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Vent de révolte à Var Matin

Près d’un an après la mise au placard de son directeur pour raisons politiques, la rédaction du quotidien régional a voté, vendredi 5 mars en assemblée générale, une motion de défiance à l’égard du directeur des rédactions du groupe Nice-Matin [1], Olivier Biscaye.

« Ce journal n’est pas le joujou de son directeur de la rédaction ». La sentence, entendue au détour de l’assemblée générale qui se tenait au siège toulonnais de Var-Matin vendredi 5 mars au soir, en dit long sur l’exaspération qui règne au sein de la rédaction du journal. A l’unanimité moins une voix, les journalistes présents ont adopté une motion de défiance visant Olivier Biscaye, le directeur des rédactions du groupe Nice-Matin (propriété d’Hersant Médias). Le texte (qu’on pourra lire intégralement ci-dessous) dénonce, outre « l’asservissement aux politiques » et les « choix de la ligne éditoriale en contradiction avec le traitement objectif de l’information  », des « méthodes de management iniques et brutales » ou encore « des effectifs insuffisants ».

Si les griefs sont nombreux, c’est que la tension n’est pas nouvelle. Depuis son arrivée au journal, le jeune dirigeant (33 ans depuis le 1er janvier) s’applique à écarter ceux qui pourraient perturber son ascension. Pur produit de « l’académie » Hersant (il est passé par le Journal de l’Île de la Réunion et le pôle des hebdos normands), Olivier Biscaye arrive à Nice début 2008 en tant que rédacteur en chef adjoint, au côté de Roger Antech. En septembre 2008, Patrice Maggio, l’encombrant directeur départemental dans les Alpes-Maritimes, est rappelé à son Var natal. Les relations sont difficiles entre les deux hommes, notamment au sujet de l’indépendance de la rédaction vis-à-vis du pouvoir politique, alors que la chute des recettes publicitaires rend les journaux très dépendants des annonces institutionnelles [2].

Mutations opportunes

A l’automne 2008, une rubrique politique apparaît dans Var-Matin, « Politiquement indiscret », animée par Lilian Renard, chef du service reportage. Elle fait son petit effet parmi les élus locaux ou aspirants, qui y savourent petites phrases et anecdotes. Sauf quand leur propre nom y apparaît... Un soir de février, un article du même Lilian Renard, portant sur la baisse des subventions du conseil général à l’Odel-Var (centres des vacances), est retiré in extremis des pages avant parution sur ordre d’Olivier Biscaye. Le papier paraîtra trois jours plus tard sous forme réduite, sous une interview plus générale d’Horace Lanfranchi, président du conseil général du Var. Quelques semaines plus tard, Lilian Renard est soudainement « promu » à Aubagne, à la rédaction locale de La Provence [3].

Début mai, la rumeur court dans la rédaction toulonnaise : le directeur départemental Patrice Maggio serait sur la sellette. Déjà dans la mire de nombreux politiques locaux, il aurait déclenché l’ire d’Hubert Falco, le tout-puissant maire de Toulon et président de l’agglomération, en décriant dans un édito sa piètre gestion du projet de transport collectif [4]. Celui qui était alors secrétaire d’État à... l’Aménagement du territoire aurait tout bonnement demandé la tête de Patrice Maggio à la direction du journal. Rumeur ? Un dimanche, une rédactrice toulonnaise rentre affolée à l’agence : Jean-Guy Di Giorgio, adjoint aux espaces verts de la municipalité, lui a fait comprendre, pas peu fier, qu’« ils » avaient eu la peau de son chef. La nouvelle est officialisée le lendemain par Olivier Biscaye, qui tient déjà seul les rênes (il sera officiellement promu directeur des rédactions au 1er juin 2009) : Patrice Maggio devient « reporter spécialisé dans les sujets transversaux Bouches-du-Rhône/Var/Alpes-Maritimes », un poste créé de toutes pièces et basé à Marseille.

« Je ne peux pas laisser dire que les politiques ont « descendu » Patrice [Maggio] », tentera d’expliquer Olivier Biscaye, tout en reconnaissant : « ce n’est pas un secret, Hubert Falco et Horace Lanfranchi ne portaient pas Patrice [Maggio] dans leur coeur ». Ses dénégations sur les motifs d’une telle décision (neuf mois seulement après l’arrivée de P. Maggio à son poste, et alors que les chiffres de ventes étaient plutôt acceptables) n’apaisent pas la colère de la rédaction, qui vote le 15 mai en assemblée générale la grève. Une mesure qui ne sera jamais appliquée. La faute, selon certains, à un nombre insuffisant de votants, ou, pour d’autres, à l’absence de soutien des autres journaux du groupe. A moins qu’il ne s’agisse d’un épisode peu glorieux de la guerre que se livrent les syndicats de journalistes (Patrice Maggio était auparavant engagé syndicalement).


La méthode Biscaye

Après avoir fait place nette dans les rédactions [5], Olivier Biscaye a pu progressivement mettre en place « sa » politique éditoriale et managériale. Au menu : un volontarisme à toute épreuve, teinté d’un dirigisme qui lui vaut beaucoup d’inimitiés. C’est lui qui décide des embauches et des renouvellements de contrats, au grand dam du DRH qui n’est parfois pas même consulté. VRP de luxe, il se déplace en personne dans les municipalités pour quêter des partenariats commerciaux (les « ventes à comptes fermes », qui piétinent l’indépendance éditoriale). Quand il met en place une nouvelle formule du journal, il prévient, devant des collaborateurs niçois : « Je ne tolérerai aucune critique. C’est mon projet, je le porterai jusqu’au bout. S’il échoue, j’en assumerai les conséquences, mais en attendant, je ne veux rien entendre. »

Au niveau éditorial, si le credo officiel est « toujours plus de journalisme de proximité », la réalité peut se résumer à un accompagnement appliqué des projets des annonceurs, qu’ils soient économiques (les clubs sportifs notamment) ou institutionnels, ainsi que la prépondérance grandissante des faits divers, parfois au mépris de l’information elle-même. Au mois d’octobre dernier, à la suite des émeutes du quartier fréjusien de la Gabelle, Olivier Biscaye s’était mis à dos la population, le maire et l’ensemble de la rédaction de Var-Matin en imposant, contre l’avis des rédacteurs raphaëlois mais également de la hiérarchie varoise du journal, le titre « Fréjus au bord de l’explosion », alors que la situation sur le terrain s’était apaisée après plusieurs jours de violences.

Autant de coups d’éclat qui ont provoqué « exaspération et lassitude », selon les mots du communiqué annonçant la motion de défiance votée par la rédaction varoise. Un texte qui circule depuis dans les rédactions niçoise et corse du groupe. Si ces dernières l’approuvent, il est peu probable que la direction soutienne encore longtemps son directeur des rédactions.

Alfonso N.



Motion de défiance de la rédaction de
Var-Matin

Toulon le 5 mars 2010

Réunie en assemblée générale à Toulon, la rédaction de Var-matin a décidé, à la majorité moins une abstention, de signifier son exaspération et sa lassitude à la direction du groupe Nice-Matin en votant une motion de défiance directement adressée au directeur des rédactions.

Les motifs sont :
- méthodes de management iniques et brutales
- double discours de la direction des rédactions à ses journalistes
- choix de la ligne éditoriale (politique de l’OJD et orientation politicienne), en contradiction avec le traitement objectif de l’information, qui remet en cause l’indépendance des journalistes. Unes racoleuses, faits divers « surgonflés », titres et papiers édulcorés etc.
- asservissement aux politiques et autres « budgets publicitaires » au mépris des règles élémentaires de déontologie
- effectifs insuffisants compte tenu de la surcharge de travail. Journalistes en souffrance dans l’exercice de leur métier, ce qui incompatible avec la mise en œuvre des projets de développement de nos titres dans le respect de l’humain.

A travers cette motion de défiance, la rédaction du Var entend donner un premier avertissement à la direction du groupe Nice-Matin. Sans exclure le recours à la grève, significative du mal-être des journalistes toujours très attachés à leur titre, à sa bonne marche et à sa pérennité.

La rédaction de Var-matin.

 
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Notes

[1Le groupe est composé des quotidiens Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin.

[2A la question « Nice-Matin peut-il survivre sans la publicité des collectivités territoriales ? », posée par des étudiants de l’école de journalisme de Cannes, Olivier Biscaye répondait, en novembre dernier : « Sincèrement, non. Nice-Matin ne pourrait pas travailler, ni exister. Mais petit à petit, on essaie de réduire cet apport car c’est vrai qu’il y en a trop.  »

[3La Provence fait également partie du groupe Hersant Medias.

[4Lire aussi « Tramway : Toulon suffoque, Toulon recule » sur le site de Cuverville.

[5Patrice Maggio a par exemple été remplacé par l’un de ses adjoints, Philippe Courtois, plus « Falco-compatible » (lire « Le choix d’Hubert », sur le site de Cuverville).

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