Contre la mise en coupe réglée de la rédaction, organisons-nous !
Cela fait des mois et des mois que ça dure, et ça ne peut plus durer. La rédaction est confrontée à une entreprise méticuleuse de caporalisation et de mise sous l’éteignoir dirigée par la rédaction en chef France. Cette situation est sans précédent à l’Agence.
Tout est fait pour neutraliser, non pas ceux qui travaillent mal, mais ceux qui « pensent mal » et n’entrent pas dans ses schémas de pensée et ses a priori, à coloration politique ou non. Cette rédaction en chef mène, et de plus belle depuis la rentrée, une politique de harcèlement à l’égard de services et bureaux entiers, en pratiquant un interventionnisme débridé et tatillon.
Elle bloque des dépêches, refuse des idées de papiers qui n’entrent pas dans son prêt-à-penser, ordonne à l’inverse de traiter tel ou tel sujet que le service concerné juge peu intéressant ou parfaitement secondaire (Ah ! Les marottes du « bocal » sur les arrêts maladie des employés de la Sécu...).
Elle met à la poubelle des papiers qui ont demandé des heures et parfois même des semaines de travail et d’enquête, exige réécriture sur réécriture, intime l’ordre de voir le lead d’un papier aussitôt qu’il a été rédigé et bien avant qu’il ne soit envoyé, n’hésite pas à le changer si les producteurs sont récalcitrants. Tous les moyens sont bons et, quand l’ukase ne suffit pas, on emploie la ruse. On agit en sous-main, non pas en envoyant des notes visibles par tous, les mails c’est tellement plus pratique !
Quand la rédaction en chef organise la défiance
Nous sommes aujourd’hui en présence d’une défiance organisée à l’égard d’une grande partie de la rédaction, qui refuse d’obtempérer. La rédaction en chef connaît parfaitement ces griefs, exposés lors de réunions avec les services et les bureaux régionaux en France. Cette défiance, parfois exprimée en termes arrogants, violents ou humiliants, engendre en retour une défiance à l’égard de la rédaction en chef de la part de ceux qui en sont victimes.
L’attitude de la « haute » hiérarchie, qui s’est muée en tour de contrôle politique, crée de fortes tensions internes, déstabilise les équipes, désorganise la rédaction, nuit gravement à la sérénité et à la qualité du travail, décourage et écœure jusqu’aux plus motivés.
Voici quelques exemples récents des pratiques de la rédaction en chef. On pourrait en citer bien d’autres (rappelons tout de même qu’en octobre 2009, le chef des Infos sociales avait mis sa démission dans la balance dans un conflit avec la même rédaction en chef concernant la présentation par l’AFP des chiffres du chômage), mais certains rédacteurs préfèrent ne pas rendre publics leurs démêlés avec le troisième étage.
Cachez ces Roms que je ne saurais voir
Le 31 août au matin, les infos sociales envoient un papier annoncé la veille au soir dans ses prévisions et intitulé : « Les Roms en France pour "se poser et travailler" comme d’autres migrants ». Ce papier était à notre connaissance le premier à parler de cette communauté autrement qu’en termes de sécurité. Il a fallu quatre jours de discussions et d’échanges parfois orageux, de décisions et de contre-décisions, et enfin l’intervention d’un chef de service auprès du directeur de l’Information (!) pour que ce papier passe. Encore a-t-il été édulcoré. La rédaction en chef n’a pas jugé utile de diffuser l’encadré l’accompagnant et qui portait sur la législation française sur l’accès à l’emploi pour les Roms, demandant sa fusion avec le papier d’angle (c’est devenu une pratique courante : dans un passé récent, elle avait refusé deux encadrés sur une enquête fouillée sur le logement réalisée par la Fondation de l’abbé Pierre).
Entre autres, la Redchef reprochait à ce papier de ne pas comporter de chiffres (elle semble ignorer que les statistiques ethniques sont interdites en France) et de ne donner la parole qu’aux associations en contact avec les Roms. Car il faut le savoir, pour elle, les associations c’est comme les syndicats : des sources douteuses et peu crédibles, des propagandistes au service d’une cause.
Sur l’affaire des Roms toujours, le 10 septembre, le bureau de Rennes a envoyé une dépêche, suivie d’un développement, cosignés de la détachée de Nantes et de la directrice régionale, intitulée « Expulsions : les Roms ciblés par une circulaire du ministère de l’Intérieur ». On sait que l’histoire fit grand bruit dans la presse et suscita une vive polémique, en France, en Europe et dans le monde.
Ces envois ont été retenus pendant trois heures et quart. Une dépêche (et une seule !) est finalement tombée sur le fil à une heure tardive (20H05). Voilà comment la rédaction en chef a banalisé une information sensible, sur laquelle nous étions les premiers.
A l’AFP, on fait des alertes pour bien moins que ça, comme par exemple, la mort de... « Super Nanny » qui officia dans une émission de téléréalité de M6.
Non, l’AFP, ce n’est pas ça !
La journée sur les retraites... Ou comment organiser un rideau de fumée
Le rédacteur en chef France a exercé une pression maximale sur le service Infos sociales pour connaître le lead du papier général diffusé en fin de journée, et cela avant même qu’il ait commencé d’être rédigé. Il a modifié l’attaque du papier de sa propre autorité (mais sans mettre ses initiales !), et sans en référer au service concerné. « Je décide, vous exécutez ! »
Tout est centré sur la bataille de chiffres entre syndicats et gouvernement, exit les « manifestations imposantes ».
Voilà comment on instille la confusion dans l’esprit du lecteur, qui ne sait quoi penser (« p’têt’ ben que c’était un succès, p’têt’ ben que non, va savoir, hein ! »).
Il faut se bagarrer pour obtenir que figure au menu un papier donnant la parole aux manifestants (d’autant que la Redchef ne veut plus de reportage sur une grosse manifestation).
Lors d’une journée d’action avant l’été, les notes des bureaux régionaux répondant à une demande de la Redchef sollicitée par le Social sont allées directement au panier, parce que l’officiante du jour dans le bocal ne voyait pas l’intérêt d’un tel papier. Et tout est à l’avenant (un coup de fil par exemple, surtout quand les chiffres sont à la hausse, pour demander qu’on ne parle pas des « inscrits au chômage » mais des « inscrits à Pôle emploi », personne n’emploie jamais l’expression « pointer au chômage », c’est bien connu).
Nous pourrions aussi parler des pressions pour faire écrire sur « le palmarès des universités » de tel ou tel hebdomadaire, en dépit des réserves du ministère de l’Education nationale sur la valeur de cette enquête, de papiers refusés sur les immigrés (« On en a déjà un cette semaine ! »)... sauf s’il porte sur une femme qui prétend aller à la piscine et se baigner en niqab.
L’info en pleine dérive
Sous l’impulsion de la direction de l’information, des choix rédactionnels hautement contestables sont opérés : on développe tout ce qui relève du divertissement, au sens large (1.700 mots consacrés à la sortie de deux livres consacrés à Carla Bruni-Sarkozy, 596 mots sur « l’histoire de la braguette » (144 pages), multiplication de portraits de prétendues stars d’un jour, 4259 mots sur le dernier livre de Houellebecq entre mi-juin et mi-septembre, etc.
Mais l’impasse est faite sur des sujets de fond : toujours pas une ligne sur les fils de l’AFP (et nous savons que ce n’est pas la faute de l’Eco, qui n’en peut mais) concernant le « Manifeste des économistes atterrés » publié pour le 2ème anniversaire de la chute de Lehmann Brothers, rien sur le dernier essai de sociologues et chercheurs reconnus, Monique et Michel Pinçon, Le président des riches.
Dans le bocal, on ne s’étonne plus de l’absence de l’AFP sur telle ou telle info. La base du métier, on s’en fout, le factuel, ça n’intéresse personne ! On préfère, comme cela vient de se produire, demander à cor et à cri un papier pour les dix ans de l’émission Koh-Lanta - même si aucune manifestation ne marque cet anniversaire - ou sur les lapsus sexuels des politiques.
Dans son allure générale, le fil France ressemble de plus en plus à une mutualisation d’infos venues d’autres médias, dont le traitement de l’affaire Woerth-Bettencourt est un parfait exemple. L’AFP a quelques centaines de rédacteurs en France, mais elle en est réduite à citer des médias bien plus petits qu’elle et qui n’existaient pas il y a trois ans. Comme c’est commode ! Et quand certains ramènent des infos après un travail de fourmi, c’est direction poubelle pour ne pas faire de peine à un élu supposé bien en cour à l’Elysée. Nous n’en dirons pas plus, mais la direction sait bien de quoi nous parlons...
Contre cette politique de pressions, de défiance et de mise au pas de la rédaction, organisons la résistance !
Nous invitons tous les rédacteurs soucieux de faire honnêtement leur métier à ne pas céder aux caprices ou injonctions de la Rédaction en chef. Nous les invitons aussi à témoigner auprès de l’organisation syndicale de leur choix. Tout doit être su, porté à la connaissance de tous et dénoncé. C’est le meilleur moyen de mettre en échec ces plans funestes.
Mais aussi, nous demandons solennellement à la direction de prendre les mesures qui s’imposent pour restaurer de toute urgence un fonctionnement rédactionnel normal, conforme aux missions de l’agence et assurant le respect du pluralisme des sources et des points de vue.
Faute de quoi nous proposerons à la rédaction le vote d’une motion de défiance à l’égard de l’ensemble de la hiérarchie rédactionnelle.
SNJ-CGT de l’AFP
PARIS, le 28 septembre 2010