d’une éventuelle « monarchie élective » [1] s’est, triomphal, couronné lui-même en « monarque médiatique »… Un étrange comportement… Anecdotique ? Sans doute. Symptomatique ? Certainement.
Henri Maler
NB. Moins anecdotiques : le football marchand, inféodé aux grands médias et les grands médias inféodés au football marchand ; les compétitions européennes qui mettent aux prises des équipes dont la valeur sportive dépend de la valeur marchande des joueurs qu’elle peuvent s’offrir et les compétitions médiatiques autour d’un « mieux disant » sportif qui se confond avec le mieux disant financier. Nous y reviendrons…