Michel Denisot introduit Vincent Peillon qui, alors qu’il est venu dénoncer la « télévision spectacle », entre sur fond de musique tonitruante : « L’homme par qui le scandale arrive, Vincent Peillon » (applaudissements).
Larges extraits des principaux moments du procès :
I. Première session du tribunal.
À Michel Denisot qui l’interroge sur sa « stratégie » et lui demande pourquoi « ne pas avoir annoncé avant que vous n’y alliez pas », Vincent Peillon répond en exprimant son indignation devant ce « débat sur l’identité nationale », qui vise selon lui « à lier l’identité nationale à l’immigration, de façon absolument délibérée », alors que, dit-il, « ce n’est peut-être pas la question majeure dont il faut parler pour la France ».
Cette première intervention dure une minute. Une durée qui, à en juger par leur attitude, semble interminable aux procureurs pressés d’en découdre ; au réalisateur, qui multiplie les plans de coupe ; et à Michel Denisot qui perd patience le premier : « Revenons quand même aux faits d’hier. Là vous êtes sur le fond, ce n’est pas le sujet parce que vous acceptez de venir à un débat… ». Avant qu’il ait pu répondre, Ariane Massenet intervient : « Vous auriez pu refuser dès le départ cette invitation. »
Le procès est en partie joué d’avance : c’est à peine si « le fond » pourra être invoqué par l’accusé comme circonstance atténuante…
Vincent Peillon tente alors de reprendre la main et le fil de son propos : « Je vais m’expliquer là-dessus, si vous me le permettez, c’est assez important pour moi, et je n’ai accepté que cette émission pour m’expliquer , je n’en ferai pas d’autres ». Il dévoile alors le plan de l’intervention qu’il a, semble-t-il, prévue d’avance : « d’abord l’objectif, les raisons, ensuite (…) la méthode, pourquoi j’ai choisi cette méthode, troisièmement les faits ». Mais pourquoi avoir précisément choisi « cette émission » [2], qui se situe dans la moyenne du pire de ce que la télévision propose à ceux qui voudraient « expliquer » quelque chose d’« important », dans un discours construit et argumenté ?
Vincent Peillon peut alors parler une minute et 12 secondes, pour déplorer que « la seule émission de prime-time » sur le service public soit consacrée à ce débat « qu’on veut (…) imposer à tout prix »… avant d’être coupé à nouveau par Denisot qui tient à sa question : « Pourquoi cette stratégie ? ».
Que le « débat » sur l’identité nationale et l’immigration (du nom même du ministère de Besson) soit imposé par le pouvoir en place et épousé par France 2 est, une fois encore, mis « hors-sujet »…
Vincent Peillon tente alors de ménager la patience de ses interlocuteurs : « Je vais y venir, je viendrai aussi sur les faits, je vais… si vous me laissez vraiment trois minutes, je vais essayer d’aller plus vite ». En 45 secondes, il peut à peu près terminer son premier point, en signalant son « sujet de préoccupation profond par rapport à l’évolution et à l’organisation du débat médiatique par rapport à nos préoccupations », et tente d’enchaîner sur le second. C’est mal connaître ses interlocuteurs :
- Vincent Peillon : « Comment faire pour exprimer cette indignation ? »
- Ariane Massenet qui connaît la solution, le coupe : « Y aller et le dire. »
Les solutions selon Vincent Peillon (constamment interrompu)
Avant de poursuivre, précisons que nous n’avons pas l’intention ici de soutenir les choix proprement politiques qui ont dicté le comportement de l’accusé (qui ne s’attarde pas sur sa crainte d’être remplacé par un autre membre du Parti socialiste…). Il s’agit simplement de mettre en évidence comment et à quel prix des journalistes se comportent en gardiens exclusifs d’une démocratie qu’ils confondent avec la gestion du territoire médiatique dont ils sont les tenanciers et se croient les propriétaires.
Vincent Peillon, pour justifier sa « méthode », commence par détailler les quatre solutions qui s’offraient à lui :
– Première solution : venir dans le débat, d’en accepter comme d’habitude les termes : « Cela consistait à venir après ce qui avait été fomenté par le service public »
– Deuxième solution : y aller et « faire un esclandre » : « Difficulté : le comportement sur le plateau, etc. »
– Troisième solution : « l’annoncer, ce qui était plus naturel, l’annoncer 12h avant, ou 24 heures avant, ou 48h… »
– Quatrième solution : « Ou il y avait cette solution qui était brutale, pour créer ce débat que je souhaite aujourd’hui »
Malheureusement le téléspectateur qui aurait voulu comprendre ces propos le pouvait à peine tant les interruptions furent nombreuses, comme on peut le vérifier en lisant la transcription intégrale que nous vous offrons en fin d’article. Ceux qui auraient voulu les voir débattus en furent pour leurs frais. Mais il y a quelque paradoxe à choisir un beau jour une « solution brutale » pour « créer un débat », et à endurer placidement, le lendemain, une fin de non-recevoir de tout débat, si ce n’est sur la « solution » choisie. Etait-ce vraiment « ce débat » que M. Peillon souhaitait ?
Alain Duhamel a tout compris
Vincent Peillon peut alors revenir sur ses motivations, mais pas pour longtemps. Ariane Massenet le coupe et donne courageusement le fond de sa pensée : « Moi, pour être très franche Monsieur Peillon, je n’ai pas compris, j’ai trouvé que vous aviez manqué de courage, je me suis dit "Tiens Monsieur Peillon se déballonne"… » Comme si le courage consistait à débattre de n’importe quoi, dans n’importe quel cadre…
Alain Duhamel coupe à son tour Ariane Massenet : « Moi j’ai très bien compris. J’ai très bien compris (…). » Qu’a-t-il compris ? Pas grand chose, en trois points :
- Alain Duhamel : « Un, que c’était un traquenard, ça s’appelle un traquenard ; dire "je suis invité, je viens, vous me dites comment s’organise l’émission, d’accord" et puis pendant que l’émission a commencé, je ne viens pas et je fais un communiqué, ça ça s’appelle un traquenard. Deuxièmement, une rechute , parce que vous avez demandé la tête d’Arlette Chabot, j’ai pas une passion pour Arlette Chabot mais la tête d’Arlette Chabot et d’un certain nombre de gens autour d’elle, au dessus d’elle, au dessous d’elle (sic), ça c’est le congrès de Valence, il faut que les têtes tombent , c’est une espèce de résurgence, c’est … bon, vous avez des précédents. Et puis troisième chose, et surtout, l’idée selon laquelle le service public ça devrait être une espèce de réserve d’indiens en dehors des débats qui existent réellement dans la vie politique au moment où on en parle, ils sont bons, ils sont mauvais. Et la question de savoir si on débat avec le Front national, question qui se posait déjà il y a 25 ans, j’en sais quelque chose, puisqu’il y avait eu quelque-chose de beaucoup plus brutal encore quand on avait invité Jean-Marie Le Pen à L’Heure de Vérité pour la première fois et ben le fait de se dire on ne peut pas débattre et ben ce qu’on a vu c’est que quand on ne débattait pas avec Le Pen il montait, et que quand on a débattu […] »
Passons sur la péroraison hors-sujet (et plus que discutable) de cette fort belle période. Mais qu’en retenir ? La première évidence, dite sur le ton du redresseur de torts ? L’inepte parallèle historique avec le Congrès de Valence ? Ou la bouillie finale, qui évite soigneusement le débat que tente de « créer » Peillon, en considérant d’emblée que ce débat « existe réellement dans la vie politique », quand Vincent Peillon semble vouloir débattre de la façon dont « la classe politique et médiatique », selon l’expression de Michel Denisot, tente de le faire exister – et de l’imposer ?
Aphatie, maître de morale
Quelques instants plus tard, c’est au tour du grand sage Jean-Michel Aphatie qui, la mine sinistre et solennelle, coupe soudain Alain Duhamel pour dire la Vérité :
- Jean-Michel Aphatie : « Vous qui êtes philosophe et qui avez beaucoup parlé de la République, vous utilisez pour vous faire entendre dans cette circonstance le mensonge,"je viens puis je ne viens pas", et la dissimulation. C’est absolument incroyable de constater cela. Le mensonge et la dissimulation dans le débat public ne peuvent pas avoir leur place. Rien ne justifie que l’on utilise le mensonge pour se faire entendre, rien. »
Rien ne tient dans cet argumentaire : ni la confusion entre discussions privées entre un journaliste et un invité sur le déroulement d’une émission et le « débat public », ni cette vision opportune d’un débat public purgé de tout « mensonge » et toute « dissimulation ». Comme le note fort justement Daniel Schneidermann sur le site d’ « Arrêt sur images » : « Peillon n’a pas menti sur un fait, sur un chiffre, sur un bilan. Il a menti en sachant parfaitement que son mensonge serait, dès le lendemain, au coeur du débat politique. Ce n’est pas un mensonge habituel d’homme politique. Le responsable politique qui ment, dans l’immense majorité des cas, espère bien que son mensonge passera inaperçu […] Pourquoi ce mensonge-là, en pleine lumière, fait-il grimper Aphatie-Duhamel aux rideaux, plutôt que les habituels mensonges dans l’ombre ? […] A tous ces mensonges quotidiens, Duhamel-Aphatie offrent leur absolution indulgente. Car avec ces mensonges-là, on reste dans le jeu. Le mensonge de Peillon, lui, casse les règles. Peillon ne joue plus. Il déchire ce qu’ils ont de plus cher : leur agenda. Leur pouvoir immense de décider quels sujets, quels débats, intéressent-les-Français. Ce pouvoir-là leur appartient sans partage » [3].
Rien ne tient, donc, dans cette intervention d’Aphatie, mais elle sera pourtant développée en deuxième partie par une seconde leçon de morale, assénée avec la même suffisance pénétrée. Vincent Peillon, ainsi gourmandé en sa double qualité de piètre philosophe et d’enfant désobéissant, essaye de répondre à Aphatie, mais c’est au tour de Joseph Macé-Scaron de lui couper la parole…
Un avocat de la « défense »
- Joseph Macé-Scaron : « […] Quand j’entends là maintenant ce qui se passe et la réaction de mes confrères et néanmoins amis, là j’ai l’impression que pour l’instant c’est vous qui tombez dans un traquenard. »
- Jean-Michel Aphatie, incrédule : « Pourquoi ? »
- Joseph Macé-Scaron : « Parce que, évidemment, nous sommes tous journalistes, donc évidemment tous solidaires d’Arlette Chabot. »
- Jean-Michel Aphatie, pris de court : « Ce n’est pas en tant que journalistes… »
- Alain Duhamel, offusqué : « Oh ! »
Du concert confus d’indignation de journalistes-qui-ne-s’expriment-pas-en-tant-que-journalistes émergent les propos suivants :
- Jean-Michel Aphatie (difficilement audible) : « Joseph, ce n’est pas du corporatisme Joseph ! »
- Alain Duhamel : « Joseph, c’est elle qui m’a [inaudible], alors je suis solidaire de rien du tout. »
- Joseph Macé-Scaron : « Ça va de soi ! »
- Jean-Michel Aphatie : « Joseph trouvez un argument de meilleure qualité que le corporatisme , s’il vous plaît, s’il vous plaît ! »
Admirable : l’accusation de « corporatisme » est un argument de bonne qualité, sauf quand elle vise des éditorialistes de qualité supérieure. L’occasion de rappeler la définition du « corporatisme » dans notre « Lexique pour temps de grève et de manifestation » : « Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, à l’exclusion des tenanciers des médias ».
- Alain Duhamel, professeur de journalisme, commente et donne des notes : « Peut mieux faire »
- Jean-Michel Aphatie renchérit : « Ah oui »
- Joseph Macé-Scaron qui tente de poursuivre : « C’est un premier élément »
- Jean-Michel Aphatie : « C’est triste, ça »
- Joseph Macé-Scaron : « Non ce n’est pas triste, c’est la vérité, c’est pour ça que vous réagissez comme ça »
- Jean-Michel Aphatie sort ses dernières armes : « Non, le corporatisme c’est triste, la preuve on n’est pas solidaires avec vous, vous êtes journaliste aussi. »
Délicieux : la convergence des points de vues liée à la proximité des positions sociales n’existe plus si elle n’est pas unanime.
- Joseph Macé-Scaron poursuit : « Deuxième élément qui est quand même important : bien sûr que ce débat dès le début est un débat qui est un débat pipé, quoi qu’il soit, même si Vincent Peillon y avait participé ou pas »
- Jean-Michel Aphatie le coupe : « Il n’a qu’à dire qu’il n’y participe pas »
- Joseph Macé-Scaron : « Monsieur Vincent Peillon y participait en tant que vedette américaine à la fin. Ce qui s’est passé quand on voit la manière dont a été présenté M. Besson. Ce portrait absolument indigne… »
- Jean-Michel Aphatie : « C’est autre chose… »
- Joseph Macé-Scaron : « … qui était de l’ordre de la psychologie vague alors qu’on cherchait à faire de la politique. "M. Besson, non il n’a pas trahi, il a basculé" ; dit-on dans le portrait de France Télévision »
- Alain Duhamel, montrant Peillon : « Ben, il aurait pu le dire ! »
C’est sans doute parce que ce sont des journalistes-qui-ne-s’expriment-pas-en-tant-que-journalistes et que ne lie aucune solidarité de position que ni Jean-Michel Aphatie ni Alain Duhamel ne sont en mesure de dire si le débat était « pipé » ou non, en raison de son thème et du dispositif proposé par France 2. Mieux : selon nos duettistes, il fallait l’accepter sans rechigner ou se taire.
II. Deuxième session du Tribunal
Après la pub, retour en plateau. Vincent Peillon – « L’homme du jour », selon Michel Denisot – doit d’abord préciser si Martine Aubry, qui s’était pourtant exprimée, était au courant et si elle approuvait son choix. Puis, il tente de revenir sur « le mensonge, comment ça marche » :
- Vincent Peillon : « […] Donc je donne un accord de principe. J’apprends par la lecture du Parisien que France 2 prépare à la rentrée le grand match Besson-Le Pen ; et comme j’ai un peu d’expérience, je comprends le rôle qu’on va nous faire jouer là-dedans… »
- Michel Denisot : « D’accord. »
- Vincent Peillon : « …Et c’est uniquement vingt-quatre heures avant que j’ai effectivement Arlette Chabot qui me donne le déroulé de quelque chose que j’avais… »
- Ariane Massenet l’interrompt : « Le matin-même. Arlette Chabot dit le matin-même. »
- Vincent Peillon : « A 11 heures. »
- Ariane Massenet : « C’est ça, donc le matin-même, pas vingt-quatre heures. »
(Brouhaha…)
- Alain Duhamel (indifférent aux faits, comme Denisot l’était au fond) : « Attendez, on ne refait pas la bataille de Wagram. »
Commence alors, sinon la bataille de Wagram, du moins le match de Canal Plus. Placés côte à côte, Vincent Peillon et Alain Duhamel se tournent l’un vers l’autre.
… Qu’importe le cadre imposé
- Vincent Peillon (qui répond ainsi à la remarque sur la bataille de Wagram) : « Si, si, parce que vous voyez… Il y en a qui ont le droit de mentir et puis les autres en face doivent plier devant les puissances médiatiques ? »
Alain Duhamel se tourne complètement vers Peillon, se dresse et croise les bras avec un air de défi (ce qui provoque quelques rires dans le public).
- Alain Duhamel : « Et qui a le droit de mentir ? »
- Vincent Peillon : « Vous. Tout le temps. »
- Alain Duhamel tape des mains sur la table, recule son fauteuil, et, d’émotion, ne parvient plus à reprendre sa pose bras croisés : « Ah ben ça alors ! » (Nouveaux rires dans le public).
- Vincent Peillon : « Et en permanence. Et pour organiser les débats. Et pour choisir les invités. Et de leurs idées sur les questions. »
- Alain Duhamel : « Eh ben donnez moi un exemple, eh ben donnez moi un exemple. »
- Vincent Peillon : « Ecoutez… »
- Alain Duhamel : « Le ‘‘vous’’ était qui ? Le vous, c’était qui ? »
- Jean-Michel Aphatie (que l’on entend à peine) : « Le ‘’vous’’ était un terme générique. Pas Alain, pas Alain… »
- Vincent Peillon : « En l’occurrence, dans la préparation de l’émission, on ne me dit pas, quand on demande l’accord, qui il y aura. On ne dit pas, lorsqu’on fait venir Martine Aubry sur des sujets sociaux, qu’on va consacrer la moitié du temps à l’identité nationale, avec une photo [il désigne le grand écran du plateau] de jeunes filles portant la burqa pendant toute la soirée. »
Vincent Peillon fait allusion à la précédente émission dont l’invitée principale était Martine Aubry, confrontée dans les conditions qu’il vient de mentionner, à Jean-François Copé. Mais la Cour n’a que faire de ce précédent.
- Vincent Peillon : « Il y a des procédés en France qui doivent cesser. […] On va voir M. Sarkozy trois heures sur TF1 ; on est en période électorale qui commence. On avait ça hier : c’est inscrit dans une stratégie de communication politique et je dis… »
- Jean-Michel Aphatie : « Pffff… »
- Michel Denisot : « Vous pensez qu’il y a un grand manitou qui dirige tout ça ? »
- Vincent Peillon : « Je dis qu’en l’occurrence oui, et d’ailleurs pour votre profession aujourd’hui, moi je suis… »
(Brouhaha…)
- Joseph Macé-Scaron : « Ben oui, c’est organisé quand même »
- Jean-Michel Aphatie : « Non mais écoutez, il ne faut pas tomber dans une dérive. La République n’est pas euh… » (Il ne sait visiblement pas comment finir sa phrase).
- Alain Duhamel embraye : « Il ne faut pas non plus faire de la paranoïa, parce que… »
Il est évidemment paranoïaque de penser, non qu’un grand manitou dirige tout cela, mais que la stratégie politique du pouvoir en place et, particulièrement, sa stratégie de communication, produit des effets, volontaires ou pas, sur les choix réputés indépendants de responsables de France 2.
Qu’importe tout cela…
…Pourvu qu’on « débatte »
- Alain Duhamel : « Sur un point précis. On ne peut pas à la fois se plaindre de ce que le débat ne se déroule pas dans des conditions satisfaisantes [Denisot : « Ouais »], et, alors qu’on dispose d’un temps de parole équivalent… ben oui, c’est un temps de parole équivalent ! »
- Vincent Peillon : « Non. »
- Alain Duhamel, se tournant vers Joseph Macé-Scaron : « Le deuxième plateau ? Bah, je l’ai fait dix fois ! »
- Joseph Macé-Scaron : « Mais non mais ça n’a rien à voir… »
- Alain Duhamel, se retournant vers Peillon, excédé par la mauvaise camaraderie de Macé-Scaron : « Ah, ça n’a rien à voir, bon d’accord… Non non non, C’est différent. Quand on a un temps de parole, ne pas l’utiliser ! On ne peut pas à la fois refuser les débats télévisés, et dire il y a pas de débat ! »
- Joseph Macé-Scaron : « Mais bien sûr, quand tous les téléspectateurs seront partis ! »
- Alain Duhamel : « Mais ça n’est pas vrai ! »
- Joseph Macé-Scaron : « Bien sûr ! »
Rappelons que le « deuxième plateau », qu’Alain Duhamel a « fait dix fois » est généralement une table ronde qui peut réunir une demi-douzaine d’invités. Alain Duhamel qui, il faut s’en souvenir, a tout « très bien compris », a compris qu’il faut accepter de débattre de n’importe quoi, dans n’importe quelle condition.
Michel Denisot offre alors à Arlette Chabot 2 minutes 30 sans interruption pour s’expliquer. Sans revenir pour l’instant sur le fond, signalons simplement que Vincent Peillon n’a même pas pu répondre immédiatement à sa longue tirade, pendant laquelle il sourit et secoue la tête comme pour signifier qu’il conteste ses affirmations.
« Merci Arlette », reprend Denisot, qui demande à Peillon s’il réclame toujours la démission de Chabot. Peillon répond : « Oui, bien sûr. Il faut assumer ses responsabilités quand on organise ce genre de débats. »
« Bien sûr » ? L’obstination dans l’erreur irrite Joseph Macé-Scaron, contempteur du « corporatisme » de ses collègues, qui trouve cependant, d’accord en cela avec tout le monde (journalistique), que « ce n’est pas le rôle d’un politique de demander la démission d’un journaliste ». Et, ajoute-t-il avant d’être coupé : « de même que, de même que l’inverse… ». Que l’inverse est vrai aussi, faut-il comprendre.
Demander, en l’occurrence, la démission d’Arlette Chabot, peut n’être ni utile ni opportun. Mais, petite nuance qui a son importance, Vincent Peillon a demandé sa démission et non sa révocation. Et l’on attend avec curiosité la liste des professions qui peuvent demander la démission des autres, la liste de celles dont on peut demander la démission… et le tableau des correspondances. Qui aurait le droit de demander la démission d’un journaliste ? Ces mêmes journalistes de haut rang qui ne le font jamais, même en cas de faute lourde et qui acceptent pourtant, sans broncher, les licenciements de leurs collègues quand ils sont arbitrairement prononcés par les chefferies éditoriales ?
Denisot lance alors « un document » : une vidéo d’un échange entre Vincent Peillon et Marielle de Sarnez prise samedi 9 janvier 2010, en marge d’une réunion à Nanterre. « Il y avait des caméras qui tournaient, qui n’étaient pas cachées, et vous avez échangé avec elle sur votre doute, s’il fallait y aller ou pas. » La diffusion de cette vidéo d’une conversation privée ne semble cette fois guère indisposer Alain Duhamel, qui avait pourtant poussé des hauts cris dans l’affaire Hortefeux, contre la « Totale Transparence » imposée au monde civilisé par Internet et la vidéo…
Vincent Peillon s’appuie sur ce document pour affirmer qu’Arlette Chabot voulait mettre Le Pen en avant. Puis, évoquant le malaise existant dans la rédaction de France 2, il sera repris par un étrange défenseur des responsables de la chaîne.
Les journalistes syndiqués, ces pelés, ces galeux…
- Vincent Peillon : « Il y a un grand malaise dans la rédaction. Il y a quand même des journalistes qui nous parlent y a même des journalistes qui ont pris position hier pour demander – de la chaîne publique ! – l’annulation de ce débat qui déshonorait leur profession… »
- Alain Duhamel : « … Disent-ils. »
- Vincent Peillon : « Disent-ils, oui, mais enfin ce sont des journalistes… »
- Alain Duhamel, haussant les épaules : « SNJ-CGT ! »
- Vincent Peillon : « Et alors ? »
- Alain Duhamel : « Ben je veux dire ce n’est pas la première fois qu’ils prennent des positions comme ça avant des débats. »
- Vincent Peillon, se tourne vers Duhamel et réciproquement : « Vous ne pouvez pas traiter les gens comme ça, M. Alain Duhamel. Je vous le dis gentiment parce que il y a un moment où moi, je n’ai plus… Franchement… »
- Alain Duhamel, prend un air de défi : « Non mais vous m’intimidez pas vous savez… »
- Vincent Peillon : « Mais je ne cherche pas à vous intimider ! »
- Alain Duhamel : « Ce n’est pas la peine de prendre un grand air pour me parler ; parlez-moi comme vous le faites d’ordinaire ! »
-Vincent Peillon : « Et bien je vous dis… »
- Alain Duhamel : « C’est-à-dire courtoisement, en écoutant et en laissant répondre ! Chacun son tour ! »
- Vincent Peillon : « Ne déconsidérez pas des journalistes parce qu’ils sont syndicalistes , ce n’est pas bon en démocratie. Ce mépris "SNJ-CGT"… »
- Alain Duhamel, scandalisé, lève les bras et les yeux au ciel : « Mais qu’est-ce que vous, qui est-ce qui fait ça ? Qui est-ce qui fait ça ? C’est uniquement pour dire qu’ils ont des o-pi-nions ! Comme nous ! »
- Vincent Peillon : « Mais vous aussi ! »
- Alain Duhamel : « C’est ce que je dis ! Comme nous ! Mais il faut pas en faire une arme ! »
- Vincent Peillon : « Mais vous, vous avez plus que des opinions... »
Que voulait-il dire ? On ne le saura pas. Peut-être souligner que les opinants en question disposent aussi du pouvoir de participer à l’organisation « pipée » de débats « piégés » où se débattent la plupart des opinions, à l’exception de quelques unes, mais d’abord de la leur ?
Et que voulait dire Alain Duhamel ? Que tout le monde a des opinions ? Que seules celles des syndicalistes, qui peuvent pourtant rarement les faire valoir, sont des armes, qu’il faudrait prohiber ? Ou, M. Peillon ayant visé juste, cherche-t-il simplement à faire diversion en disant haut fort et rapidement ce qui lui passe par la tête ?
Quoi qu’il en soit, Michel Denisot décide que le temps est venu pour tous d’écouter religieusement la seconde leçon de morale du professeur Aphatie, qui, cette fois, dit le Droit.
Le grand retour du moraliste
- Jean-Michel Aphatie (solennel) : « Vincent Peillon. Vous avez le droit de penser que ce débat est indigne. Vous avez le droit de dire que le service public n’a pas à l’organiser. Vous avez le droit le critiquer tous les gens qui organisent ce type de débat. Mais en temps que responsable politique, vous n’avez pas le droit, mais vraiment je le dis avec la plus absolue sincérité, le droit de dissimuler vos intentions, puis de mentir pour provoquer une situation. Ca, dans le débat public, ça n’est pas admissible [fait-il avec force mouvements de mains pour appuyer son propos]. On ne peut pas vivre ensemble le débat public comme ça ». Il est interrompu.
- Joseph Macé-Scaron : « Dans le débat philosophique, ça s’appelle le dévoilement, hein, je crois que Heidegger a écrit quelque chose là-dessus. »
- Alain Duhamel, soucieux de précision : « Dans le débat politique, ça s’appelle un piège. »
- Jean-Michel Aphatie, poursuit en haussant le ton : « Si tous les responsables politiques se sentent autorisés à camoufler leur pensée, à dire l’inverse de ce qu’ils pensent pour provoquer la faute de leur concurrent, je peux vous dire que le débat public deviendra incompréhensible. Et j’aimerais juste, pour terminer, que vous dissociiez, dans votre propos, ce qui est votre attitude, qui à mon avis me paraît très contestable, de votre jugement sur le débat, parce que ça effectivement ça peut être discuté. Ce sont des choses différentes. Il faut que vous assumiez votre responsabilité. »
Invité à dissocier ce qui est indissociable, Vincent Peillon déclare que ses « armes » étaient « soit de plier, soit de créer ce scandale. »
Peut-être n’était-ce pas le seul choix possible. Sans doute ce choix n’aurait-il pas existé si le Parti socialiste avait adopté depuis le lancement du « débat sur l’identité nationale » une attitude cohérente et une position commune, au lieu de se livrer aux délices de la compétition entre ses porte-parole officieux. En tout cas le tribunal a tranché : il n’y avait aucun choix à effectuer. Les organisateurs des matches télévisés sont au-dessus de toute critique et de toute contestation.
* Henri Maler et Olivier Poche – avec la contribution indispensable de Frantz Peultier et Matthieu Vincent pour la transcription et de Ricar pour la vidéo.
Acrimed vous offre une transcription presque intégrale du procès (14 février)