« La FIFA ne connaît pas la crise », titrait L’Équipe dans son édition du 9 juin 2010, à l’avant-veille du coup d’envoi de la 19e coupe du monde. Bien vu ! La fédération internationale de football ne tire-t-elle pas l’essentiel de ses bénéfices de la vente des droits télé et marketing du plus gros événement sportif mondial ? « Même si elle est organisée pour la première fois en Afrique, le continent le plus affecté par la pauvreté, la coupe du monde reste une affaire de riches. Avec de juteux bénéfices pour la FIFA, qui n’a jamais engrangé autant de recettes », rappelait à juste titre le quotidien sportif. Pas un mot en revanche sur les pots-de-vin, le népotisme et les élections truquées, qui font le charme d’une institution toujours à l’avant-garde du foot-business. Autant de pratiques avérées sur lesquelles le journal du groupe Amaury jette un voile pudique.
Saint Blatter
Dans cette même édition du 9 juin, le président de la FIFA, Joseph Blatter (« Sepp », pour les intimes et les journalistes), répond courageusement aux questions (faussement) impertinentes de Richard Porret, dont la fonction principale, au sein de la rédaction de L’Équipe, est d’interviewer les dirigeants du ballon rond. « Ce premier rendez-vous en Afrique, c’est aussi votre décision qui sera historique ? » À question décapante, réponse humble : « Ce n’est pas à moi de dire que j’ai fait quelque chose d’historique. C’est l’histoire qui jugera et le dira. Mais déjà beaucoup de gens ont salué cet événement […] Ce que je peux dire, c’est que j’avais fait, lors de mon élection en 1998, un objectif d’offrir une coupe du monde à ce continent. Et il fallait du courage. » Il fallait bien du courage à L’Équipe pour omettre de relancer « Sepp » Blatter sur un point de détail. L’ancien vice-président de la confédération africaine, Farah Addo, affirme qu’en 1998, lors de la campagne pour la présidence de la FIFA, le clan Blatter lui aurait offert 100.000 dollars en échange de sa voix. Addo ajoutait que 18 officiels africains ont vendu leur vote à Blatter…
Pas de quoi réfréner l’enthousiasme de Porret. « Justement, vous briguerez un nouveau mandat en 2011. Qu’est-ce qui vous motive encore ? », lance-t-il, à la limite du hors jeu. « Je n’ai pas fini ! Je vous rappelle que mon premier mandat, de 1998 à 2002, je l’ai passé à me défendre contre ceux qui voulaient m’éliminer. » Sepp, victime d’un complot ourdi par ses rivaux malheureux ? En 1998 et 2002, ses principaux concurrents, respectivement Lennart Johansson (président de l’UEFA, la fédération européenne) et Issa Hayatou (président de la confédération africaine), accusent Blatter d’avoir mis en place un système fondé sur la corruption et l’opacité financière, au service d’une poignée de multinationales, sponsors et gestionnaires des droits télés de la coupe du monde. Richard Porret ne peut pas ne pas le savoir mais préfère enchaîner sur les « objectifs » du président Blatter. « Donner plus de poids à l’aspect social et culturel de notre sport. Poursuivre le programme d’éducation. Donner de l’émotion et de l’espoir », entonne avec lyrisme Sepp, qui émarge à 4 millions d’euros par an.
Les finales en limousine
Journal officiel du sport, L’Équipe cultive des liens privilégiés avec les grandes institutions. « Quand on allait aux finales de coupe d’Europe, une limousine amenait Jacques Ferran [1] vers les hauts dirigeants de la Fifa », racontait Jean-Jacques Vierne, ex-rédacteur en chef de L’Équipe, dans la Face cachée de L’Équipe [2]. « Respecté et choyé par les puissants de la planète foot, Jacques Ferran ne dément pas cette proximité, tant avec João Havelange, le président de la FIFA dont il a soutenu les premières candidatures, qu’avec Fernand Sastre, patron de la fédération française de 1972 à 1984 » [3], précise la même source.
La proximité vire à la connivence pour peu que le dirigeant soit français. Secrétaire général de la FIFA, Jérôme Valcke a fait l’objet d’un « portrait-enquête » de cinq pages dans L’Equipe magazine du 13 février. Le « chapeau », résumé de l’article, est alléchant : « Licencié puis réembauché par Sepp Blatter, le grand patron du football mondial, Jérôme Valcke, la cinquantaine élégante et élancée, est très fort. À quoi, avec qui et comment joue l’ami intime de Michel Platini [4] dans les eaux tumultueuses du foot-business ? »
En fait de révélations tonitruantes sur les méandres du sport spectacle, le supplément du samedi de L’Équipe livre un portrait à la manière des hebdomadaires généralistes. Où l’anecdote, l’accessoire et la touche people priment sur le fond et le contenu politique, jugés peu « sexy », donc peu vendeurs. De même que L’Express et Le Point raffolent des derniers potins concernant Rachida Dati, l’ancienne ministre de la Justice, L’Équipe magazine nous apprend que Jérôme Valcke reçoit de Michel Platini d’attendrissants SMS, du type : « Je t’embrasse, ma biche. » Rien en revanche sur la manière dont Platini a aidé Sepp Blatter à conquérir le pouvoir en 1998. Rien de bien consistant non plus sur les raisons qui ont poussé Blatter à réembaucher un homme qu’il a viré après que ce dernier eut fait perdre 90 millions d’euros à la FIFA, en raison d’un appel d’offres frauduleux [5]. Un patron qui promeut un salarié qui lui a fait perdre beaucoup d’argent, ce n’est pourtant pas banal !
Le publireportage de L’Équipe mag s’attache plutôt à présenter Jérôme Valcke sous son meilleur jour : « Ses longues jambes croisées, assis dans un des fauteuils de son bureau, occupé à se tripoter les ongles, Valcke confirme sa décontraction, même s’il est flanqué d’une responsable de la communication qui a pris soin, pour contrôler, de poser son enregistreur sur la table basse. "L’idée principale était surtout de ramener un peu de sérénité au sein de l’administration, dit-il, plus de sourires sur les visages que de grimaces". » Trop sympa, trop cool Jérôme !
Dieu sait que l’administration de la FIFA a eu moult occasions de grimacer par le passé. Ainsi, quand ISL, la filiale d’Adidas qui gérait les droits télé de la coupe du monde, verse par erreur 1 million de francs suisses (650.000 euros) sur un compte de la FIFA, l’affaire provoque des remous en interne. Il faut dire que cette somme rondelette était destinée à rémunérer un membre du comité exécutif de la FIFA en échange de son lobbying pro Adidas ! Le journaliste britannique Andrew Jennings, qui traque sans relâche les turpitudes politico-financières de la FIFA depuis 10 ans, ouvre d’ailleurs son livre choc avec cette information croustillante [6]. Que pense le rédacteur en chef de L’Équipe mag, Jean-Philippe Leclaire, du travail salutaire de son confrère ? « Ce type est un gauchiste. » [7] Pas cool, Jean-Philippe.
David Garcia