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Remplacer les manifestations par les sondages ?

par Henri Maler,

Jean-Michel Helvig - hier journaliste à Libération, aujourd’hui éditorialiste à La République des Pyrénées - s’interroge : comment diagnostiquer « l’humeur sociale » (l’expression est de lui) ? Mais pour goûter tout le sel de cette interrogation et de la suggestion qui l’accompagne, un (petit) détour s’impose.

Un « mauvais » sondage

Le 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy prononce un discours sur la sécurité à Grenoble. Grâce à l’IFOP qui la sonde entre le 3 et le 5 août, l’opinion se fait rapidement une opinion et Le Figaro annonce la bonne nouvelle : l’opinion plébiscite les mesures annoncées par le Président. Sondage plus contesté que d’habitude dans les médias, et, bien sûr, par l’observatoire des sondages qui a comme heureuse habitude de contester la plupart des sondages d’opinion et qui, cette fois encore, se livre à une critique rigoureuse sous le titre « Sondage pousse au crime : l’Ifop et le Figaro plébiscitent Nicolas Sarkozy, la presse compte les points » (lundi 9 août 2010) [1]

Jean-Michel Helvig, dans La République des Pyrénées du 6 août se livre à un commentaire légèrement critique :

« (...) On se gargarisera à l’UMP de la “coupure” qui existerait entre la France réelle et les “angélistes” de tout poil. Ce n’est sans doute pas si simple. On peut d’abord s’étonner qu’un institut déroge à un usage de la profession qui veut que l’on ne réalise pas d’enquêtes d’opinion pendant les vacances en raison des difficultés d’échantillonnage. Par ailleurs, une question supplémentaire aurait pu être posée : dans le domaine de la sécurité, le bilan de la droite au pouvoir vous paraît-il positif ? La réponse aurait sans doute assombri le ciel du Cap Nègre. Ce qu’une telle enquête confirme est que les Français sont généralement portés à approuver les mesures coercitives sur le coup de l’émotion engendrée par des faits-divers graves. Au prix de curieuses formulations comme celle consistant à demander si l’on est favorable au « démantèlement des camps illégaux de Roms » ? S’ils sont « illégaux » n’est-ce pas la logique même ? (...) »

Une telle critique ne touche pas au principe même et à la prolifération de ces sondages d’opinion, puisque leur auteur n’hésite pas à interpréter grâce au sondage controversé « l’humeur » des Français émotifs. On comprend mieux pourquoi cette critique est timide, quand on lit la prose du même Jean-Michel Helvig, dans la même République des Pyrénées, un mois plus tard exactement.

De « bons » sondages

À propos de la manifestation du 4 septembre contre la politique sécuritaire du gouvernement, et à la veille de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites la vigie des Pyrénées commente ainsi l’écart entre les chiffres « officiels » et ceux annoncés par les manifestants :

« (...) La façon antipodique dont la participation aux mobilisations de rue est régulièrement annoncée, par les uns et les autres, relève d’une désinformation nuisible à l’intelligence des mouvements sociaux dans le pays. (...) Évidemment on comprend bien comment un chiffre de participation peut devenir un enjeu politique pour chacun des protagonistes, mais il est à déplorer que nulle instance indépendante ne vienne apporter sa propre évaluation. Est-il inimaginable qu’une sorte d’observatoire des mouvements sociaux, adossé à l’université par exemple, ne soit créé pour fournir des chiffres précis et vérifiés ? (...) On peut néanmoins se demander si les défilés de rue sont encore un indicateur fiable de l’état de l’opinion. Aller manifester suppose une disponibilité de moins en moins évidente pour le gros des salariés. Les sondages contribuent davantage à éclairer sur l’humeur sociale. »

Pour la « bonne intelligence des mouvements sociaux », nous suggérons que l’observatoire indépendant soit plutôt « adossé » aux instituts de sondage : amoureux des chiffres, ceux-ci confieraient à leurs calculettes le soin de détecter ce que pensent les manifestants !

Mais tout bien réfléchi – grâce à Jean-Michel Helvig… - à quoi bon se préoccuper des « défilés de rue » ? D’ailleurs les salariés encore « disponibles » pour aller manifester pourraient être remplacés par un panel de grévistes dont on sonderait les revendications par téléphone. Et hop ! Finis les tracas provoqués par la paralysie des transports. Finis les tracas des journalistes qui tentent de prendre le pouls de « l’humeur sociale » en collectionnant d’épuisants « micros-trottoirs ». Ceux-ci pourraient même être à leur tour remplacés par un échantillon d’éditorialistes et de sondologues : ceux-là même qui ont la lourde charge d’interpréter « l’humeur sociale » et qu’on lit et entend déjà partout. Avec cet avantage qu’un échantillon réduit à quelques spécimens devrait pouvoir représenter l’ébouriffante diversité de leurs analyses.

Chacun sait ou devrait savoir (puisqu’on apprend beaucoup dans certaines écoles de journalisme…) que l’opinion mobilisée n’est pas une simple fraction de l’opinion sondée (produit généralement artificiel de l’activité des sondeurs) Mais qu’importe aux sondomaniaques !

En dépit de quelques journalistes qui s’obstinent, l’enquête sociale est au plus bas dans le journalisme et le journalisme est au plus bas… dans les sondages. Cela n’a évidemment aucun rapport.

Henri Maler

 
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Notes

[1Voir aussi, sur le site de Rue89, « Sondage Ifop/Le Figaro sur la sécurité : la méthode en question » par Augustin Scalbert, 6 août 2010].

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