Mais d’abord un rappel des faits
Le 15 janvier 2009, la direction de RFI, lors d’un CE extraordinaire, annonce en guise de « plan de modernisation et de réduction des déficits » un plan social qui prévoit la suppression de 206 postes, soit 25% des effectifs permanents de la station et la fermeture des rédactions en six langues (allemand, albanais, polonais, serbo-croate, turc et laotien), le regroupement des journalistes français et journalistes de langues au sein de deux catégories professionnelles distinctes. Les sections syndicales FO, SNJ, SNJ-CGT et SNRT-CGT appellent les salariés de RFI à faire grève pour une durée indéterminée, à partir du 12 mai 2009.
Cette grève, dont nous avons retracé quelques moments dans notre rubrique, dure 16 semaines et est suspendue pendant l’été, reprend à la rentrée et le tribunal suspend le plan social. Une étape, à l’occasion de laquelle nous publions un article qui fait le point : « RFI : une lutte exemplaire et un banc d’essai pour les « managers » de l’audiovisuel public (avec vidéo). Une nouvelle bataille judiciaire s’engage qui ne donne pas les résultats escomptés.
Et depuis ?
I. « Fuite des cerveaux »
271 salariés de RFI se sont porté candidats au départ volontaire de l’entreprise dans le cadre du plan de licenciement... L’intersyndicale publie alors – le 3 décembre - un communiqué qui mérite d’être cité intégralement.
« Vous avez voulu jouer avec le volontariat…
Vous avez voulu jouer avec le volontariat, c’est le volontariat qui se joue de vous, monsieur le président !!!!
271 salariés de RFI se sont porté candidats au départ volontaire de l’entreprise dans le cadre du plan de licenciement. C’est beaucoup plus que le chiffre de suppression de postes prévu par le PSE. Cinq chefs de service sur sept, 80 % de l’encadrement intermédiaire sont partants à la rédaction en français. La direction comptait sur cet encadrement pour accompagner le PSE et mettre en place sa nouvelle stratégie : c’est raté ! Á la technique, 36 salariés sur 150, soit 20 % seulement, ont postulé sur la fonction TCR que la direction veut généraliser. La direction voulait s’exempter d’une négociation avec les syndicats pour mettre en place ce nouveau métier : encore raté !
La fuite des cerveaux, des talents et des compétences à laquelle on assiste n’est rien d’autre, dans la très grande majorité des cas, qu’un vote de défiance avec les pieds. Beaucoup des candidats au départ sont loin d’être des seniors, ce sont aussi de jeunes collègues que rien ne semble plus retenir. Ils ont participé au mouvement de grève le plus long de l’audiovisuel public afin d’alerter les pouvoirs publics sur la casse de l’entreprise. Le pouvoir politique a fait la sourde oreille. Ces collègues ne croient plus aux nouvelles orientations stratégiques ni aux perspectives de développement de RFI au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France. La décision leur appartient, mais c’est aujourd’hui à la direction de prouver à ceux qui restent que ceux qui partent ont eu tort, car personne ne peut se réjouir d’une telle hémorragie des forces vives de RFI.
L’intersyndicale, elle, s’est toujours prononcée pour que le PSE soit transformé en un plan de départs volontaires. C’est la perspective qui semble se dessiner.
1. Face à l’afflux des départs, la direction semble accepter de ne pas procéder à des licenciements secs. Soulignons que c’est la victoire de l’intersyndicale en Cour d’appel qui a permis de regrouper des catégories de personnel. Cela a eu 2 conséquences :
- rendre beaucoup plus difficile les licenciements secs dans les secteurs de langue ;
- permettre de partir à des journalistes travaillant dans les secteurs qui n’étaient pas touchés par des suppressions de poste.
Cela dit, la direction pose comme condition pour éviter les licenciements secs que les salariés dont le poste est supprimé acceptent un reclassement interne. Pour nous il faut que les propositions de reclassement soient acceptables par les salariés.
2. La direction semble d’accord pour accepter tous les départs. C’est maintenant au président d’obtenir le feu vert financier des autorités de tutelle puisqu’elles ont soutenu son plan social contre vents et marées.
3. Il ne saurait y avoir plus de 206 suppressions de poste sans que cela soit compensé par une embauche pour un départ supplémentaire.
4. Si le président obtient un engagement financier des tutelles sur ces 2 derniers points, il lui revient alors de présenter aux syndicats un accord d’entreprise sur ces bases.
Il y a ceux qui partent, il y a ceux qui restent. Comment faire fonctionner la société après une telle saignée ? Comment reconstruire sur de nouvelles bases ? Telle est aujourd’hui notre principale préoccupation.
L’intersyndicale FO – SNJ – SNRT-CGT et SNJ-CGT »
Or le plan ne prévoyait « que » 206 départs. Que vont devenir les autres ? Ni la direction ni l’Etat ne sont encore en mesure de le dire. S’ils partent, il faudra les remplacer. Or c’est incompatible avec le « plan social »…
II. Six rédactions en langues étrangères supprimées
Deux jours avant la date prévue de la fermeture (le 18 décembre), l(intersyndicale publie le communiqué suivant :
« Les langues englouties de RFI
Le 18 décembre, le glas aura sonné subrepticement pour 6 rédactions en langues étrangères à RFI sur les 20 qui existaient jusque-là. Le silence radio se fera définitivement en polonais, en albanais, en laotien et en allemand, à la veille du 65e anniversaire des émissions en langue allemande. La rédaction en langues slaves du sud (serbo-croate) a encore quelques semaines de sursis quant à celle en turc, elle a cessé d’émettre longtemps.
En plus des rédactions étranglées d’autres sont écorchées comme la rédaction roumaine où il ne restera plus que 2 journalistes.
Ces fermetures s’accompagnent de la vente des filiales à l’étranger. On brade à tout va : en Bulgarie notre filiale à 100 % est vendue avec sa fréquence FM de Sofia au plus offrant, c’est-à dire à une société d’obédience orthodoxe liée au sulfureux métropolite Kiril de Varna ; même désengagement de notre filiale à Belgrade montée en partenariat avec l’agence de presse serbe Beta ; à Lisbonne notre filiale sera vendue en janvier après 20 ans de bons et loyaux services ; à Budapest la cession de nos parts dans une filiale commune avec la BBC a déjà eu lieu.
La France lutte pour la diversité linguistique mais sa radio internationale avale ses langues. Ce vendredi 18 décembre 2009 est à marquer d’une pierre noire. Depuis sa naissance, RFI s’était toujours développée. Ce développement a été stoppé net par le couple dirigeant de l’Audiovisuel extérieur de la France au profit d’on ne sait quel mirage télévisuel qui risque de mener l’AEF vers un lent naufrage. Ces dirigeants, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand les a surnommés « Bonnie & Clyde » : on ne saurait mieux dire.
Pour la première fois de son histoire, RFI subit un processus de strangulation intensif. S’arrêtera-t-il avant la suffocation ?
Paris, le 16 décembre, SNJ SNJ-CGT CGT-SNRT FO »
III. Un premier bilan désastreux
Le 24 décembre, le site Rfi Riposte publie l’article suivant
« Il a neigé sur RFI
Noël à RFI, c’est champagne pour les uns et soupe à la grimace pour les autres.
« RFI, c’est une morgue dont les cadavres ne veulent pas quitter leurs tiroirs » avait dit Christine Ockrent peu après son arrivée à la tête de RFI. Mais les cadavres bougent encore. Ils se sont même remis en marche. 270 d’entre eux ont décidé de quitter leurs tiroirs. Ils ont choisi la liberté au risque de la précarité plutôt que subir les caprices de l’hydre à deux têtes qui les dirige. 201 ont vu leur demande de départ volontaire acceptée, 69 autres ont été recalés au premier tour. Et puis il y a tous ceux qui restent avec la perspective d’une réorganisation drastique, de conditions de travail qui menacent de se dégrader, d’une nouvelle convention collective qui va rogner les avantages acquis et d’un déménagement à risque.
En cette veille de Noël à RFI, il y a donc ceux qui trinquent et ceux qui boivent. Ces derniers, qui se comptent sur les doigts d’une main, attendent leur bonus de fin d’année. Mais quels objectifs ont-ils réellement atteints ?
La direction de RFI aurait tort de pavoiser. Elle s’est totalement discréditée et pas seulement auprès de ses salariés.
D’un point de vue social, son bilan est une véritable catastrophe :
- elle a accumulé les mensonges (situation financière truquée, résultats d’audience tronqués) pour justifier un PSE injustifiable créant ainsi un grave trouble au sein du personnel ;
- elle est rejetée par une grande majorité du personnel, rejet illustré par le nombre important de volontaires au départ, alors que les salariés de RFI sont traditionnellement très attachés à leur entreprise. C’est sans précédent dans les annales de l’audiovisuel public, et ce, dans un contexte de crise économique ;
- elle a prouvé qu’elle ne concevait les relations sociales qu’en termes de rapport de forces, se situant résolument dans le conflit permanent.
Du point de vue de la « marque RFI », la direction s’est livrée à un véritable sabotage :
- en décrivant faussement et publiquement une situation financière « catastrophique » et en fustigeant une prétendue »culture du déficit », elle a sapé le crédit de l’entreprise ;
- en affirmant faussement et publiquement que l’audience était en baisse, elle a affaibli la position de RFI par rapport à ses grandes concurrentes internationales ;
- en dénigrant systématiquement ses salariés, elle a jeté le discrédit sur l’expertise des personnels qui a toujours fait la force de la »radio mondiale » et pris le risque de détourner les auditeurs vers d’autres médias concurrents.
D’un point de vue stratégique, ce n’est guère mieux :
- plus d’un an et demi après sa nomination, la direction n’a toujours pas défini de réelle stratégie ni de projet d’entreprise pour la radio ;
- sa seule stratégie se résume à réduire la voilure c’est-à-dire à abandonner des positions pour se recentrer exclusivement, ou presque, sur l’Afrique francophone et anglophone ;
- ce choix délibéré de faire de RFI « une radio internationale pour l’Afrique » est une erreur stratégique dans la mesure où, s’il convient certes de développer les positions sur ce continent, un fort courant politique existe en Afrique pour promouvoir une radio et une télévision panafricaine d’information « faites par les africains pour les africains » dans le but d’amoindrir l’influence de RFI et les ambitions de France 24 ;
- cette posture de retrait est en contradiction avec les orientations du président de la République pour l’AEF : « Il ne s’agit pas de faire moins, mais mieux et plus » ;
- après plus d’un an et demi d’exercice, la direction tarde à mettre en œuvre les synergies prévues avec France 24, RFI étant de toute évidence, dans son esprit, le « parent pauvre » de l’AEF ;
- malgré les piètres résultats enregistrés par France 24 en termes d’auditoire, c’est la télévision qui bénéficiera le plus du Contrat d’objectifs et de moyens en cours de négociation au détriment de RFI, les nouveaux dirigeants estimant que la radio est un « média dépassé ».
Pour toutes ces raisons, notre combat est encore loin d’être terminé contre cette direction. Jusqu’à présent, nous avons surtout réussi à faire respecter la loi, et à éviter un PSE « discriminatoire » contre les langues et contre certaines catégories du personnel. Nos deux victoires en appel ont été celles de la dignité contre le mépris et l’arrogance. Et ce n’est pas fini. D’autres actions judiciaires sont en cours. Un nouveau préavis de grève a été déposé pour le 7 janvier.
C’est une nouvelle année de lutte qui va commencer à RFI ! »
Lire aussi, sur le site de RFI Riposte « Vendredi noir à RFI »
Dans une lettre à M. de Pouzilhac le 28 décembre, 29 « recalés du volontariat » avaient fait part de leur « colère » face au « refus arbitraire » de les laisser partir : « Au cours de l’année 2009, vous avez incité les salariés à se porter volontaires au départ. 270 d’entre eux l’ont fait. 270 projets, 270 engagements vis-à-vis de l’extérieur, 270 changements de vie. Aujourd’hui nous voyons tous ces préparatifs réduits à néant ». Et les mêmes d’ajouter : « Outre que nous voyons mal comment nous pouvons rester mobilisés au service d’une entreprise qui nous a floués, nous entendons faire valoir nos droits à un départ de RFI dans l’honneur et la dignité.
Le 7 janvier une grève insuffisamment suivie ne parvient pas à obtenir les garanties nécessaires. Pourtant rien n’est réglé.
Et maintenant ?
Le mardi 12 janvier 2010, France Inter, lors de la matinale, présentait un « dossier » - tout à fait correct – sur la situation à RFI (à lire et écouter intégralement sur le site de RFI Riposte. Extrait :
« Et avec 201 personnes en moins, dont la moitié de journalistes, une totale réorganisation du travail va être nécessaire. Réorganisation qui n’a pas encore été présentée aux salariés, mais qui, pour Haddala Benrad, du SNJ-CGT, se fera forcément au détriment de la qualité (interview) Archi faux, rétorque la directrice déléguée de RFI, Geneviève Goetzinger pour qui, et la mission de la radio, et la qualité de son antenne resteront inchangées (interview) ».
On écoute une partie de l’extrait correspondant.
Vous l’avez compris : « modernité » oblige, on ne sait pas où on va, mais on y va, sans projet d’entreprise, ni projet éditorial, en répétant que l’audience est un critère absolu pour une station comme RFI et que la qualité ne sera pas compromise.
Et la journaliste de France Inter d’ajouter un peu plus loin pour conclure : « Aux soucis du projet s’ajoute un problème de méthode. Les syndicats dénoncent des manières brutales, une direction qui ne communique pas avec ses salariés. Sans oublier, au plus haut niveau, des rémunérations qui en cette période de restrictions, riment avec provocation. Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent touchent en effet 310 000 euros par an chacun, hors primes et bonus éventuels. Plus de deux fois le salaire du précédent PDG de RFI, Antoine Schwarz ! »
Et cette direction poursuit sa miraculeuse stratégie : diminuer les effectifs pour accroître l’audience. Et le 18 janvier, l’intersyndicale publie un nouveau communiqué : La direction de RFI se noie dans sa stratégie sociale.
A suivre...