Quel est le rôle de la liberté de la presse et du pluralisme dans la démocratie ? Quel est le pouvoir des médias ou, plus précisément, quels pouvoirs exercent-ils dans l’espace public ? Il y a là autant de questions qui peuvent être abordées indirectement en posant cette autre question : quels sont les enjeux démocratiques de la critique des médias ?
C’est pourtant une question que refusent de poser la plupart des responsables éditoriaux (et leurs compagnons de route qui se piquent de philosophie ou de sociologie), puisque, à leurs yeux, toute critique qui ne vient pas d’eux ou qui n’a pas reçu leur aval constituerait un danger considérable pour la démocratie. Or, c’est précisément cette espèce de chantage qu’ils tentent d’exercer sur toute critique indépendante qui constitue le véritable péril pour la démocratie.
Quels sont donc les enjeux de la critique des médias telle qu’elle est pratiquée par une association comme Acrimed ou par les associations de journalistes et de professionnels des médias qui ne se contentent pas de défendre (contrairement à ce que l’on croit) les intérêts purement catégoriels de la profession ? On peut en dégager trois qui sont : informer, contester et proposer.
Informer
Critiquer les médias c’est d’abord exercer ce droit démocratique s’il en est : le droit d’informer sans contraintes ni censures. En l’espèce, il s’agit d’informer sur l’information. Or les capitaineries commerciales des médias ont la haute main sur les conditions de travail dans les entreprises de presse dont dépendent pour une large part le contenu et la qualité de l’information produite et sont engagés dans les stratégies des groupes de presse dans un concert fortement empreint de libéralisme galopant. Avec les chefferies éditoriales, elles détiennent finalement un quasi-monopole de l’information sur l’information : sur son contenu et sur les conditions de sa production. C’est ce monopole qu’il s’agit de briser [2].
Plus généralement, les journalistes prétendent enquêter sur tous les milieux sociaux, par exemple sur les enseignants et leur « malaise » (puisqu’il parait qu’un enseignant qui revendique, c’est un enseignant qui éprouve un « malaise »). Alors, de quel droit refuseraient-ils que l’on enquête sur les métiers et les pratiques du journalisme ? Ou plutôt pourquoi se réserveraient-ils non seulement le monopole de l’enquête mais aussi celui de décréter quelles sont les enquêtes légitimes et celles qui ne le sont pas ? On retrouve là un problème classique qui a été posé depuis très longtemps par la philosophie politique : qui gardera les gardiens ou qui jugera les juges ? Le droit d’informer et d’être informé est le fondement d’une liberté de la presse qui est l’un des garants fondamentaux du droit à l’information. Mais il n’existe aucune raison pour que le droit d’informer soit le monopole d’une profession particulière et, au sein de cette profession, de ceux qui sont situés au sommet de sa hiérarchie, surtout lorsque, exception faite des syndicats de journalistes, les porte-voix de cette profession refusent d’informer sur elle ou n’acceptent de le faire qu’à leurs propres conditions, c’est-à-dire, le plus souvent, a minima.
Le premier enjeu démocratique de la critique des médias consiste donc à briser le quasi-monopole de l’information qui s’exerce sur les conditions de production de l’information, avec pour objectif de rendre accessibles au plus grand nombre des outils pour comprendre (et non pas simplement pour dénoncer) et des moyens d’expression spécifiques et indépendants. Quoi de plus démocratique que de rendre accessibles les travaux des chercheurs en les faisant sortir des enceintes académiques ou des cercles professionnels et d’élargir les possibilités d’expression publique des citoyens au-delà des « courriers des lecteurs », très contrôlés par les rédactions ?
Mais analyser et comprendre ne signifie pas accepter la réalité telle qu’elle est. C’est en fait la condition indispensable à une contestation rationnelle, qui est elle-même le préalable à un changement démocratiquement choisi.
Contester
Pourquoi faudrait-il entériner les tendances les plus lourdes qui pèsent sur les conditions de production de l’information, et cela d’autant plus que ces tendances ne pèsent pas uniformément et doivent composer avec l’existence de résistances et de contre tendances ? Ces tendances qui ne sont, en effet, ni inoffensives (comme voudraient le faire croire les docteurs en déontologie impuissante) ni naturelles (et c’est en cela qu’elles peuvent être remises en cause) participent à la mutilation de la démocratie. Trois processus majeurs peuvent être, à cet égard, relevés [3].
1. Des médias de plus en plus concentrés et financiarisés. Ces deux processus vont de pair. Le processus de « financiarisation » est décisif. Il implique que les entreprises médiatiques concentrées ne visent plus seulement à être rentables (ce qu’elles sont difficilement dans la presse écrite), mais profitables comme dans n’importe quel autre secteur économique. L’objectif n’est pas seulement de dégager des marges bénéficiaires qui leur permettent de payer leurs salariés et d’investir pour accroître leur capacité d’informer, mais de dégager des taux de profit équivalents à ceux qu’ils pourraient espérer dans l’automobile, la construction ou les ventes d’armes, afin d’augmenter les dividendes de leurs actionnaires. Les premiers clients de ces médias concentrés et financiarisés ne sont pas réellement les « consommateurs », mais les actionnaires et les publicitaires. Les conséquences sont considérables à la fois sur la nature de l’information produite, sur les conditions de sa production, sur les métiers de l’information. Ces tendances pèsent, indirectement, sur les médias qui ne leur sont pas directement assujettis. Elles pèsent, par exemple, sur le secteur public de la télévision par exemple dès lors qu’il se bat sur le même terrain et avec les mêmes armes financières que celles du secteur privé, la redevance ne suffisant pas à couvrir ses besoins. Elles pèsent également sur la presse écrite : non seulement sur la presse magazine mais également sur la presse généraliste qui, à défaut d’être profitable et même souvent rentable, tente de sauver ce qui peut l’être, en se soumettant à des groupes financiers ou en s’efforçant d’échapper à leur emprise par des moyens similaires, comme le montre l’exemple du Monde [4].
2. Un pluralisme de plus en plus anémié et mercantile. Personne ne songe à nier l’existence du pluralisme de la presse. Encore faut-il souligner que la pluralité des médias n’est pas, par elle-même, une garantie de leur diversité culturelle, sociale et politique [5] et que cette pluralité et cette diversité ne sauraient être simplement soumises aux lois du marché. D’abord, non seulement la pluralité des journaux généralistes n’a cessé de se réduire, au point qu’il existe des situations de monopole ou de quasi monopole dans la presse régionale, mais les effets potentiels de la pluralité des supports (écrits, audiovisuels, électroniques) sont neutralisés par l’existence de groupes multimédias [6]. Ensuite, le déclin de la presse de parti a laissé le champ libre à une presse de parti pris qui ne dit pas son nom, et plus généralement à des médias d’opinion qui, sous couvert de consensus, ne laissent le choix qu’entre deux variantes du libéralisme économique : le libéralisme outrancier et le libéralisme discret. Enfin, la polarisation traditionnelle entre une presse réputée « sérieuse » et une presse ouvertement « commerciale » ne cesse de se réduire. Certes, Le Monde n’est pas Voici ! Mais, à lire certaines pages magazines des quotidiens ou de certains hebdomadaires, force est de constater que le « people » pour « cadres actifs » - comme disent les publicitaires – n’a rien à envier, si l’on se garde de tout mépris élitaire, au « people » … pour le peuple [7]. Faut-il se résigner, comme le font ceux à qui le marché tient lieu de cerveau, à confier le pluralisme à la segmentation des marchés et à confondre la diversité des citoyens avec celle des consommateurs ? Et faut-il accepter que les journalistes subissent de plein fouet les conséquences des formes néolibérales du salariat ?
3. Un journalisme dépendant et fragilisé. Une des grandes conquêtes du journalisme pendant l’entre-deux-guerres, qui s’est prolongée ultérieurement pour gagner, après bien des vicissitudes, la télévision, a été la professionnalisation du métier de journaliste qui lui permettait d’être plus ou moins indépendant du pouvoir politique [8]. Or ce journalisme-là, s’il existe toujours, est compromis par le développement d’un journalisme formaté, concurrencé, précarisé. Ce serait une erreur de penser que, du moins dans les périodes de faible conflictualité sociale et politique, c’est l’intervention directe des propriétaires qui met en péril l’indépendance des journalistes. En revanche, lesdits propriétaires recrutent des chefferies éditoriales qui partagent leurs objectifs et leurs valeurs, sans qu’il leur soit nécessaire d’intervenir quotidiennement. Mais surtout, les principales Ecoles de journalisme – entendons ici celles qui alimentent les sommets de la profession – préparent à un journalisme qui intègre comme autant de compétences strictement professionnelles les exigences des entreprises médiatiques les plus mercantiles [9].
Par ailleurs, s’il est vrai que les journalistes n’ont jamais été les seuls producteurs de l’information qu’ils transmettent (et il est bon que d’autres acteurs, notamment grâce à Internet aujourd’hui, contribuent à la production d’une information différente), la place prise par ces associés rivaux que sont les attachés de presse et les chargés de communication tend à devenir particulièrement inquiétante. Non seulement le nombre de ces derniers excède celui des journalistes, mais surtout ces professionnels de la communication dont nombre d’entre eux ont été formés dans des écoles de journalisme ou des départements d’info-com ont en fait les mêmes compétences que les journalistes professionnels. Dans ces conditions, les institutions publiques ou privées qui les emploient sont bien armées en matière d’information et souvent beaucoup plus performantes que les entreprises médiatiques, y compris de la presse écrite dont la fragilité économique et financière est bien connue.
Enfin, et allant dans le même sens, le journalisme tend à être, comme nombre d’autres professions, une profession précarisée [10] . Le taux de journalistes précaires, sans compter ceux qui ne sont pas officiellement recensés, représente aujourd’hui près de 20% de la profession encartée. On en imagine assez les conséquences, non seulement sur les conditions d’existence des journalistes ainsi précarisés, mais aussi sur le traitement de l’information. Parce qu’ils doivent bien vivre, ces journalistes, de gré ou de force (qu’ils devancent les « commandes » ou qu’ils se bornent à les exécuter) sont préposés à la production d’une information au rabais et pré-formatée que nombre de journalistes professionnels se refusent (encore…) à accepter. Mais l’existence d’une armée de réserve de précaires exerce une pression en interne très forte puisque, bon gré, mal gré, ils doivent faire ce que d’autres peuvent refuser. Il faut abandonner l’image idéalisée des entreprises médiatiques qui s’était constituée à la Libération : ces entreprises sont devenues désormais des entreprises comme les autres et même, parfois, pires que les autres dans la mesure où elles bénéficient de la confidentialité des sources et du monopole de l’information sur l’information. Bien que nombre de journalistes souhaiteraient que nous puissions diffuser les informations dont nous disposons sur leurs conditions de travail, sur le chantage à l’emploi, sur le harcèlement moral constant exercé notamment dans la presse magazine, il ne nous est pas possible de le faire sans les mettre en péril. Lorsque des journalistes sont ainsi soumis à un chantage permanent à l’emploi de la part de leur hiérarchie, comment s’étonner de la « qualité » de l’information qu’ils produisent ?
Médias mercantiles, pluralisme anémié, journalisme dépendant : ce sont ces tendances qui sont, implicitement, mises en cause quand l’on constate la perte de crédibilité des médias dominants. Au risque d’abuser de ce terme – qu’on utilisera cependant par facilité -, on parle même de « crise ». Une triple crise de crédibilité puisqu’elle porte, avec de fortes variations dans chaque domaine, sur les médias eux-mêmes, sur les journalistes et sur l’information proprement dite [11] . D’abord, si l’on en croit les sondages (mais il ne faut pas trop les croire…), il y aurait une perte de la crédibilité des médias, variable selon qu’il s’agit de la télévision, de la radio, des journaux ou d’internet. Il y a crise également dans la crédibilité accordée aux journalistes. De façon indirecte et confuse, les citoyens, qui sont loin d’être des sots (et pourquoi le seraient-ils quand ils critiquent les médias et souverainement intelligents quand ils votent) sentent bien que cette profession ne travaille pas dans des conditions souhaitables. La critique des médias a notamment pour but d’éclairer sans démagogie cette critique diffuse, avec le plus de lucidité possible et le maximum d’informations précises. Enfin, c’est la crédibilité de l’information qui est elle-même contestée. Sur ce point, disons que plutôt que déplorer l’ingratitude des citoyens, il est plus positif de s’appuyer sur les exigences démocratiques dont témoigne le désir d’être mieux informé et informé différemment.
Contester certaines tendances en raison de leurs effets, c’est logiquement – troisième enjeu démocratique de la critique des médias – proposer de les contrecarrer et de les inverser.
Proposer
Des objectifs de transformation des médias existent. Mais à défaut de pouvoir ici les développer, au moins peut-on tenter de dire pourquoi il est urgent de les reformuler. Avec ce diagnostic de départ : si l’information pluraliste, diversifiée, exigeante est menacée d’abord par la censure politique ouverte, elle l’est aussi, et peut-être plus désormais, par les formes moins visibles de la censure économique et même par la conjonction du contrôle politique et de la sanction économique. Le libéralisme, du moins dans les pays démocratiques, n’a pas besoin d’un contrôle direct sur les médias tout simplement parce que les acteurs de la mondialisation et du libéralisme, comme le sont la plupart des entreprises de presse, sont structurellement ajustés à l’ordre social que défendent ouvertement les gouvernements de droite et, plus discrètement, certains gouvernements de gauche. Pourtant ce double assujettissement à l’arbitraire politique et au laisser-faire économique, qu’il s’exerce simultanément ou en alternance, n’est pas une fatalité. La question des médias est une question politique. Elle relève de choix politiques. Elle suppose la formulation et la mise œuvre de propositions alternatives. La droite libérale n’a au fond pas besoin de programme puisque il s’agit pour elle d’accompagner, de précéder et de favoriser le libre jeu du marché en plaçant, par-ci par-là, quelques petits verrous protecteurs de temps à autre.
Depuis plus de trente ans, il n’existe plus aucun programme global concernant les médias : aucun projet de transformation radicale de l’espace médiatique. Le dernier date de 1972 et fut inclus dans le Programme commun de gouvernement de la gauche. Ce n’est pas nécessairement souscrire à la totalité de son contenu que de le rappeler car, depuis lors, rien ou presque : sinon des reculades, des démissions ou des mesures d’accompagnement des tendances lourdes. Des propositions alternatives existent donc. Ce n’est pas le lieu ici de les détailler ou de les discuter [12]. Disons seulement ici que le principal enjeu démocratique de la critique des médias est de replacer au centre du débat public les questions de l’information, du divertissement et de la culture. Et particulièrement de l’information (seule évoquée ici), pour qu’elle soit traitée comme elle le mérite à savoir comme un bien commun, un bien démocratique essentiel.
Une critique « radicale »
Faire la critique des médias pour informer, pour contester, pour proposer : cette triple critique, dont, clin d’œil à Marx, nous disons qu’elle se veut « radicale » parce qu’elle s’efforce de « prendre les choses à la racine » inquiète, dérange et indispose de plusieurs côtés. Elle suscite des accès d’inquiétude, de colère, de rage même, du côté d’un certain nombre de dirigeants des médias dominants. À leurs yeux, notre critique est disqualifiée parce qu’elle serait « idéologique » : comprendre qu’elle ne se borne pas à entériner ce qu’ils racontent en toute « objectivité ». Mais surtout notre critique serait selon eux un danger pour la démocratie parce qu’elle n’est pas une critique interne et bienséante [13]. Passons sur le ridicule d’une telle accusation : en quoi, en effet, Acrimed, une association qui n’a d’autres ressources que les cotisations d’adhérents bénévoles, ne dispose que de moyens de diffusion sans commune mesure avec ceux des médias dominants et s’efforce ainsi, jour après jour de faire une analyse critique du flot médiatique qui inonde en permanence les citoyens peut-elle menacer la démocratie ?
Aussi indispensable soit-elle la critique interne des métiers du journalisme (quand elle n’est pas confisquée par les chefferies éditoriales), reste très insuffisante. Non seulement le syndicalisme n’est pas mieux loti dans nombre d’entreprises de presse que dans la plupart des entreprises des autres secteurs économiques, mais les sociétés de rédacteurs, quand elles existent, ce qui est une exception, sont en train de perdre une grande partie de leur pouvoir. Et, de façon générale, quoique variable selon les médias concernés, ce ne sont pas les journalistes eux-mêmes qui détiennent le pouvoir, ce sont les plus hauts responsables des rédactions quand ce ne sont pas les services commerciaux. Mais cette critique interne, indispensable, peut par contre n’être que confortée par une critique externe, plurielle et indépendante. Quand on entend des patrons de presse dire – littéralement - que la critique des médias leur promettrait le Goulag, on est tenté de leur opposer les petites prisons qu’ils façonnent à l’intérieur de leurs entreprises pour leurs propres employés. Quand des journalistes de renom, aussi différents que Daniel Schneidermann et Alain Hertoghe, sont légalement licenciés [14] pour avoir osé critiquer l’organe de presse dans lequel ils travaillaient, on imagine sans peine ce qui pourrait arriver à un jeune journaliste précaire, sortant d’une école de journalisme, qui essaie d’obtenir un deuxième CDD, voire un troisième ou un quatrième avant d’espérer un emploi stable, s’il osait, même en interne, élever la voix – publiquement n’en parlons pas - pour contester tel ou tel aspect de la pratique journalistique. C’est donc bien une critique externe des médias, d’autant plus démocratique qu’elle n’entend se doter, elle, d’aucun pouvoir de coercition à l’égard des journalistes, qu’il faut développer.
Bien que cette critique, on l’aura compris, ne soit pas dirigée contre les journalistes, elle rencontre de fortes résistances du côté des journalistes eux-mêmes, certains s’offusquant que l’on désigne nommément, dans notre critique, les médias et surtout les représentants de cette « élite » du journalisme qui prétend parler pour toute la profession. Si nous le faisons, c’est parce que ces représentants sont les porteurs de rapports de pouvoir et de rapports capitalistes. Nous n’attaquons pas les personnes mais ce qu’ils incarnent. Autrement dit, ce qui est en question ce sont des formes de « corruption structurelle », si l’on peut oser avec Pierre Bourdieu cette alliance de termes apparemment contradictoires. Cette critique, précise et informée, est l’exact opposé de la dénonciation du « tous pourris ».
Faut-il renoncer à cette critique parce que des journalistes se sentent collectivement et personnellement mis en cause quand on prend à partie sans ménagement certains d’entre eux en visant, à travers eux, des structures et des pratiques que nous contestons ? Les journalistes doivent-ils bénéficier d’un statut d’exception et échapper à toute critique publique parce que cela les dérange ? Faudrait-il renoncer à toute critique de l’école sous prétexte que des enseignants se sentiraient atteints dans leur dignité parce qu’on met en évidence que l’école contribue à reproduire les inégalités sociales ou, pour le moins, ne favorise pas suffisamment la résorption de ces inégalités ? Il en va de même pour les journalistes : pourquoi devraient-ils se sentir collectivement atteints dans leur dignité quand on essaie de souligner quels mécanismes anonymes, et en partie inconscients, déterminent leurs conditions de travail et les effets qui en résultent, quitte à nommer ceux qui s’y soumettent plus ou moins aveuglément ?
Enfin, la critique des médias met mal à l’aise, force est de le constater, certains contestataires qui, se considèrent comme « progressistes » ou se réclament de « la gauche » ou du « mouvement altermondialiste ». Surestimant la puissance des médias, et jugeant de ce fait indispensable d’être médiatisés, ils contribuent eux-mêmes à donner aux médias un formidable pouvoir en taisant leurs critiques sur le système médiatique, comme si leur complaisance était le prix à payer pour garantir leur présence dans les médias.
Et pourtant, c’est parce que les mutilations de l’espace médiatique contribuent à mutiler toute vie démocratique que la critique des médias est une composante indispensable du débat public. Elle nous concerne tous, simplement parce que la démocratie, c’est l’affaire de tous.
Henri Maler