I. Un groupe multimédias, mondial et tentaculaire
News Corporation est actuellement (début février 2010) le troisième plus grand groupe mondial de médias. Sa valeur en 2008 était estimée à 85 milliards de dollars, 55 pour son actif [1], 30,4 pour son chiffre d’affaires (2008) [2]. Seuls Time Warner et Walt Disney Company le dépassent, avec respectivement 37,8 et 46,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires [3].
C’est un groupe particulièrement diversifié et internationalisé, qui intervient « dans le divertissement filmé, la télévision, la programmation du réseau par câble, de télévision directe par satellite de radiodiffusion, des magazines et des encarts, des journaux et services d’information et les industries de l’édition. » Ses activités « sont principalement menées aux États-Unis, en Europe continentale, au Royaume-Uni, en Australie, en Asie et en Amérique latine » [4]. Un groupe qui cherche pourtant encore à étendre sa sphère d’influence géographique. Dans un premier temps, retour sur l’ensemble de ses activités, à partir des données disponibles sur le site de New Corporations.
– Cinéma et production télévisuelle
20th Century Fox - 20th Century Fox Espagne - 20th Century Fox Home Entertainment - 20th Century Fox International - 20th Century Fox Television - Fox Seachling Pictures - Fox Studios Australia - Fox Studios LA (Los Angeles) - Fox Television Sudios - Blue Sky Studios.
– Télévision : Fox Broadcasting Company - Fox Sports Austalia - Stations de télévision Fox - MyNetworkTV.
– Câble : Fox Business Network - Fox Movie Channel - Fox News Channel - Fox College Sports - Fox Sports Enterprises - Fox Sports en Espagnol - Fox Sports Net - Fox Soccer Channel - Fox Reality Channel - Fuel TV - FX - National Geogrphic Channel - Speed Vitesse - STAR - Stats Inc.
– Satellite : BSkyB - FOXTEL - Sky Deutschland - Sky Italia.
– Marketing publicitaire à destination des entreprises : News Marketing America - Smart Source.
– Journaux
- Australie - Asie : Daily Telegraph - Fiji Times - Golf Coast Bulletin - Herald Sun - Newsphotos - Newspix - NT News - Post Courier - Sunday Herald Sun - Sunday Mail - Sunday Tasmanian - Sunday Territorian - Sunday Times - The Advertiser - The Australian - The Courrier Mail - The Mercury - The Sunday Mail - The Sunday Telegraph - Weekly Times - Big League - Inside out - Donna Hay - ALPHA.
- Royaume-Uni : News International - News of the World - The Sun - The Sunday Times - The Times - Times Literary Supplement.
- Etats-Unis : New York Post.
- International : The Wall Street Journal [5]- Dow Jones.
– Edition : Harpers Collins Publishers - Harpers Collins Australia - Harpers Collins United States - Harpers Collins United Kingdom - Livres pour enfants (Chilldren’s Books) - Zondervan.
– Autres : AmercianIdol.com - AskMen - Braoadsystem - Beliefnet - career.one.com.au - CARSguide.com.au - Fox.com - FoxSports.com - FoxSports.com.au - hulu.com - IGN Entertainment - kSoloFestival - Milkround - Myspace - National Rugby League - NDS - Newscom.au - News Digital Media - News Outdoor - Rotten Tomatoes - Scout - Spring Widgets - truelocal.com - WhatIfSports National Records (Australie) - Fox Interactive - Mushroom Records (Australies) - National Rugby League (Australie) - NDS - News Interactive (Australie)- News Outdoor - Nursery World (Grande-Bretagne).
II. Vers une extension géographique
1. Télévision en Europe : les grandes manœuvres
- Allemagne : renforcement de l’emprise capitalistique de News Corporation
News Corporation « va monter sa participation de 39,96 % à 45,42 % dans sa filiale allemande Sky Deutschland (bouquet satellite à péage) [6] via une augmentation de capital qui permettra à la chaîne à péage en difficulté de récupérer quelques 110 millions d’euros » [7].
Cette montée en puissance de News Corporation marque une volonté de reprise en main du management (« pour être positif pour l’année 2011 et suivantes »), les prévisions 2010 tablant toujours sur un résultat négatif, comme en 2009.
- Italie : guerre de tranchées avec Berlusconi
Dans ce pays, le magnat australo-américain, avec son bouquet Sky Italia, doit faire face au gouvernement actuel qui favorise la suprématie du groupe de médias que possède Silvio Berlusconi à titre privé, Mediaset. Selon Le Monde du 23 décembre 2009, Le président du conseil italien « a approuvé, le 17 décembre, un projet de décret visant à réduire le volume de publicité diffusée sur les chaînes de télévision à péage ».
Fixé jusqu’en 2009 à 18 % sur « les chaînes payantes diffusées par satellite et via le numérique hertzien », le volume horaire doit passer « à 16 % [et] sera plafonné à 14 % en 2011 puis à 12 % en 2012 », ce dernier chiffre correspondant au plafond déjà appliqué aux chaînes publiques de la RAI.
Les chaînes privées du groupe Mediaset de Berlusconi, Canale 5, Italia 1 et Rette 4, devraient elles aussi être touchées par cette mesure (si elle était effectivement appliquée) [8]. Mais c’est bien Sky Italia, qui apparait comme la cible principale du projet, étant le premier opérateur de télévision à péage « avec 4,8 millions d’abonnés à la fin du premier semestre et une part de marché d’environ 90% . Mediaset est également présent dans ce secteur mais sa part de marché ne s’établit qu’autour de 5% » (cbnews.fr, 17 septembre 2009). Et par conséquent, le bouquet Sky Italia est le plus sensible à une réduction importante des rentrées publicitaires.
Ce nouvel épisode n’est que la suite logique d’un bras de fer qui, commencé fin 2008, avait déjà vu le gouvernement mettre en place « le doublement de la TVA sur les abonnements » ; puis en juillet 2009 « avec le projet de lancement, à l’initiative de Mediaset et de la RAI, d’un bouquet satellitaire numérique gratuit ».
Sans parler de la plainte déposée le 16 septembre 2009 par Sky Italia contre « Publitalia, régie publicitaire de Médiaset, le bouquet numérique [qui] l’avait accusé de l’empêcher d’acheter, notamment de la publicité sur Canale 5, Rete 4 et Italia 1 » (Le Monde, 23 décembre 2009).
Reste à savoir maintenant si la bataille rangée à laquelle nous assistons depuis près de deux ans sera menée à son terme. Les deux magnats des médias préféreront-ils en définitive un arrangement plutôt qu’une guerre fratricide ?
- Grande-Bretagne : à l’assaut de la BBC
« Menés par le clan de Rupert Murdoch, actionnaire principal du bouquet satellite BSkyB, les rivaux du privé gravement touchés par la chute de leurs recettes publicitaires multiplient les accusations de concurrence déloyale à l’encontre de BBC Worldwide, filiale commerciale extrêmement profitable » (Le Monde, 17 janvier 2010).
Pour Murdoch, il s’agit de poursuivre l’offensive déjà lancée il y a quelques mois. Le 28 août 2009, c’est le fils, James Murdoch, qui a tiré à boulets rouges sur la BBC, responsable évidemment de tous les maux des médias privés : « Dans un discours au festival de la télévision d’Édimbourg vendredi 28 août, le sémillant dirigeant de BSkyB (le Canal Plus anglais en plus gros) a jugé que l’existence de la BBC rendait plus difficile la survie des chaînes privées. "Les autres organisations peuvent se développer ou disparaître mais le revenu de la BBC est garanti et augmente". » [9].
Cette offensive intervient en pleine campagne contre la BBC, mise sur la sellette dans un rapport récent de Policy Exchange, un think tank britannique de « centre-droit » proche des conservateurs [10].
Des conservateurs, emmenés par David Cameron, que Murdoch a choisi de soutenir à l’approche des élections qui doivent se tenir en juin 2010, tenant pour acquise la défaite des travaillistes, et changeant ainsi son fusil d’épaule, après avoir apporté son soutien à ces derniers lors des trois derniers scrutins [11].
On peut imaginer que ce soutien n’est pas complètement désintéressé... Il s’agit sans aucun doute de faire en sorte que BSkyB, son puissant bouquet satellitaire à péage « atteignant un tiers de tous les foyers » [12], puisse tirer profit d’une éventuelle remise en cause des missions de la BBC.
2. Nouvelle destination : la péninsule arabique
L’alliance stratégique maintes fois annoncée entre News Corporation et le prince saoudien Al Walid, déjà actionnaire minoritaire du groupe, vient de se concrétiser : ils « ont noué un partenariat dans les domaines de la télévision et de la production cinématographique [...] Le prince Al-Walid a annoncé à Ryad que son groupe régional du divertissement Rotana cédait 9,09% de ses actions au géant des médias News Corporation de Murdoch, avec une option pour doubler cette participation dans les 18 prochains mois. Les deux hommes avaient déjà entamé un rapprochement : Kingdom, le holding du prince Al-Walid, contrôle déjà 7% des parts dans News Corp, et Rotana diffuse des émissions de Fox Entertainment sur ses chaînes basées à Dubaï : Fox Series et Fox Movies » (lefigaro.fr, reprenant l’AFP, 24 février).
Dans cette affaire, les deux protagonistes, « un fervent défenseur d’Israël [Rupert Murdoch] et un prince d’un royaume islamique ultra-conservateur [...] ont mis de côté leurs divergences politiques » pour un objectif qui surpasse tous les autres : un « contrat, particulièrement lucratif » [13].
Il n’a en effet pas échappé à James Murdoch, le fils, directeur général de News Corporation pour l’Europe et l’Asie, qu’ « une participation dans Rotana élargit notre présence dans une région qui compte une population jeune et où la croissance de PIB est appelée à dépasser celle des économies les plus développées dans les prochaines années » [14]. De si juteuses perspectives créent inévitablement des envies auxquelles il est bien difficile de résister...
Une alliance stratégique qui permet incontestablement à News Corporation de renforcer encore sa position planétaire.
... Et une révolution qui ne manque pas d’inquiéter : « Le plus significatif reste incontestablement la naissance de la Murdochtana, monstre quelque peu effrayant qui voit le groupe de l’émir al-Walid Ibn Talal dont les images de rêve forgent l’imaginaire de la jeunesse arabe s’allier à celui de Robert Murdoch, le propriétaire de la Fox News, une des voix les plus outrageusement néo-conservatrices, au sens donné par l’administration de Georges Bush à ce terme… » [15].
III. Une diversification des supports ?
1. Une rentabilité inégalement répartie
Malgré une conjoncture incertaine, la diversification du groupe permet à News Corporation de continuer de dégager de confortables profits. Rupert Murdoch l’a rappelé en fin d’année dernière, tout en annonçant dans le quotidien italien La Stampa des perspectives encore meilleures pour l’avenir : « En 2009 nous avons réalisé un bénéfice d’exploitation de 3,5 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros), nous ferons mieux en 2010 » (propos cités par l’agence Reuters et rapportés par Les Echos.
« Le groupe a précisé prévoir une croissance d’environ 10% de son bénéfice d’exploitation annuel » rapporte L’Usine Nouvelle du 5 novembre 2009 [16]. Cette annonce s’est confirmée puisque « Le groupe [...] a annoncé avoir dégagé un bénéfice net de 254 millions de dollars au deuxième trimestre de son exercice décalé, supérieur aux attentes, et fait part d’une amélioration du marché publicitaire dans plusieurs secteurs » (lefigaro.fr reprenant l’AFP, 2 février).
Mais ce résultat masque de fortes disparités : « La division de télévision câblée a augmenté son bénéfice d’exploitation de 41%, grâce notamment aux bons résultats de Fox News Channel, la chaîne d’information vedette du groupe. Les activités de cinéma affichent parallèlement un bond de 56% du bénéfice d’exploitation, favorisé par le succès du dernier opus de la saga animée "L’Âge de glace". Parmi les activités les plus touchées par la récession depuis un an, la division de presse écrite a subi une chute de 81% de son bénéfice d’exploitation, et celle de télévision locale de 54% » (ibid.)
Dans ces conditions, Rupert Murdoch a annoncé la couleur : « Face à la récession, son président-fondateur entend recentrer son conglomérat tentaculaire sur les actifs les plus prestigieux et rentables. À commencer par ses journaux britanniques, vache à lait du groupe. Les licenciements chez le bouquet satellite asiatique Star TV, la vente de l’hebdomadaire néoconservateur américain Weekly Standard ou la fermeture de Thelondonpaper participent de cette stratégie de réduction drastique des coûts » (Le Monde, 26 août 2009) [17].
2. La presse « gratuite », c’est définitivement fini ?
C’est bien en tout cas la décision que semble avoir prise le groupe en Grande-Bretagne. Le 20 août 2009, News Corporation annonçait « la fermeture de Thelondonpaper, très déficitaire, [en raison de] la chute des recettes publicitaires. Aux yeux de James Murdoch, responsable des activités européennes et asiatiques de News Corp, la perte de 12,9 millions de livres sterling (14,7 millions d’euros) enregistrée en 2008-2009 par le quotidien gratuit lancé en 2006 est devenue insupportable ». D’autant plus que « Rebekah Brooks, la [...] directrice générale de News International, la filiale qui regroupe les titres britanniques [...] n’a jamais caché son hostilité aux gratuits [estimant] que Thelondonpaper, qui tire à 500.000 exemplaires, cannibalise le premier tabloïd du royaume [18] et le Times, dans la tranche d’âge des 18-35 ans » (Le Monde, 26 août 2009).
C’est d’ailleurs ce qu’a encore déclaré Rupert Murdoch le 28 mai 2009 sur sa chaîne Fox Business Network : « L’avenir des journaux est à chercher dans le numérique » . Tout en estimant « qu’il faudrait 10 à 15 ans pour que les lecteurs abandonnent complètement le papier [...] M. Murdoch estime également que les journaux, en crise en raison de l’érosion de leur diffusion papier et de la baisse des recettes publicitaires, vont devoir faire payer l’accès à leurs sites internet » (cbnews.fr, 2 juin 2009).
3. Internet : le nouvel eldorado ?
News Corporation ne s’est converti que récemment à Internet [19]. Mais le groupe met les bouchées doubles pour continuer son développement et en retirer de confortables subsides [20].
Il ne lui a sans doute pas échappé que le nombre d’internautes ne cesse d’augmenter pour atteindre bientôt 25 % de la population mondiale, dont les « deux tiers des habitants des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) [...] connectés au réseau, ne forment déjà plus la majorité des internautes. [...] Le centre de gravité de l’internet se déplace vers l’Asie, augurant une transformation de l’imaginaire encore américanisé du monde virtuel » [21].
Ainsi le réseau social à dominante musicale Myspace – propriété de News Corp. – a-t-il « annoncé le jeudi [20 août 2009] le rachat d’iLike, éditeur d’un service de découverte et de partage de goûts musicaux sur Internet [...] utilisée par 55 millions d’internautes » (lefigaro.fr, 21 août 2009).
Un fort joli coup puisque « plus de 30 millions d’entre eux utilisent iLike [...] devenue la première application musicale [...] depuis Facebook, principal concurrent de MySpace [22]. Pour Facebook, le dilemme est cornélien : bloquer désormais l’accès à iLike, et frustrer ses membres ? Ou laisser le service prospérer, quitte à faire profiter un concurrent de cette incroyable audience ?"(Ibid.) [23].
Cette acquisition permettra-t-elle de relancer Myspace, en perte de vitesse par rapport à Facebook et Twitter ? [24]. L’avenir le dira.
Ce qui est certain, c’est que c’est bien une priorité du groupe : « News Corp espère repositionner et renforcer le réseau communautaire MySpace dans le domaine des jeux vidéo en ligne ». Jonathan Miller, directeur de la branche numérique, fonde en tout cas de grands espoirs sur ce nouveau gisement : « Si vous considérez les grosses sources d’activités en ligne, les jeux sont actuellement en troisième position. Les télécommunications, la recherche (sur internet), les jeux. Il est donc évident qu’il va falloir s’y intéresser » (challenges.fr, 24 juillet 2009 reprenant Reuters).
News Corporation compte aussi beaucoup sur Hulu.com (créé en 2007), qui se présente comme le concurrent de YouTube, la filiale de Google. Hulu, c’est une « plateforme de vidéos audiovisuelles et cinématographiques [qui propose] gratuitement [...] séries et films grand public quelques jours après leur diffusion à la télévision. Hulu, c’est aussi un catalogue de près de 1 700 œuvres audiovisuelles et cinématographiques » (« Les médias multiplient les offres en ligne face à Google », le figaro.fr). Cette entité compte comme co-actionnaires outre le groupe Murdoch, le fonds d’investissement Providence Equity Partners, Universal (via NBC) et Walt Disney Company [25].
Le même article du Figaro précise que Hulu qui « ne représente à elle seule qu’une part de marché de 3 % environ a déjà rallié 150 partenaires [et] talonne YouTube avec 40 millions de visiteurs et 400 millions de vidéos vues par mois contre 440 millions de vidéos de contenus professionnels pour son concurrent [...]. Dès 2009, son chiffre d’affaires publicitaire d’environ 75 millions de dollars devrait avoisiner celui de YouTube qui atteint une centaine de millions de dollars. »
Un projet (ultime) : Faire payer l’accès aux sites Internet ?
Après avoir proclamé, dans un entretien à Time Magazine le 28 juin 2007, le contraire : « Internet apprend aux gens au quotidien de s’attendre à ce que tout soit gratuit. Il faut donc qu’il soit financé par la publicité » [26], Rupert Murdoch semble maintenant convaincu que c’est bien la solution : « Les agrégateurs et plagiaires devront bientôt payer un prix pour avoir coopté notre contenu » [27] .
Ainsi a-t-il menacé « d’empêcher l’indexation de ses sites par le moteur Google afin de valoriser ses contenus, notamment les contenus payants » (challenges.fr, 2 décembre 2009), l’accusant de le priver de recettes conséquentes : « Les gens qui se contentent de tout récupérer et de le publier tel quel […], nous considérons qu’ils volent nos histoires car ils se servent sans payer… C’est Google, c’est Microsoft, c’est Ask.com, plein de monde » [28].
Dans cette critique, c’est bien sûr Google qui est le principal visé, sa domination demeurant écrasante : « Selon les chiffres de ComScore, le moteur de recherche lancé début juin par Microsoft a totalisé 10,3 % des requêtes des internautes américains, soit 0,4 point de mieux que le mois précédent (9,9 %). Évidemment, Google reste intouchable avec 65,6 % de part de marché, et le numéro un continue à gagner du terrain (+ 0,2 %). Car Bing progresse plutôt au détriment de Yahoo ! [29] : par rapport à octobre, le numéro deux a perdu 0,5 point, à 17,5 %. En queue de peloton, le moteur Ask (3,8 %) et celui d’AOL (2,8 %) font du surplace (- 0,1 point chacun) [...] Bing ne pèse pas bien lourd en dehors des États-Unis : selon Net Applications, sa part de marché mondial ne dépassait pas 3,26 % en novembre, contre 84,9 % pour Google. Et, en France, l’écart est encore plus grand : toujours le mois dernier, Bing plafonnait à 3,8 % quand Google trustait 88,6 % des requêtes des internautes français, d’après les données d’AT Internet Institute… » [30].
Il convient toutefois de signaler que cette toute puissance n’est pas absolue puisque, comme le signale Marie Bénilde [31] « en France, le poids du moteur de recherche rival est encore modeste, mais il pourrait en être tout autrement dans l’Internet mobile : Bing sera déjà le moteur de recherche des 10 millions d’abonnés de Bouygues Télécom ».
À la tête d’un groupe de presse comprenant aussi 175 titres et qui connait une forte érosion de ses ventes et de ses recettes publicitaires, News Coporation ne pouvait rester sans réagir. Et du reste, le groupe semble avoir pris la mesure du danger.
L’avenir, serait donc de faire payer, en partie du moins, l’accès à certains contenus de ses publications, en empêchant Google d’en profiter gratuitement [32].
Il faut donc s’organiser. Et le groupe de Murdoch le fait. C’est dans ce contexte que doivent se comprendre deux annonces de News Corporation.
– La première est la suivante : « Cinq des géants de la presse américaine – Condé Nast, Hearst, Meredith, News Corporation et Time Inc. – s’unissent autour d’une société commune afin d’imposer un nouveau standard de lecture en ligne [de leurs magazines mais aussi, à terme] de livres [33], de bandes dessinées et même de blogs [...]. Préparée depuis de longs mois, cette offensive vise à contrer les ambitions de certains acteurs clés de l’Internet. En tête desquels, on retrouve bien sûr les moteurs de recherche tels que Google [...]. Grâce à leur plate-forme, les cinq groupes de presse, qui revendiquent au total 144 millions de lecteurs, entendent récupérer les recettes publicitaires qui, jusqu’à présent, leur échappent » (« Web : 5 géants des médias passent à l’offensive », Le Figaro, 11 décembre 2009).
Les titres concernés sont principalement « Time, Fortune, Sports Illustrated, People (groupe Time), The New Yorker, Vanity Fair et Vogue (Condé Nast), Esquire et Cosmopolitan (Hearst) ou encore Parents (Meridith), et les quotidiens du groupe News Corp de Rupert Murdoch (Wall Street Journal, New York Post, etc.) » (challenges.fr, 8 décembre 2009).
– La seconde annonce concerne le démarrage « des négociations avec Microsoft [pour l’utilisation de son nouveau moteur de recherche « Bing »]. Il lui propose de le payer, contre l’assurance qu’il demandera la désindexation de ses sites de Google. Microsoft aurait contacté d’autres groupes pour nouer de tels accords » (le figaro.fr, 23 novembre 2009). Aujourd’hui, pourtant, pas plus Google que Microsoft n’ont annoncé leur volonté de sortir le porte-monnaie pour rémunérer les éditeurs de presse.
Nous sommes incontestablement entrés dans une phase de grandes manœuvres, où « l’intox » voisinera avec de véritables négociations, le plus souvent souterraines. Ce qui semble acquis, c’est bien que les éditeurs de presse n’auront pas d’autre choix que de s’allier pour forcer Google, et dans une moindre mesure Microsoft, « à s’asseoir à la table des négociations pour partager ses revenus », comme le relève fort justement Marie Bénilde. Sans qu’il soit possible aujourd’hui de déterminer avec exactitude si cela serait suffisant.
En tout état de cause, l’issue des tractations menées par News Coporation avec Microsoft ne devrait pas manquer de peser sur le choix des autres groupes de presse, mais aussi sur ceux de Google. Car le conglomérat du magnat australo-américain possède des arguments qu’il est le seul à pouvoir faire valoir face aux moteurs de recherche : « Le modèle économique [...] lui procure des avantages bien spécifiques que d’autres groupes ne pourront pas reproduire, préviennent des analystes. News Corp peut par exemple inclure dans son pack d’abonnement à la télévision par satellite BSkyB un petit forfait permettant d’accéder à ses sites d’informations en ligne, offrant ainsi un contenu haut de gamme via un moyen de paiement déjà en place » (challenges.fr, 7 septembre 2009, reprenant Reuters).
Il est néanmoins essentiel de préciser que pour le moment, pas plus Microsoft que Google n’ont annoncé leur intention de payer le moindre dollar aux éditeurs de presse pour référencer leurs articles [34].
Quelle que soit l’issue de ces négociations, la montée en puissance continue d’Internet permet de rappeler la justesse du constat fait par Eric Klinenberg : « Les multinationales de la communication convergent vers Internet pour y amplifier leur voix et leur pouvoir [35]. L’idée selon laquelle les nouvelles technologies de l’information auraient rendu caducs les risques de concentration constitue le mythe principal le plus dangereux de l’ère numérique [...]. Les nouvelles technologies n’éliminent jamais la nécessité de concevoir des dispositifs légaux pour empêcher, par exemple, qu’un petit nombre d’entreprises géantes dominent le marché et se tournent en priorité vers les populations les plus favorisées » [36].
Dernière information, au moment où nous écrivons. Murdoch, père et fils, qui ne cesse de dénoncer le financement public de la presse et de l’audiovisuel et, en particulier celui de la BBC, comme « une menace pour le pluralisme et l’indépendance de l’information, qui sont si importantes pour notre démocratie. » [37], ont obtenu de celle-ci qu’elle « ampute son site Web pour rassurer les médias privés », ainsi que le titre Rue89.
Où va-t-on si non seulement les gouvernements, mais le secteur public lui-même soutiennent le secteur privé ?
Denis Perais