La veille de la fameuse rencontre, vendredi 13 novembre, donc, Ségolène Royal prévient sur son site « Désirs d’Avenir » qu’elle sera finalement présente. Vincent Peillon le regrette aussitôt sur Europe 1, en prévoyant à regret et avec perspicacité, un « coup médiatique ». Il rappelle que la présence de « présidentiables » n’était officiellement pas souhaitée : ainsi, il faut comprendre que l’aura médiatique de ces personnalités est jugée néfaste au débat, et que leur exclusion relève bien d’une stratégie « médiatique » - et même anti-médiatique. Mais la présence de Royal et ses effets médiatiques auront beau avoir démontré plus que nécessaire le bien-fondé d’une telle stratégie, Vincent Peillon ne trouvera jamais le temps – malgré la grande surface médiatique dont il va jouir – de l’expliciter, ou même d’y revenir.
Une annonce fracassante
Le lendemain, comme toute information d’importance, l’annonce de la présence de Royal est relayée par les trois grands quotidiens. Le plus sobre, Le Monde, se contente d’une simple brève dans les pages « France », dont le titre dit l’essentiel (« Vincent Peillon dénonce les coups médiatiques de Ségolène Royal »), mais dont le contenu signale tout de même ce qui est d’ores et déjà, médiatiquement, l’accessoire : la tenue d’une rencontre sur l’éducation à Dijon.
Le Figaro du samedi 14-dimanche 15 novembre signale en « Une » le déplacement à Dijon de Ségolène Royal : sous une photo de celle-ci, le quotidien indique que « Ségolène Royal relance le débat sur une alliance avec le Modem ». Cette annonce de « Une » donne le ton de la « couverture » de l’événement : « Elle n’était pas invitée, mais elle viendra quand même. Ségolène Royal devrait être aujourd’hui l’attraction du colloque sur l’éducation qui réunit à Dijon autour du socialiste Vincent Peillon des écologistes et des personnalités du Modem ». En page 4, un article d’une demi-page « analyse » l’attitude de Royal et « l’agacement » de la rue de Solférino. Pas un mot sur le fond, mais au moins, on sait pourquoi : aux yeux du Figaro, c’est une « réunion prétexte pour ces partisans de l’alliance au centre » [1]. Et Le Figaro rappelle qu’« officiellement aucun présidentiable ne devait faire le déplacement », sans craindre… de signaler les craintes de Vincent Peillon : « Le coup de com’ effaçant le débat de fond ». Mais qui manie la gomme ?
Libération, lui, ne l’annonce pas en « Une » – il est vrai que Ségolène Royal l’occupe déjà pour son « pass contraception », qui fait l’objet, avec sa promotrice, des trois premières pages. Qu’à cela ne tienne, le déplacement de la dirigeante socialiste (qui n’a pas encore eu lieu…) est disséqué un peu plus loin, dans une analyse qui occupe une page entière, rédigée à quatre mains, et intitulée « Royal pimente le bœuf bourguignon ». Après avoir évoqué « le casting initial », on analyse les intentions de Royal (« se réinstaller en pointe sur un dossier emblématique, celui de l’alliance avec le Modem »), tout en rappelant, sans vergogne, la volonté de Vincent Peillon : « il ne s’agit pas aujourd’hui de se focaliser sur des alliances, mais de lancer des débats de fond ». Ne focalisons pas...
Un débat fracassé
La venue de Ségolène Royal a provoqué alors les remous que l’on sait. Et que l’on sait grâce aux médias, puisqu’ils ont copieusement relayé les petites phrases et les attitudes des uns et des autres, à grand renfort d’articles, reportages, interviews, commentaires… A lire, écouter ou voir ces mêmes médias, on pourrait même se demander si des « débats de fond » ont bien eu lieu. Tout ce que l’on peut en savoir d’après ces mêmes médias qui ne les ont jamais pris pour objet, c’est que ces fameux « débats de fond » ont été « occultés ». Mais par qui ? Par « la venue de Ségolène Royal » et par elle seule ?
Les radios ou les télévisions étant réputées plus « superficielles », c’est de trois grands quotidiens, réputés « sérieux », que l’on aurait pu attendre une réponse à cette question.
Le Figaro évoque l’événement dans un titre de « Une » (avec photo) : « Le coup d’éclat de Ségolène Royal bouscule ses amis du PS ». La page trois est intégralement (moins un encart de pub) consacrée à ce « coup d’éclat ». Deux articles dont le titre dit assez la place que va y occuper « l’événement politique majeur » que, selon Vincent Peillon cité par Le Figaro, Ségolène Royal « est venue abîmer » : « Ségolène Royal et Vincent Peillon règlent leur compte » [2], et « A Dijon, la recherche d’une nouvelle alliance à gauche occultée par l’ex-candidate ». On notera, comme seules allusions à la rencontre proprement dite : la demi-phrase suivante « Eclipsé, le débat portant sur les sujets d’éducation depuis le matin » ; la mention de la présence d’un « prof » (qui « grince » en parlant de « hold-up »…) ; et, dans une déclaration de Menucci, l’évocation d’un mystérieux « atelier violence ». On n’en saura pas plus, cet atelier n’étant visiblement pas « l’attraction » de la journée.
Un éditorial intitulé « la comédie de Dijon » achève le tableau : « Heureusement que Ségolène Royal est là pour égayer cette époque un peu morose. Sans elle, ce week-end de novembre aurait suinté la mélancolie ; grâce à elle, on a bien ri ». Au moins, cela a l’avantage de la clarté. Analysant sans complexe le « coup médiatique » de Ségolène Royal, et la comparant à Martine Aubry, l’éditorialiste s’étonne : « il suffit qu’elle ouvre la bouche pour qu’on n’entende qu’elle ». Mystère des voix des « stars »...
À Libération, on n’est pas en reste. L’affaire du « Royal bazar » s’étale en « Une » - et bénéficie des trois premières pages du quotidien [3]. Et d’abord de l’éditorial du « coach » Laurent Joffrin, qui fustige Ségolène Royal d’avoir « transformé une honnête tentative de convergence en show de la désunion. Un colloque de travail consacré à l’éducation, destiné à montrer que l’opposition, dès lors qu’elle travaillait de concert, avait des propositions crédibles à présenter, a été changé en vaudeville socialiste, avec portes qui claquent, répliques assassines et chassés-croisés furibards ». Mais qui tient la baguette magique ? Du « colloque de travail » proprement dit, ou des « propositions crédibles » qui ont été formulées, on chercherait vainement la trace dans les trois pleines pages que Libé consacre à l’affaire.
On commence avec une « Analyse » dont le titre dit presque tout : « Royal court après ses troupes ». Cette analyse est synthétisée dans un « encadré » intitulé… « l’essentiel » [sic]. Sous ce titre burlesque, on peut lire : « Le contexte : Ségolène Royal s’est invitée samedi à la réunion organisée par Vincent Peillon, avec nombre d’opposants à Nicolas Sarkozy. L’enjeu : pour l’ex-candidate, il s’agit de reprendre la main sur L’Espoir à gauche, le courant qu’elle a créé ». L’essentiel, donc.
L’analyse est complétée par une interview de Vincent Peillon, dont le titre – « Elle a bel et bien perdu pied » – résume le contenu, que l’on peut aisément imaginer en lisant les questions :
- « Avec le recul, comment jugez-vous sur [sic] la venue surprise de Ségolène Royal à Dijon ? »
- « De fait difficile d’accorder crédit à un rassemblement des communistes au Modem dès lors que deux socialistes du même courant s’y affrontent... »
- « Pourquoi s’est-elle invitée ? »
- « Dans sa séquence politique [re-sic], comment analysez-vous l’épisode ? »
- « Comment jugez-vous sa position actuelle ? »
- « Quel effet cela fait-il d’avoir été "recadré" selon les mots de Royal ? »
- « Comment, après cet épisode, faire vivre le rassemblement ? »
- « Avec Ségolène Royal ? »
Répondant à la première question, Vincent Peillon évoque la rencontre de Dijon comme « un lieu d’espoir, où on travaille sur le fond avec les syndicats, les associations... La venue de Royal a donc masqué le débat de fond, occulté les propositions des participants ». Propositions qui ne feront pas l’objet de la moindre question du journaliste, sans que cela ne gêne le moins du monde Vincent Peillon, qui répondra de bon cœur à ces huit questions. « Sur le fond » ?
Libération poursuit la publication de son « enquête » grâce à deux articles qui remplissent la page 4. Avec quoi ? Un « récit », celui de « la rupture en direct avec Peillon ». Le sous-titre est sans surprise : « la venue de l’ex-présidentiable a occulté les débats entre PS, Europe Ecologie, les Verts et le Modem » ; et le tout est signé « de notre envoyé spécial à Dijon » – car Libé a dépêché sur place un envoyé spécial, comme, on l’imagine, pour tout colloque sur l’éducation. Et ledit « envoyé spécial » raconte – « l’essentiel », là encore : l’accueil de Ségolène Royal par François Rebsamen, son arrivée, son déjeuner, son huis-clos avec Rebsamen et Peillon, son interview à la presse. Et pour finir, quelques commentaires, ceux de Robert Hue et de Marielle de Sarnez, et un extrait du discours de Vincent Peillon à la tribune : « nous refusons la politique des coups médiatiques ». Mais de quelle manière ? Et comment, quand le « coup médiatique » repose sur la contribution des médias ?
Un récit, donc, et, inévitable… un sondage, présenté et commenté sous le titre : « L’union, le peuple de gauche voudrait y croire ». Un sondage auquel Joffrin fait dire n’importe quoi dans son éditorial [4]. Mais passons.
Passons au Monde qui, dans son édition datée du mardi 17 novembre, se rattrape de sa simple brève de la veille. « L’événement » du week-end est cette fois annoncé en « Une », et bénéficie d’une chronique en page 2. Signée Gerard Courtois, intitulée « du romanesque en politique », elle brosse un portrait comparé de Ségolène Royal et de François Hollande, pour conclure rêveusement qu’« un match Royal-Hollande lors de la primaire pour 2012 n’est ni impossible, ni même improbable. Le romanesque serait garanti ». Et il aurait déjà trouvé son chroniqueur.
Page 11, un article d’une demi-page évoque le « retour fracassant de Mme Royal dans les débats socialistes ». Selon le rituel observé ailleurs, on raconte les anecdotes dijonnaises, le « savant jeu de chaises musicales » auquel se sont par exemple livrés Peillon et Royal lors du déjeuner... tout en dressant sobrement le constat qui s’impose à l’observateur extérieur : « à Dijon, les débats prévus sur l’éducation auront été largement éclipsés ».
Largement, mais pas totalement. Car l’article est complété par un encadré : intitulé « le rassemblement social, écologique et démocrate est né », on y apprend qu’« au terme des débats consacrés à l’enseignement, les participants ont publié un texte qui propose "un nouveau contrat entre l’école et la nation" ». Et Le Monde, magnanime, consent d’ailleurs à en citer une demi-phrase tronquée [5]. C’est à cela, sans doute, qu’on reconnaît un journal de référence.
Tout a été dit sur ce pathétique épisode. Tout ? Pas tout à fait. Car si tout le monde, médias en tête, évoque, ne serait-ce qu’en citant Peillon, cette stratégie de « coups médiatiques », personne n’a eu le mauvais goût de rappeler qu’un « coup médiatique » est toujours une coproduction, ni l’audace de relever le rôle des médias dans la mise en œuvre de cette stratégie. Qu’ils analysent le « coup » qu’ils contribuent à faire exister ou qu’ils l’évaluent (généralement pour tancer son auteur), les journalistes politiques assurent sa promotion. Et les responsables politiques qui condamnent les « coups », du moins quand ils viennent de leurs adversaires (comme ce fut encore le cas de la visite de Nicolas Sarkozy dans « le 93 », quelques jours plus tard), s’abstiennent prudemment de s’interroger publiquement sur le rôle des médias dans « l’occultation des débats de fond » qu’ils sont si prompts à déplorer.
Olivier Poche