Le PDG de l’AFP, Pierre Louette, a trouvé les responsables de tous les maux : les salariés de l’agence, nantis, frileux et accrochés à leurs avantages acquis qui ne veulent pas changer de statut.
« Posture idéologique »
Le PDG a en effet déclaré le 2 décembre devant la Commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, après avoir dénoncé les acquis des salariés, que malgré tout « l’AFP réussit à financer ces avantages et même depuis quelque temps à gagner de l’argent », concluant que « l’on peut comprendre la peur d’un changement à cet égard ».
Les salariés de l’agence seraient donc des privilégiés, aux salaires princiers, manipulés par dessus le marché par des meneurs se tenant dans une « posture idéologique très marquée » et « politique ». Toujours selon le PDG, ils profitent même d’un 13eme mois (conventionnel, comme dans toute la presse) et la durée des vacances peut même atteindre 13 semaines !
Pire encore, lors d’un déjeuner avec des parlementaires le 20 octobre dans un restaurant gastronomique chic et réputé de l’avenue Gabriel, il a affirmé : « Nous avons encore cent vingt ouvriers du Livre alors que nous n’imprimons pas une page, autre contrainte désuète dont nous devons discuter », ajoutant même que « l’âge de la retraite recule sans cesse, ce qui nous handicape aussi puisqu’un journaliste en fin de carrière n’est plus très utile, et demande cinq ans de salaire pour partir... »
Au lieu de défendre son personnel devant les parlementaires, le patron de l’AFP a passé son temps à dénigrer ceux qui font l’agence au jour le jour, sur cinq continents, 24H/24.
Il oublie pourtant de dire à la Commission que les salaires sont bloqués grâce à ses amis patrons de presse. En effet, lors des négociations paritaires pour fixer ces hausses de salaires, ces derniers ont prétexté la crise pour geler les hausses de rémunérations, malgré la chute du pouvoir d’achat.
Il omet aussi de rapporter aux élus de la nation que l’AFP est hors la loi en employant plusieurs dizaines de CDD et pigistes sur des postes à temps plein depuis des années. Il rappelle à juste titre que le nombre de salariés de l’AFP n’a guère évolué au cours des quarante dernières années, en se gardant bien de relever les fabuleux gains de productivité que cela permet.
Il passe également sous silence les tentatives de contourner la convention collective des journalistes d’un DRH en service commandé, lors des négociations du plan de départs (PSE).
Plan de départs : micmac et petites arnaques
Pour les journalistes, la direction a proposé un plan de départs volontaires dans le cadre d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) permettant de se dégager des obligations légales en cas de licenciements. Il s’agit en fait d’un plan de réduction d’effectifs. La direction ne s’en cache pas dans son texte en affirmant son « objectif de suppressions d’emplois », le tout sous couvert d’« évolution des métiers de l’AFP » mais sans garantie précise sur les remplacements ni sur les conséquences pour les autres catégories de personnel.
Le plan prévoyait « une rupture de contrat de travail d’un commun accord » pour se prémunir de tout recours devant la Commission arbitrale des journalistes.
La direction s’est largement répandue à travers des communiqués en tentant de forcer la main des organisations syndicales, n’hésitant pas à employer le chantage à l’embauche des précaires, CDD et pigistes. Méthode douteuse et nauséabonde.
En ne participant pas à la réunion de négociation du 3 décembre, annoncée comme « celle de la dernière chance » par la direction, les syndicats ont pris leurs responsabilités et refusé la petite tambouille empoisonnée qui leur était présentée.
Cela, le PDG ne l’a pas mentionné non plus devant la Commission.
De façon expéditive, il met sur le compte des 35 heures et de l’éclatement de la bulle internet (qui ont fait perdre à l’agence 20 millions d’euros) les mauvais choix stratégiques de quelques-uns de ses prédécesseurs. Pourtant, l’embauche de salariés liée à la réduction du temps de travail (RTT) a permis au chiffre d’affaires de l’agence de progresser sensiblement.
Audition du PDG : mensonges par omission
Lors de son audition devant les parlementaires, Pierre Louette a mis en accusation le statut qui freinerait tout développement, raison pour laquelle, selon lui, il faut le changer et étatiser l’AFP. Il tente de faire passer son projet dès le printemps prochain malgré toutes les réserves exprimées par les parlementaires. Y compris en avant-première devant des journalistes spécialisés le jour précédant l’audition et en mettant les parlementaires devant le fait accompli.
La présidente de la Commission des Affaires culturelles de l’Assemblée, Michèle Tabarot (UMP), le lui a rappelé en précisant que « la Commission n’a connaissance d’aucun projet tendant à modifier le statut de l’AFP, même si des déclarations publiées dans la presse font état d’un débat devant se tenir au Parlement au printemps ». Le PDG s’est dit « confus que des indications aient été données qui semblent préjuger du calendrier parlementaire ». La faute aux journalistes qui auraient mal compris...
D’entrée, le PDG a joué un numéro d’autosatisfaction : « Lorsque j’ai pris les rênes de l’AFP, je n’avais pas pour priorité d’en modifier le statut mais de la sauver du grand gouffre dans lequel elle était en train de basculer ». Mais est-ce bien lui qui a redressé la situation ? Il semble vouloir ignorer qu’à l’exception de la période "Eveno", le chiffre d’affaires de l’AFP a toujours progressé, peu ou prou, notamment à l’international. Ainsi, les abonnements de l’État sont passés de quelque 70% dans les années soixante-dix, à 40% aujourd’hui. Trois facteurs sont à l’origine de l’"assainissement" des comptes : les ventes d’actifs (AFX et Fileas), un taux de change extrêmement favorable et le COM. En réalité, sans les 12 millions d’euros de cessions d’actifs, le résultat aurait été de moins 9 millions. Mais maintenant que tous les bijoux de famille ont été vendus, quelle va être la suite des cessions d’actif : la vente du siège historique avec toutes ses conséquences sociales ?
Pierre Louette a oublié de citer un ancien PDG refusant de racheter le service de production TV WTN pour cause d’incompatibilité d’humeur des administrateurs avec "la télé". Pour lui, ce choix provient uniquement du "statut quo" qui bride le développement de l’agence. Toute son argumentation suit cette logique.
Il met sur le compte du statut de 1957 l’absence de décision sur le développement de la couverture de l’information économique et financière dans les années 70, au contraire de Reuters. L’un de ses prédécesseurs, Claude Moisy, a fait justice devant la Commission de cet argument bidon, rappelant que la taille de la Bourse de Londres était sans commune mesure avec celle de Paris. Rappelons aussi qu’avec un tout autre statut, AP n’a pas davantage pris ce virage à l’époque.
Il omet de préciser que le service photo a été sauvé en 1985 par une forte mobilisation des syndicats alors que Henri Pigeat, nouvel "expert" et PDG de l’époque, voulait le fermer. Service reconnu et largement bénéficiaire aujourd’hui, faut-il le rappeler. Les errements et le manque total de vision stratégique d’Henri Pigeat n’empêchent pas aujourd’hui le ministre de la Culture de l’appeler à la rescousse pour « réfléchir à l’évolution de l’Agence France-Presse », en tenant à l’écart les personnels de l’agence. Frédéric Mitterrand a même porté à la présidence de cette commission cet ancien PDG (Pigeat) qui dans la page "Opinion" du Monde daté du 13 octobre 2000 recommandait une « solution mixte » pour l’AFP – en fait une privatisation partielle – en citant nommément comme exemple Air France et France Télécom.
Devant les parlementaires, Louette passe aussi sous silence les partenariats plus que douteux qu’une fois de plus le statut n’a pas empêchés, mais pourtant incompatibles avec les missions de l’agence : Citizenside (agence dite de "journalisme citoyen" diffusée sur ImageForum), RelaxNews, etc.
Il affirme vouloir conserver l’indépendance de l’agence mais il se tait sur le service publireportage, service aux entreprises qu’il compte développer « à coûts d’infrastructure constants » dont « l’idée est ici de tirer parti des productions existantes, du réseau de journalistes, photographes et vidéastes déjà en place, et de notre réseau technique de collecte et de diffusion ».
Il faut le dire et le répéter, tant ce mythe a la vie dure : LE STATUT N’A JAMAIS ENTRAVE LE DEVELOPPEMENT DE L’AGENCE. Au contraire : il lui a permis d’étendre son réseau à l’international, de s’adapter aux évolutions techniques et aux nouvelles formes prises par les médias ces cinquante dernières années dans tous les champs du journalisme, photo, vidéo, internet, multimédia, tout en conservant son indépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques.
« Lorsque l’un des partenaires adopte une posture idéologique très marquée et que tous les raisonnements financiers sont balayés par la conviction que, comme dans le passé, l’État finira par payer, il est très difficile de trouver des points de consensus », a dit encore le PDG lors de son audition. Pierre Louette n’a toujours pas compris que l’existence de l’AFP était le produit d’une volonté politique de la nation. Emporté par son combat idéologique, le PDG sombre ainsi dans un énorme paradoxe : comment peut-il vilipender les tenants de « l’État qui finira par payer » alors que lui même propose comme solution miracle que l’État devienne le seul propriétaire. Donc en payant.
Et, de l’aveu des avocats de la direction, il suffirait que l’État rappelle les missions d’intérêt général remplies par l’AFP pour que les dotations ne posent pas de problème aux yeux de Bruxelles.
La CGT appelle à dire non au plan Louette
Plus que jamais, la CGT appelle le personnel toutes catégories à s’opposer fermement au plan du PDG qui est un risque grave pour l’indépendance de l’agence et son avenir.
Le référendum doit être l’occasion de montrer l’opposition globale du personnel à son projet.
La CGT fera, lors de la table ronde prévue au Sénat le 12 janvier prochain, des propositions pour faire vivre le statut de 57 en donnant à l’AFP les moyens de son financement et exigera le retrait définitif du plan Louette. Une médiation doit être trouvée avec un groupe de travail incluant toutes les parties sur l’avenir de l’agence.
Paris, le 14 décembre 2009