Sur France 2, les JT des 31 mai et 1er juin ont proposé une version des événements focalisée sur « l’usage éventuellement disproportionné de la force », ses raisons israéliennes et ses causes occasionnelles.
Le 31 mai, David Pujadas annonce les titres : « Dans l’actualité ce soir, la crise internationale après le raid israélien. Des commandos ont donné l’assaut contre les bateaux d’aide pro-palestinienne qui voulaient accoster à Gaza. Il y a officiellement neuf morts. Tollé dans le monde entier. La Turquie parle de terrorisme d’État. Manifestation en ce moment-même à Paris, dans d’autres grandes villes, Istanbul, Jérusalem. Nous serons en direct dans tous les points chauds et avec un porte-parole du gouvernement israélien. »
Premier titre : non pas le raid de l’armée israélienne, mais la « crise internationale » qui lui a succédé. Et, somme toute, le plus important : France 2 va nous informer sur sa capacité d’informer. Vient le moment d’en apporter la preuve…
Le « récit des opérations »
David Pujadas : « Protestations, manifestations, demandes d’explications, c’est donc la crise diplomatique et la réprobation générale ce soir après le raid israélien contre cette flottille pro-palestinienne en route vers Gaza. Israël parle de légitime défense. Qui dit vrai ? Qui dit faux ? On va s’y arrêter longuement. D’abord le récit des opérations qui ont donc fait neuf morts parmi les passagers, c’était ce matin à l’aube. »
Présentation étrange, pour le moins. Si « Israël parle de légitime défense », que disent les victimes de son armée ? Pujadas ne le mentionne pas, si bien que la question suivante est, dans ce contexte, dénuée de sens : « Qui dit vrai ? Qui dit faux ? » Il s’agit pourtant de nous proposer – selon une expression fort militaire (empruntée à quelle armée ?) – un « récit des opérations ».
C’est ce récit que nous propose le « sujet » qui suit. Le commentaire de Dorothée Ollieric [sur fond d’images de l’organisation humanitaire turque IHH] semble s’en tenir à ce que montrent les images : « […] Puis viennent les dernières sommations et, quelques minutes plus tard, l’assaut, des commandos israéliens descendent d’hélicoptère en rappel. Les activistes sont armés de barres de fer, les affrontements commencent. […] On entend quelques coups de feu tirés par les soldats israéliens. L’intervention vire au bain de sang. Il y a plusieurs morts. Sur le bateau c’est la confusion. À l’intérieur on relève de nombreux blessés et on voit des activistes manifestement choqués par la violence de l’assaut. Une attaque qu’ils qualifient de délibérée. L’armée israélienne, elle, justifie son intervention en disant qu’elle s’est heurtée à une très vive résistance. »
Faut-il en conclure que ce n’était qu’une « intervention », rendue nécessaire par la résistance qu’elle a provoquée ? Vous avez du mal à suivre ? Ne bougez pas : un officiel israélien va intervenir…
Avital Leibovitch [porte-parole de l’armée israélienne] : « Ces passagers avaient des objets en métal, ils avaient différentes sortes d’armes. Ils s’en sont pris à nos soldats, y compris avec des armes blanches, dont des couteaux. »
Dorothée Ollieric : « L’armée a rendu publiques ces images prises depuis un hélicoptère israélien et qui montrent plusieurs affrontements au corps à corps entre activistes et soldats israéliens. L’armée parle même d’attaque de militants pro-palestiniens au cocktail Molotov et aux grenades assourdissantes. Des images filmées toujours par les israéliens après l’intervention du cargo principal, montrent des lance-pierres, des billes et des barres de fer. L’opération commando s’est déroulée à 70 milles des côtes israéliennes, dans les eaux internationales, bien avant l’entrée de la flottille dans les eaux territoriales israéliennes qui ne dépasse pas les 20 milles. Les blessés pro-palestiniens et israéliens ont été évacués vers plusieurs hôpitaux à Tel Aviv et à Haïfa. Quant à la flottille qui voulait acheminer son aide humanitaire à Gaza, elle a été escortée manu militari par la marine israélienne jusqu’au port d’Ashdod, dans le sud d’Israël. »
La version édulcorée et lacunaire de l’« intervention », ajustée à la version israélienne, est complétée par… la version israélienne, que David Pujadas est fier ne nous « proposer » :
David Pujadas : « Et je vous propose de découvrir ces toutes dernières images. Elles viennent de nous parvenir, images tournées par l’armée israélienne qui montrent ses soldats qui descendent en rappel sur le bateau et sont notamment accueillis par des hommes armés de barres de fer. Images qui ont été tournées à bord d’un hélicoptère, images infrarouges en noir et blanc. L’armée israélienne qui veut ainsi montrer, prouver que ses soldats ont bien été agressés. »
Tel est bien l’objectif de l’armée israélienne, et la diffusion de ces images, avec cette présentation, pourrait bien l’y aider. Car on pourrait tout aussi bien, et même mieux, présenter la vidéo en expliquant qu’elle montre des soldats armés jusqu’aux dents prenant d’assaut un bateau et menaçant ses passagers qui réagissent. Et il faudrait aussi rappeler ce qu’elle ne montre pas. Certains passagers affirment par exemple que des coups de feu ont été tirés par les soldats israéliens au moment de l’assaut. Mais Pujadas ne le sait pas. Qui est l’agresseur ? Une simple question de « point de vue » ?
Des bateaux et des hommes
Dorothée Ollieric nous l’avait expliqué : « Les blessés pro-palestiniens et israéliens ont été évacués vers plusieurs hôpitaux à Tel Aviv et à Haïfa. Quand à la flottille qui voulait acheminer son aide humanitaire à Gaza, elle a été escortée manu militari par la marine israélienne jusqu’au port d’Ashdod, dans le sud d’Israël. »
David Pujadas, lorsqu’il enchaîne, préfère atténuer encore : « Alors on a entendu : les bateaux sont acheminés ce soir vers un port israélien. » Avant de poser ces questions « […] Qui a affrété ces navires ? Quelles étaient précisément leurs cargaisons ? »
Le « sujet » suivant fournit quelques réponses et nous offre cette conclusion… qui laisse le dernier mot à la version israélienne et justifie ainsi sa politique : « […] A bord de ces bateaux, 750 passagers, tous militants pro-palestiniens venus de 40 pays. Parmi eux, sept Français. La principale ONG qui a affrété ces navires c’est l’IHH, une organisation humanitaire turque. Son président est considéré par les services de renseignement comme un activiste politiquement très proche du Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle Gaza. »
Quel « service de renseignement » ? Pourquoi ne pas préciser qu’il s’agit de celui qui agit pour le compte du gouvernement israélien dominé par le Likoud, le « mouvement sioniste qui contrôle Israël » ? Sans doute…
« Que contenaient ces bateaux ? Selon les organisateurs, la flotte transportait 10 000 tonnes d’aide : des équipements médicaux, des matériaux de construction, on voit ici deux camions-grues ainsi que 100 maisons préfabriquées. » « Selon les organisateurs » toujours, la cargaison de la flotte avait été inspectée par les autorités turques – pourquoi ne pas le dire ?
« […] Où allaient-ils ? Les bateaux souhaitaient entrer triomphalement ici, dans le port de Gaza. Une opération humanitaire mais aussi un objectif politique : briser le blocus imposé par les Israéliens. Jérusalem avait prévenu : Gaza interdit, le convoi serait dirigé ver le port israélien d’Ashdod pour contrôler le chargement avant de l’acheminer par camion vers Gaza. Par le passé, trois débarquements de ce type avaient échoué, tous repoussés par l’armée israélienne mais sans violence. » Puisqu’il est bien connu qu’une intervention armée n’est violente que lorsqu’elle a recours à l’usage des armes !
Suit un entretien avec Charles Enderlin qui informe correctement sur ce qui attend les passagers des bateaux enlevés par l’armée et sur les réactions en Israël même : « […] un certain nombre de commentateurs militaires considèrent que c’est un échec : un échec du renseignement d’abord, rien n’a été prévu pour justement permettre aux soldats d’affronter cette résistance violente qui s’est déroulée sur le bateau. […] » Au moins cette violence est-elle attribuée à une « résistance » !
Puis, après plusieurs séquences sur les réactions internationales, la grande manifestation d’Istanbul et les réactions en France que l’on préfère – charitablement – oublier, vient le moment de l’approfondissement.
Les « raisons » israéliennes d’un blocus sans conséquences
David Pujadas : « D’abord pour bien comprendre, pour aller un peu plus loin, revenons sur cette décision d’Israël d’imposer de fait un blocus à Gaza. De quand date ce blocus ? Quelles en sont les raisons ? […] »
Ainsi présentées – la suite le confirme –, les raisons du blocus se confondent d’emblée avec les « raisons » invoquées par le gouvernement israélien, comme si elles étaient au-dessus de toute suspicion. Quant au blocus lui-même et à ses effets, il n’en sera question, pour « aller un peu plus loin », qu’en une phrase.
Le reportage qui suit est ponctué de fâcheuses… approximations. Ainsi :
- « […] Gaza territoire isolé. Depuis 2007, les islamistes du Hamas, ennemi juré d’Israël, prennent le contrôle du territoire par la force. Immédiatement, Israël impose un blocus militaire et économique sur Gaza. […] » C’est oublier un peu vite que le Hamas a d’abord pris le contrôle de Gaza en gagnant, que cela plaise ou non, les élections législatives.
- « […] En décembre 2008, après des tirs de roquettes par le Hamas sur le sud d’Israël, l’armée de Tsahal lance une offensive majeure sur Gaza. Des bombardements pour détruire les fameux tunnels. » Certes ce commentaire n’affirme pas que la guerre israélienne a été entreprise « à cause » des tirs de roquettes et seulement pour cette raison, mais c’est pour accréditer la thèse israélienne de bombardements essentiellement destinés à détruire des tunnels. Ce que le constat qui suit rend pour le moins improbable : « Le bilan est effroyable : 1 400 morts côté palestinien, treize côté israélien. »
- Le reportage donne-t-il la parole à un Gazaoui ? C’est pour que celui-ci témoigne des risques encourus en creusant des tunnels. Benjamin Netanyahou, lui, donne ses « raisons » : « Notre politique est la suivante : nous laissons entrer toute l’aide humanitaire à Gaza, vivres, médicaments. Ce dont nous ne voulons pas ce sont les roquettes. » La simple hypothèse qu’il s’agirait aussi de pousser les Gazaouis à « se débarrasser » du Hamas – ou de les punir pour ne pas le faire – n’est même pas évoquée.
Quant à la situation à Gaza, elle tient, comme on l’a dit, en une seule phrase : « Aujourd’hui à Gaza on manque de tout. 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dépend de l’aide internationale des Nations unies. » Un jour viendra, n’en doutons pas, où le JT de France 2 nous permettra d’« aller plus loin ».
En attendant, il est grand temps de donner la parole au porte-parole israélien…
Les douces questions de David Pujadas
David Pujadas interroge. La première question ne porte ni sur le blocus et ses conséquences sur la population de Gaza, ni même sur l’attaque israélienne contre le convoi humanitaire et ses effets sur les passagers des bateaux, mais évoquant d’abord « les armes » des « passagers » (et même leurs « armes blanches » que l’œil perçant de Pujadas est parvenu à distinguer), elle épouse la version israélienne, et ne porte que sur la « disproportion », non de l’assaut des soldats israéliens lui-même, mais de l’un de ses moments, opportunément présenté comme une « riposte », comme si ces soldats étaient en état de légitime défense.
David Pujadas : « Bonsoir Daniel Saada, vous êtes donc l’un des porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. Merci d’être avec nous. Sur les images, on a aperçu parmi les passagers des barres de fer, des armes blanches, mais il y a finalement neuf morts, est-ce que vous pouvez reconnaître qu’il y a eu disproportion dans la riposte des soldats israéliens ? »
Daniel Saada : « J’ai presque envie de vous dire que s’il y avait eu disproportion dans l’usage de la force de la part des soldats israéliens, ce n’est pas neuf morts qu’il y aurait eu. […] » Et de conclure en invoquant « l’acharnement, la violence inouïe qui était déployée par ces activistes », avant de louer la « retenue » et « la maîtrise de soi absolument exceptionnelle » dont auraient fait preuve les soldats israéliens.
David Pujadas ne parvient même pas à dire que cette version est contestable, ne se serait-ce ce que parce qu’elle est contestée, et à mentionner une autre version. Car David Pujadas interroge ! Et sa deuxième question ne porte toujours pas sur le blocus et ses conséquences sur la population de Gaza, ni même sur l’attaque israélienne contre le convoi humanitaire et ses effets sur les passagers des bateaux, mais sur ses conséquences éventuelles du point de vue israélien.
David Pujadas : « Monsieur Saada, est-ce que vous n’avez pas aujourd’hui renforcé ce que vous souhaitez combattre, à savoir le Hamas et ses alliés ? »
Daniel Saada répond notamment que « l’objectif était de briser le blocus pour renforcer le Hamas » et que, grâce à l’assaut israélien, « c’est le Hamas, le grand perdant de ce soir ». Ne trouvant rien à objecter, David Pujadas est déjà passé à la question suivante, car ce qui l’inquiète, c’est la réputation d’Israël.
David Pujadas : « Mais est-ce qu’Israël n’a pas perdu de son crédit avec cette opération et le bilan de cette opération ? »
Daniel Saada ne répond pas à cette question mais tente de justifier, longuement et sans être interrompu, la politique suivie par le gouvernement israélien, répétant notamment : « […] Nous ne pouvons pas autoriser à ce que ces organisations soient renforcées par des opérations pseudo-humanitaires comme celle à laquelle nous avons été témoins et qui avait uniquement pour objectif de renforcer le Hamas […]. »
Les courtois remerciements de David Pujadas concluent la longue séquence consacrée au raid sanglant (« Merci mMonsieur Saada. Merci d’avoir répondu nos questions ce soir, en direct. Voilà ce que l’on pouvait dire sur ces événements »). Monsieur Saada aura donc eu le dernier mot. Ce soir-là seulement ?
Les conseils de France 2 pour un usage proportionné de la force
Le lendemain, 1er juin, le JT de France 2 consacre 9 min 40 s à « l’assaut meurtrier », ses conséquences et ses suites. Les responsables de la rédaction ne s’inquiètent toujours pas du blocus contre Gaza, des violations du droit international. En revanche, « avant d’aller plus loin », comme le promet chaque jour David Pujadas, ces responsables nous ont préparé de stupéfiantes réponses à de très impertinentes questions que David Pujadas – qui ne se lasse pas de parler du « déroulement des opérations » – soulève ainsi : « Et avant d’aller plus loin, on revient ce soir sur le déroulement des opérations. Pourquoi cet usage disproportionné de la force ? Faut-il parler de bavure, d’erreur d’appréciation ? Nous avons montré, image par image, les séquences de cet assaut à un spécialiste de ce type d’interventions. »
À l’évidence, il ne s’agit que d’un « usage disproportionné de la force », du genre « accidentel ». L’enquête qui suit entreprend de nous expliquer que cet « accident » pouvait être évité.
Le reportage commence donc par les images diffusées par l’armée israélienne. Et, bien sûr, ce que montrent ces images suffit à établir les faits.
Voix off : « Lorsque les hélicoptères israéliens s’approchent du Mavi Marmara, plusieurs dizaines de passagers se sont déjà massés sur le pont. Les commandos d’élite descendent en rappel, un à un. Plusieurs personnes se jettent alors sur eux. Les coups pleuvent, un des soldats est même jeté sur le pont inférieur. Cernés, isolés, certains vont faire usage de leurs armes pour se dégager et abattre neuf activistes. »
Pas besoin d’une enquête internationale puisque France 2 sait déjà l’essentiel : les soldats qui descendaient (pacifiquement ?) d’un hélicoptère, ont agi en état de légitime défense « pour se dégager » des « activistes ». Mais il convient d’expertiser ces images : « Ces images, nous les avons montrées à un spécialiste. Christian Prouteau est le fondateur du GIGN, unité qui a inventé cette technique de descente en rappel. »
Cet expert (qui est de surcroît un inventeur...) est chargé de répondre à cette question implicite : l’armée israélienne ne pouvait-elle pas intervenir plus efficacement ? Il suffit de poser ainsi la question pour que le principe même de l’attaque israélienne soit légitimé. La prochaine fois, c’est promis, France 2 ira « plus loin » et interrogera un expert pour savoir si les auteurs d’un hold-up sanglant n’auraient pas pu parvenir à dévaliser une banque sans faire un « usage disproportionné de la force » !
La suite se passe de commentaires :
- Christian Prouteau : « Vous voyez, dès qu’il arrive il peut même être attrapé, il peut être désarmé, donc on en est à du pugilat, et puis ça peut finir par des balles perdues. »
- Voix off : « Selon lui, l’armée israélienne a fait une erreur stratégique. »
- Christian Prouteau : « Il y a la possibilité de descendre à quatre par hélicoptère, c’est beaucoup plus facile, ou carrément faire un posé d’assaut avec en descendant au plus près, ou les gens sautent sur le pont. Ils peuvent sauter de quatre, cinq mètres, c’est possible. Le bruit de l’hélicoptère éloigne les assaillants et pouvaient se retrouver non plus un par un face à dix mais au moins quatre cinq face à une dizaine et ça aurait complètement changé la donne. »
- Voix off : « Erreur tactique et bain de sang pour une armée mal renseignée. Hier devant les caméras de télévision, un soldat ayant participé à l’opération avoue même qu’il ne s’attendait au départ qu’à des insultes et sûrement pas à une telle violence. Pourtant, si l’on se fie aux images de l’armée israélienne, des armes en nombre auraient été retrouvée à bord : lance-pierres, barres de fer mais aussi machettes et cocktail Molotov. Aussi mal préparée, l’armée israélienne pouvait-elle éviter un fiasco ? Christian Prouteau estime en tout cas qu’il y avait d’autres solutions. »
- Christian Prouteau : « Plutôt que de se retrouver sur le pont on aurait pu envisager le cas échéant uniquement la lunette, c’est-à-dire le commandement du bateau, pour avoir la mainmise sur la navigabilité et empêcher que le bateau avance puisque c’était le but recherché ou carrément intervenir et ça les israéliens ont comme partout dans le monde des commandos marins qui auraient pu intervenir très facilement pour faire une avarie sur le bateau. »
- Voix off : « Endommager les hélices ou bloquer le gouvernail par exemple. L’armée israélienne a annoncé qu’une enquête interne serait bientôt ouverte, procédure habituelle, dit-on, dans ce type d’affaire. »
Ces conseils sont-ils prodigués pour « aller plus loin » ?
Epilogue ? Les jours suivants, une fusillade à Londres, puis une autre à Bruxelles éclipsent peu à peu les informations sur le raid sanglant et ses suites, mais pas au point de les effacer complètement. Jusqu’au moment où, le vendredi 4 juin, Marie Drucker, 10 min 45 s après le début du JT de 20 heures, revient sur ce qu’elle désigne, avec une exquise délicatesse, comme un « arraisonnement musclé ».
De la violation du droit international par un acte de piraterie, France 2 n’a rien trouvé à dire. De la violence même de l’assaut, avant tout corps à corps ou usage d’armes quelconques, France 2 n’a rien trouvé à dire non plus. Pour parler de l’enlèvement, puis de la séquestration des « humanitaires », France 2 n’a pas trouvé les mots. Pour évoquer des raisons du blocus de Gaza qui ne coïncideraient pas avec la version israélienne, France 2 n’a pas trouvé d’expert. Aucun n’est venu défendre la thèse de son illégalité et de son inhumanité. Aucun reportage n’est venu ne serait-ce que les suggérer. Le seul porte-parole invité à s’expliquer longuement au JT fut israélien. De la conférence de presse des militants français de retour à Paris, le 4 juin, le « sujet » qui lui fut consacré n’a retenu que deux phrases.
Face à un conflit qui partage les « opinions », comme celui que l’on nomme pudiquement le « conflit du Moyen-Orient », l’objectivité est sans doute un idéal illusoire. Au moins peut-elle être partiellement visée dans un média de consensus (et non délibérément de parti pris, comme peut l’être un journal), en se refusant de calquer l’information sur un seul point de vue : celui des intérêts, bien ou mal compris, du gouvernement israélien. Sinon ce qui prévaut relève d’une propagande insidieuse. Celle-ci peut n’être pas volontaire ; elle peut l’être d’autant moins que chaque « sujet » est traité indépendamment des autres. Mais quand nombre d’entre eux laisse transparaître, plus ou moins ouvertement, le même « point de vue », leur somme, orchestrée par un présentateur pénétré de la vision dominante (et gouvernementale) d’un simple « usage disproportionné de la force », forme un tableau, d’où il ne ressort que cette thèse : « Tout cela est fâcheux pour le gouvernement israélien. » Certes. Mais encore ?
Henri Maler (grâce aux transcriptions de Jamel)