De la proximité avant toute chose…
TF1, chaîne de la proximité, avait dépêché Jean-Pierre Pernaut, journaliste de proximité, pour faire la promotion de la chaîne et de la proximité. Et mettre en scène un Nicolas Sarkozy, venu à la rencontre des Français, à la façon dont chaque jour les reporters de TF1 vont à la rencontre des Français. Le Président de la proximité et la chaîne de la proximité étaient faits pour se rencontrer….
… Et rencontrer de vraies gens, dans un faux bistrot, avec un vrai/faux garçon de café, pour parler des « vrais problèmes » et consommer la défaite du journalisme.
De vraies gens…
Choisis par des journalistes de TF1 selon des critères jamais explicités à l’exception d’un seul – avoir figuré dans un reportage de TF1 – les Français ainsi panélisés assuraient du même coup la promotion de TF1, dont les reportages sont si proches des gens que le Président ne pouvait pas faire autrement que d’« accepter » de les rencontrer ! Jean-Pierre Pernaut les présente ainsi : « Les onze Français qui sont avec moi sont donc passés dans des reportages de TF1 ; ont été choisis par des journalistes de la chaîne. Tous ont témoigné dans des reportages. Ils ont, comme vous sans doute, des choses à dire au Président qui a accepté ce tête à tête. On est tous autour de quelques tables pour discuter le plus franchement possible. Un tête-à-tête avec vous aussi pour un dialogue que j’espère le plus direct et le plus concret possible ».
« Franchement », mais « concrètement », les onze Français sont invités à « discuter » : à vrai dire, à soumettre au Président les problèmes dont ils sont les victimes et les symptômes.
Parmi les exemplaires des « vrais gens », on trouvait une infirmière, un ouvrier de l’automobile syndiqué à la CGT, une productrice de lait, un retraité du bâtiment contraint de travailler, un chef d’entreprise dans le transport, une comptable... tous respectables et souvent émouvants, mais assignés à leur rôle par les scénaristes de l’émission.
Face à ces « vrais gens », Nicolas Sarkozy, qui en serait un autre, si ses hautes fonctions ne l’en empêchaient. C’est du moins ce qu’on croit comprendre à travers cette première question du très déférent Jean-Pierre Pernaut, qui commence ainsi son service de passe-plat : « Avant de commencer cette émission, après tout ce que vous venez de dire à Laurence Ferrari, j’ai envie de vous poser une question que se posent peut-être pas mal de Français : est-ce que quand on est président on peut encore être près des réalités de la vie quotidienne ou est-ce que vous regrettez, par votre charge, d’en être éloigné ? » Nicolas Sarkozy, s’il n’était Président, serait évidemment très proche des réalités de la vie quotidienne d’une majorité de Français… Heureusement TF1 est là pour le consoler de son éloignement et pour l‘atténuer.
… Dans un faux bistrot
Pour afficher la proximité, jusqu’à la caricature, le décor simule la salle ou la terrasse d’un café avec des petites tables rondes – « Des petites tables cafétéria, toutes droit sorties d’un décor d’ “Hélène et les garçons” », note Rue89 - qui, très rapprochées, saturent le plateau, empêchant les invités de se déplacer et entravent le service de Jean-Pierre Pernaut.
Par deux, les témoins sont assis devant leur petite table, le Président n’ayant d’autre privilège que de pouvoir poser son auguste postérieur sur un fauteuil de couleur blanche, à faible distance de ses interlocuteurs : comme si la proximité spatiale devait simuler la proximité sociale.
Cette abolition fictive des distances est confortée par la familiarité : celle de Jean-Pierre Pernaut, invitant, dès l’introduction du « débat », les convives invités par TF1 à « dire les choses en face », à « parler franchement », à « parler de choses concrètes », et multipliant les signes de bienveillance : posant sa main sur l’épaule du syndicaliste de Renault qu’il cherche à interrompre, interpellant une productrice de lait par son prénom… Familiarité entretenue par Nicolas Sarkozy qui appelle la plupart de ses interlocuteurs par leur prénom, à l’exception d’un chef d’entreprise de transport, à qui il donne du « monsieur Bills ».
… Avec un vrai/faux garçon de café
De la proximité avant toute chose… Et pour cela TF1 a dépêché le meilleur pour interpréter le rôle du maître de cérémonie ou, mieux, du garçon de café passant de table en table pour distribuer la parole... et le temps de parole : Jean-Pierre Pernaut (dont peut lire en « Annexe » les principales contributions).
Garçon de café : un rôle qui sied à merveille à cette incarnation du journalisme de proximité, présentateur vedette du 13h00, de l’émission Combien ça coûte, et administrateur CFTC de TF1. Pour découvrir ses meilleures prestations, il suffit de cliquer sur son nom : Jean-Pierre Pernaut, dit – familièrement… – JPP.
Chargé de distribuer la parole et de passer les plats, ce serviteur des présents sait aussi se faire le porte-parole des absents (que pourtant ses invités sont censés « représenter ») : les Français qui râlent. Des français au compte desquels il met les objections qu’il ne veut pas formuler lui-même : le Président n’a pas à répondre à des objections, mais à apaiser des inquiétudes.
Metteur en scène, il reformule à sa convenance, sous prétexte de les synthétiser, les questions soulevées par les intervenants, avec pour effets d’éluder, d’édulcorer, de tronquer voire de dénaturer leurs propos, quand il n’évacue pas purement et simplement les sujets trop sensibles.
Maître du temps, il contrôle l’horloge et presse les intervenants d’abréger (mais jamais « Monsieur le Président »…), fréquemment pour désamorcer des objections soulevées par les interventions de Nicolas Sarkozy.
… Pour parler des « vrais problèmes »
Les vrais problèmes – qui le sont par ailleurs, à n’en pas douter – ce sont les problèmes identifiés par TF1 : « Vous savez que tout au long de l’année, avec les équipes de TF1, on sillonne la France pour réaliser des centaines de reportages pour expliquer la crise, les difficultés, les espoirs, les craintes dans tous les domaines. Il y a le pouvoir d’achat ; il y a l’emploi bien évidemment, avec le chômage qui a augmenté de 22% cette année ; les plans sociaux ; les délocalisations ; l’éducation ; la violence parfois ; la baisse des effectifs enseignants. 2009 ça été aussi la grippe A et les économies dans les hôpitaux ; la crise agricole ne l’oublions pas avec les revenus les plus bas depuis très longtemps ; une crise sans précédent ; les banlieues où le chômage fait des ravages avec toujours une agressivité à fleur de peau ; l’emploi des aînés ; la retraite, vous en avez parlé, la retraite qui inquiète ; et quantité d’autres sujets ».
Précédé d’un vibrant éloge de TF1, ce catalogue des « difficultés » ne mentionne ni les problèmes que soulève… la politique du gouvernement proprement dite ni les thèmes ouvertement de droite qui marquent cette politique - la « lutte contre l’immigration », la « violence dans les banlieues », « l’identité nationale » - qui seront à peine effleurés.
… et consommer la défaite du journalisme
Des vrais gens qui interrogent des politiques ? La meute des journalistes politiques, en d’autres circonstances, s’était abattue sur « J’ai une question à vous poser », l’émission diffusée, déjà sur TF1, pendant la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2007, pour déplorer leur propre absence et condamner l’invasion du plateau par des clients dociles, qui n’auraient été que témoins d’eux-mêmes et préoccupés par leurs « petits » problèmes. Une condamnation outrancière révélatrice de la haute idée que lesdits journalistes se font de leur supériorité et d’une mission qu’ils remplissent très rarement (lire : « “J’ai une question à vous poser” : les journalistes politiques et les panélisés de TF1 »).
Cette fois, la meute, trop occupée à déchiqueter Vincent Peillon, est restée au chenil. On n’entendit ni sanglots ni criailleries contre une émission qui se passait de la présence indispensable des journalistes du microcosme et donnait la parole à des « vrais gens » qui n’auraient pas posé les bonnes questions. Jean-Michel Aphatie les a même trouvé « bons » – aussi bons que le Président de la République [1].
Certes, ils avaient été choisis en leur qualité de « victimes » et non de citoyens : ce sont des porteurs de symptômes et non pas, en règle générale, des acteurs de la vie politique, entendue au sens large. Certes, le « casting » avait été soigné, pour valoriser à la fois TF1 et Nicolas Sarkozy. Mais il fallut une fois encore se rendre à l’évidence : posées le plus souvent à travers leur cas particulier, ce sont les questions sociales qui intéressent si peu les journalistes politiques du microcosme qui ont fourni la trame de l’émission. Première défaite du journalisme.
En revanche, comme lors des émissions de la campagne électorale, le journaliste présent non seulement s’est bien gardé d’aider les interlocuteurs présents à formuler leurs objections, mais il a oublié les siennes. Deuxième défaite du journalisme.
Évidemment, personne – excepté le syndicaliste de Renault – ne relèvera vraiment les approximations et les contrevérités énoncées par « Monsieur le Président ». Pis : quand des objections sont esquissées, JPP ne les relève même pas et le cas échéant les désamorce : les invités ne sont pas là pour débattre, ni même pour objecter, mais pour poser des questions. Qu’ils s’attardent sur leur cas ou le généralise, qu’ils insistent ou qu’ils objectent : JPP est là pour les rappeler gentiment, mais fermement à l’ordre. Et l’ordre, c’est la question précise qu’il était prévu qu’ils posent.
À croire qu’il n’y avait aucun journaliste sur le plateau. Pas exactement : la rédaction de TF1 n’était pas totalement absente… puisque elle a réalisé les « centaines de reportages » dont le seul nombre suffit à garantir la densité ; et Jean-Pierre Pernaut a pu citer des chiffres pour alimenter le débat, même s’ils n’entretenaient que de vagues rapports avec le propos des invités. En revanche, les conseillers en communication – pardon : les « concepteurs » et l’animateur de l’émission – qui, avant qu’elle ait lieu, ont expliqué aux « victimes » le rôle qu’elles devaient jouer, ne leur ont pas fourni les épais dossiers chiffrés qui leur auraient permis de contredire Nicolas Sarkozy. Celui-ci put donc sans crainte d’être corrigé – et pourtant… – étaler sa compassion, protégé par le sourire ému de Jean-Pierre Pernaut.
Bilan : une version politique de la télévision compassionnelle qui fait la grandeur de TF1.
Henri Maler (avec Amir Si-Larbi et Olivier Vilain)
Annexe : À quoi sert Jean-Pierre Pernaut
Petit inventaire des interventions judicieuses d’un journaliste de proximité…
(1) Première à intervenir, Nathalie est au chômage. C’est une jeune diplômée (Bac +5) à qui, dit-elle, les employeurs potentiels répondent qu’elle est « trop qualifiée » . Nicolas Sarkozy se lance dans une longue tirade sur la croissance créatrice d’emploi, mais ne répond pas à la question que l’invitée soulève et qu’elle relance (« Mais nous, jeunes diplômés, comment faisons-nous pour vivre ? »). JPP ne s’en émeut guère. Il prend la parole à trois reprises. Une première fois pour « synthétiser » la question de la jeune femme qui, selon lui aurait évoqué… « l’inadéquation entre le système universitaire et la réalité de l’emploi » ; une deuxième fois pour relancer Nicolas Sarkozy : « Monsieur le Président, il y a le chômage des jeunes. Vous dites que ça ira mieux l’année prochaine mais… » ; une troisième fois pour l’interroger à nouveau : « C’est encore insuffisant à votre avis, malgré la réforme des universités ? » C’est service compris. Et ça le sera pour toutes les consommations de la soirée…
(2) La tâche de JPP se complique avec l’interlocuteur suivant, Pierre Le Ménahes, syndicaliste CGT chez un sous-traitant de Renault. « Meilleur interviewer de TF1 » [2], il ne se laisse ni impressionner ni désarçonner par la verve présidentielle. Il prend une minute pour soulever un problème général. Voulant abréger le propos de ce journaliste improvisé, JPP recentre : « Ce qui vous inquiète aujourd’hui c’est les délocalisations d’automobile notamment ? » Le syndicaliste tente alors de replacer la crise dans son contexte. Il est vite coupé par JPP qui s’adresse à Sarkozy pour présenter des chiffres sur les délocalisations : « et on voit monsieur le Président, on voit quelques chiffres à l’antenne qui sont importants. Les destructions d’emplois en France en 2009 : 373 000. En 2010, on en prévoit beaucoup moins peut-être avec cette reprise de la croissance. » Et s’adressant au syndicaliste, il le presse de poser « une question précise ».
Nicolas Sarkozy demande au syndicaliste s’il est chez Renault ou l’un de ses sous-traitants. Ce dernier tente de parler des effets et méfaits de la sous-traitance. Il est une nouvelle fois interrompu par JPP qu’il lui demande : « Est-ce que vous pouvez poser une question au Président si vous avez une chose à lui demander là maintenant ? » Lorsque le syndicaliste demande à Nicolas Sarkozy si ce dernier va intervenir contre l’envolée des profits, JPP reprend la parole pour désamorcer la question et la reformuler à l’usage du Président : « Rapidement [sic], où est l’idée du partage en trois tiers ? (...) Le partage en trois tiers, un tiers des richesses ou des bénéfices aux salariés, un tiers à l’investissement, un tiers aux actionnaires. » Le syndicaliste tente d’intervenir à nouveau ; JPP tente, lui, de l’en dissuader. Posant une main sur son épaule, il insiste pesamment « Excusez-moi, excusez-moi monsieur Le Ménahes [il lui pose la main sur l’épaule]... monsieur Le Ménahes... monsieur Le Ménahes... monsieur le Président... pardonnez-moi monsieur Le Ménahes, je voudrais qu’on laisse parler Jimmy Bills.. ». Et d’enchaîner aussitôt : « Vous parliez [il s’adresse à Sarkozy] de chef d’entreprise. On en a un ici, il a 800 salariés et il est en difficulté ».
(3) Jimmy Bills, qui considère la taxe carbone comme « un impôt de plus pour les transporteurs », demande une exonération. Nicolas Sarkozy promet : « nous allons nous battre pour avoir une taxe carbone aux frontières de l’Europe ». Jimmy Bills s’inquiète de la différence des salaires au sein de l’Union européenne. Mais quand il veut s’expliquer JPP le coupe : « Quelle est votre question s’il vous plaît ? »
(4) JPP : « […] Monsieur le président ça nous amène directement, vous évoquiez l’agriculture, à Sophie Pouks qui est avec nous et qui est productrice de lait avec son mari. Juste après votre discours, Monsieur le président (bis), à Poligny dans le Jura, vous aviez annoncé une loi sur la modernisation agricole et vous aviez annoncé des mesures d’urgence pour les producteurs de lait. Écoutez ce que vous disait Sophie elle n’y allait pas de main morte ». Du reportage émerge une phrase de Sophie Pouks qui déclare que ces mesures sont un pansement sur une jambe cassée. JPP en plateau : « Voila “un pansement sur une jambe cassée : à chacun son métier”. Quelle est votre question Sophie ? ». Quelque temps plus tard, lorsque la productrice de lait parle de la nécessaire régulation du marché, JPP invite Monsieur le Président à en parler une autre fois : « Est-ce que vous ne souhaitez pas qu’on en reparle dans une autre émission, lorsqu’on parlera de la loi de modernisation agricole, Monsieur le Président ? »
(5) C’est ensuite au tour de Samir, professeur contractuel en économie-gestion dans un lycée professionnel de Gagny, qui demande un « véritable statut et une reconnaissance de son travail ». Nicolas Sarkozy promet, sans s’attirer la moindre remarque de JPP, de titulariser progressivement tous les contractuels de la fonction publique… en dépit des réductions d’effectifs dans l’Éducation nationale. Des objections ? JPP reste d’une parfaite sobriété. Sa préoccupation ? « Posez votre question s’il vous plait ».
(6) C’est maintenant Martine Millet, infirmière dans un service d’urgence à Argenteuil depuis 20 ans, qui n’imaginait pas « soigner des gens dans les couloirs » quand elle a commencé son métier. Que peut Nicolas Sarkozy face à cette « dégradation des conditions de travail » ? Il ne répondra pas. Mais JPP parvient en transformant des objections en mauvaise humeur à désamorcer leur portée critique : « Est-ce qu’on devrait avoir une vision comptable de la santé ? Il y a plein de gens qui - souvent dans les reportages des journaux télévisés - râlent parce qu’on supprime un service ici, un service là dans une petite ville, et là on est dans une logique économique ». Nicolas Sarkozy peut déplorer les déficits accumulés par les hôpitaux, sans soulever la moindre objection.
Pierre Le Ménahes intervient et propose de « taxer tous ceux qui auraient les moyens de financer ». Nicolas Sarkozy : « Nous sommes déjà le pays qui paye le plus d’impôts », assure le chef de l’État. C’est inexact : le Danemark, la Suède, la Belgique et l’Italie font… encore mieux que la France. Mais JPP ne savait pas. Même ignorance ou opportune absence quand JPP interroge le Président sur le bouclier fiscal à 50% – ce que, dit-il, en transformant l’objection en question de goût, « beaucoup de gens n’ont pas apprécié ». Sarkozy se justifie : « Dans un pays moderne, je considère que l’Etat doit vous laisser la moitié de ce que vous gagnez ». JPP, animateur de Combien ça coûte depuis plus de dix ans, ne l’interrompt pas. Et Nicolas Sarkozy peut prétendre, sans que son mensonge ou son erreur soit corrigée, qu’un tel bouclier fiscal existe dans la constitution en Allemagne.
(7) Rex Kazadi, un habitant de Villiers-le-Bel – « qui connaît la banlieue comme sa poche », Jean-Pierre Pernaut dixit – veut interroger Nicolas Sarkozy sur le « Plan Banlieue » de Fadela Amara. Nicolas Sarkozy lui répond par un éloge du… plan Borloo de rénovation urbaine. JPP n’interviendra pas. Rex Kazadi ayant concédé que des mesures utiles ont été prises en matière de sécurité, tente de soulever les problèmes des discriminations sociales. Il n’y parviendra pas. C’est à peine si JPP est au courant. Mas il ne se prive pas de donner un chiffre sur les créations d’entreprises au moment où l’invité parle des difficultés liées au chômage dans les banlieues populaires. Le Président botte en touche en parlant des parcours « d’excellence » qu’il organise vers les grandes écoles pour les rescapés des ZEP. L’invité aborde le thème de l’identité nationale : « J’aurais préféré que la question posée soit : comment vit-on ensemble avec nos différences culturelles parce que juridiquement on sait déjà ce que c’est qu’un Français... » Nicolas Sarkozy l’interrompt, faisant mine de n’avoir rien compris : « Une fois qu’on a dit Liberté, Égalité, Fraternité... » Alors que manifestement Nicolas Sarkozy répond à côté de la question, JPP n’intervient pas. L’invité ne lâche pas prise. L’échange se prolonge. « Je peux... je peux... », balbutie JPP qui porte la main à son menton pour se donner une contenance. L’invité et Sarkozy poursuivent sans se soucier des tentatives de JPP. L’invité enfonce le clou : « Si vous définissez un cadre en disant "être français c’est ça". Hé bien, il y aura des gens qui ne rentreront pas dans ce cadre-là parce que nous ne sommes pas tous identiques. Dialoguez, c’est bien mais il fallait poser la bonne question ». JPP marmonne « On a entendu... On a entendu... » et reprend la main : « On va revenir à l’économie, si vous le voulez monsieur le Président, avec Bernadette Tessadri ».
(8) Bernadette Tessadri a trois enfants et gagne moins de 3000 euros par mois. « Le portefeuille à la fin du mois, ça va pas », commente finement JPP qui ajoute : « En résumé [sic], les classes moyennes, les oubliées des réformes, monsieur le Président. » Il précise le salaire médian des ménages : 2300 euros (On ne dira pas si ce couple type a des enfants ou non, et on ne précisera pas que le salaire médian pour une personne seule est de 1400 euros). Quand Bernadette Tessadri tente de parler, JPP la coupe car, dit-il, « il nous reste 5 minutes pour parler après des entrepreneurs et de la retraite ». En réalité l’émission durera 30 minutes de plus.
Bernadette Tessadri reprend la parole. JPP la coupe à nouveau : « Alors comment on fait quand on n’y arrive pas ? » Nicolas Sarkozy se lance dans un plaidoyer pro domo qui lui permet, en fin de tirade, de revenir l’une des ses mesures phares : « La seule façon pour vous d’augmenter votre salaires, ce sont les heures supplémentaires, y compris pour votre mari qui est fonctionnaire (...) Vous savez, sur les heures supplémentaires que vous ferez, vous ne paierez pas d’impôt dessus, vous ne paierez pas de charges. » Pas de chance ! La « panélisée » réplique : « Je vous coupe parce que mon employeur est contre les heures supplémentaires. » JPP regarde ses chaussures... évitant de souligner que les opposants à cette loi avaient prévu cette situation. Il ne sait pas non plus que selon l’OFCE, par exemple, l’envolée du chômage s’expliquerait en grande partie en raison de cette mesure.
(9) Puis, JPP présente Élodie Lepont-Jubin qui a créé son auto-entreprise dans l’organisation de mariages [3]. Un reportage la montre où, déjà conquise, elle se répand sur l’absence de charges... JPP la coupe : « Il y a eu 320 000 créations d’entreprise cette année, plus que prévu. » Ouf ! Nicolas Sarkozy enchaîne : « Vous vous rendez compte 320 000 créations d’entreprise en pleine crise. (...) On a été un peu dépassé par le succès ». Élodie Lepont-Jubin souligne qu’il y a « beaucoup de gens qui sont noyés par les démarches, par l’administration… » JPP, grand chevalier de la lutte contre la paperasse, l’interrompt : « Ah ben la voilà votre question, la voilà ! »
(10) Vient le tour de Marguerite Gauthier, 58 ans, comptable. Son mari est au chômage depuis cinq ans. L’occasion pour Sarkozy de parler du droit au travail des salariés les plus âgés. Nicolas Sarkozy répond : « C’est un scandale ! On a mis fin aux pré-retraites ! Le taux d’emploi remonte. On a autorisé le cumul emploi/retraite. Il faut que l’on travaille plus, c’est pourquoi il faut travailler le dimanche. » JPP ne moufte pas. C’est l’agricultrice qui apporte la contradiction : « Les maçons ce sera très difficile de les faire travailler plus. » Nicolas Sarkozy défend sa défiscalisation des heures supplémentaires. Pas de chance : l’employeur de son interlocutrice qui travaille « dans la grande distribution » ne veut pas que ses salariés en fassent.
(11) JPP présente enfin le dernier interlocuteur : Jean-Georges Bertheloot, un retraité dont tous les biens ont été saisis et qui vit avec 410 euros par mois et 1000 euros de retraite complémentaire chaque trimestre. Nicolas Sarkozy explique les mesures qu’il a prises pour relever les plus petites pensions de retraite, en particulier des artisans : « « La seule chose que je n’accepterai pas, affirme le Président, c’est qu’on abaisse le niveau des pensions. Elles sont trop basses ». Pourquoi ? La question n’intéresse pas JPP [4]. Le retraité, au bord des larmes, reprend la parole. JPP le coupe : « Ah, ah, il va falloir conclure. » Nicolas Sarkozy, sourire aux lèvres, s’adresse alors à JPP : « Vous ne m’avez pas réservé le cas le plus facile, même si Monsieur Bertheloot est éminemment sympathique et courageux ».
Il est 22h29. Jean-Pierre Pernault pose alors la question décisive : Nicolas Sarkozy sera-t-il ou non candidat en 2012 ? Nicolas Sarkozy répond : « Les Français jugeront au résultat, mais je vous demande de considérer que mon travail n’est pas très facile (…) J’ai un bail de cinq ans, c’est à moi d’en faire le bail le plus utile pour la France, on verra à ce moment-là s’il faut faire un stop ou encore. »
Personne n’a interrogé l’audacieux Jean-Pierre Pernaut sur la difficulté de son travail et la durée de son bail….