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Les autocrates des radios publiques : l’exemple de France Inter

par Didier Duterrier, Nicolas Boderault,

Radio France, « société anonyme à capitaux publics dont l’État est l’unique actionnaire », a une mission de service public. Une mission dévoyée par l’arbitraire patronal de ses dirigeants (notamment ceux de France Inter). Des dévoiements inscrits dans la structure même d’un secteur soumis à l’autocratie. Qui peut croire que celle-ci soit compatible avec un véritable service public ?

De l’autocratie à Radio France…

Par un décret daté du 7 mai 2009, le président de la République a nommé Jean-Luc Hees président de Radio France, le plaçant à la tête de 7 chaînes nationales, 4 formations musicales, 4.300 collaborateurs et 625,4 millions d’euros de budget pour 2010.

Ce faisant, Nicolas Sarkozy renoue quasiment avec le mode de désignation en vigueur avant 1982.
De 1982 à 2007 un organisme procédait à cette nomination :
- la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (composée de 9 membres : 3 nommés par le président de la République, 3 par le président de l’Assemblée nationale, 3 par le président du Sénat), de 1982 à 1986 ;
- la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL, composée de treize membres : 2 nommés par le président de la République, 2 par le président de l’Assemblée nationale, 2 par le président du Sénat, 1 par le Conseil d’État, 1 par la Cour de cassation, 1 par la Cour des comptes, 1 par l’Académie française, et 3 cooptés par les 10 précédents), de 1986 à 1989 ;
- le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, composé de 9 membres : 3 nommés par le président de la République, 3 par le président de l’Assemblée nationale, 3 par le président du Sénat), de 1989 à 2007.

Il est ainsi manifeste que depuis le début (Radio France existe depuis 1975), la nomination du PDG de Radio France a toujours été le produit de choix politiques. Mais le mode choisi par Nicolas Sarkozy, permettant, selon les « éléments de langage » fournis par l’Élysée, de « rompre avec l’hypocrisie » des pratiques antérieures, est un hommage que le vice se rend à lui-même.

Le PDG de Radio France nomme lui-même les directeurs des 7 stations (France Inter, France Culture, France Musique, France Info, Fip, France Bleu, Le Mouv’). Pour établir ses choix, un seul « critère » : son bon plaisir.

Ainsi, dès sa nomination à la tête de Radio France, Jean-Luc Hees choisit Philippe Val comme directeur de France Inter. Ce choix n’est bien sûr dicté que par des considérations strictement professionnelles : Philippe Val a été un chroniqueur de « Synergie », émission animée par Jean-Luc Hees sur France Inter dans les années 1990, et Jean-Luc Hees, lui, a été un chroniqueur de Charlie Hebdo en 2008, un journal à l’époque dirigé par Philippe Val.

Et le même mode d’exercice solitaire du pouvoir est de mise pour les directeurs de station, notamment en ce qui concerne celui de France Inter.

… aux foucades et oukases de Philippe Val

À trop se focaliser sur la personnalité et les « qualités » professionnelles de Philippe Val (que nous avions mises en évidence de longue date avec une constance qui nous a valu d’être accusés d’acharnement), la critique risque de manquer l’essentiel : les effets d’un mode de désignation qui permet de sélectionner des dirigeants ajustés à l’exercice autocratique des responsabilités qu’on leur confie. Mais il est vrai que, pour prendre la mesure de l’absence totale de tout contrôle démocratique ou de contre-pouvoirs institués (et dotés de réelles prérogatives face aux volontés et caprices des dirigeants), rien de tel que la chronique des foucades et oukases ordinaires de Philippe Val entre mai 2009 et septembre 2010.

- À peine installé, Philippe Val signifie, en juin 2009, à Frédéric Pommier qu’il ne présentera plus la revue de presse à 8 h 30 en semaine. Seuls des mauvais sujets peuvent penser que cette décision est due au fait qu’il arrivait à Frédéric Pommier de citer Siné Hebdo, le journal diabolique par excellence aux yeux de Philippe Val ;

- dès septembre 2009, Pascale Clark revient sur France Inter après en être partie en 2004. Elle avait eu le bon goût, depuis 2001, d’inviter à plusieurs reprises Philippe Val à participer à ses émissions, tant à la radio qu’à la télévision. Elle a su également marquer son indépendance vis-à-vis de Jean-Luc Hees et de Philippe Val en déclarant, en septembre 2009 : « […] c’est [Jean-Luc Hees] l’homme de la situation. […] l’une de ses particularités, c’est de ne pas avoir de réseaux politiques. […] il n’intrigue pas comme la plupart des gens. […] Je ne sais pas comment le nom de Hees est arrivé aux oreilles de Sarkozy. Mais c’est forcément un bon choix. Où est le problème ? Il faut aussi arrêter le délire... […] Quand on associe Besson, Kouchner et Philippe Val, c’est de la mauvaise foi. Il y a une différence entre entrer dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy et diriger une radio. Sarko n’a pas demandé à Jean-Luc Hees ou à Philippe Val de rouler pour lui. » [1]. Les grands professionnels sachant se reconnaître entre eux, personne ne sera surpris de la passion commune de Pascale et Philippe pour Jean-Luc, en faveur duquel ils ont signé une pétition parue le 10 juin 2004 dans Le Nouvel Observateur ;

- le 18 décembre 2009, Philippe Val déclare aux producteurs de la chaîne : « France Inter est une radio qui coûte cher à l’actionnaire [de nombreux malcomprenants pensent alors à Nicolas Sarkozy], qui n’est pourtant pas très bien traité par la station. » ;

- fin 2009, Philippe Val décide que le « 7/10 » de Nicolas Demorand va devenir le « 6.30/10 » dès le 4 janvier 2010. Cela ampute le « 5/7 », animé par Patricia Martin, d’une demi-heure et a pour effet de supprimer la chronique de Simon Tivolle (mais pas celle de Bernard Maris, par ailleurs co-actionnaire de Charlie Hebdo). « Philippe Val a surtout "oublié" d’avertir les principaux intéressés » [2] ;

- en février 2010, Philippe Val recrute Renaud Dély, un journaliste de presse écrite, ancien pigiste dans Charlie Hebdo, en tant que rédacteur en chef de la matinale. À cette occasion, la SDJ (la société des journalistes de Radio France) a l’impudence d’ergoter sur ce magnifique cadeau en écrivant, le 23 février 2010 : « La SDJ a plusieurs fois milité pour qu’un "patron" du matin soit désigné à Inter mais pas dans ces conditions. Renaud Dély est nommé à une fonction unique dans l’histoire de la radio : rédacteur en chef de la matinale de 6 h à 16 h ! La conférence de rédaction étant à 4 h du matin, il arrive trop tard pour dessiner la "une" du jour, trop tard pour réveiller un reporter si nécessaire, trop tard pour prendre la mesure d’un événement survenu dans la soirée ou dans la nuit.  [3] » ;

- le 4 mai 2010, « sur proposition de Philippe Val », Laurence Bloch, en provenance de France Culture, devient « directrice adjointe de France Inter, responsable de l’antenne » [4]. Laurence Bloch est surtout connue pour le rôle qu’elle a joué auprès de Laure Adler dans le processus de normalisation de la station qu’elle abandonne : France Culture [5]. Son arrivée correspond au départ de Jean Beghin, qui depuis juillet 2006 était « délégué à la direction de l’antenne de France Inter ». Ces mouvements, à deux mois de la mise en place de la grille d’été (et à quatre mois de celle de la grille de septembre), sont le signe d’une grande sérénité dans le travail de programmation réalisé sous les directives avisées de Philippe. Selon Augustin Scalbert, « Philippe Val serait aussi très absent, notamment “tous les vendredis”. La grille d’été, qui vient d’être présentée, a été accouchée au forceps, “grâce au travail acharné de Laurence Bloch” ». Source : Rue 89. Une recrue de choix, donc ;

- fin juin 2010, Philippe Val congédie les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte. Mais leur éviction, occulte la suppression de plusieurs émissions et sept autres départs contraints (dans un quasi-silence de la confrérie médiatique) de producteurs : ceux de Philippe Debrenne, Jean-Marc Four, Sylvie La Rocca, Eric Lange, Sophie Loubière, Brigitte Palchine et Marjorie Risacher. « Des émissions qui marchent, des émissions qui ont un public », relève Caroline Constant dans L’Humanité, avant d’ajouter : « Et parfois tenues par des producteurs qui sont là depuis longtemps et qui se sentent méprisés (“J’ai eu le sentiment qu’on ne connaissait même pas mon émission et d’être jetée comme une crotte”, dit Sophie Loubière). On dénonce aussi les méthodes : Kathleen Evin, présidente de la Société des producteurs, assure avoir rendu son mandat, repris par Mathieu Vidard, parce que Philippe Val “m’accusait sans preuves d’être à l’origine de rumeurs”. Du coup, “on a le sentiment, reprend un autre, qu’on veut nous forcer à être non plus des producteurs délégués mais des animateurs”, ce qui représente, à chaque changement de directeur, la grande peur des producteurs de Radio France. » ;

- le vendredi 27 août 2010, un peu avant 7 heures, voici ce qu’on peut entendre sur l’antenne de France Inter : « Sept années se terminent. J’aurais tellement aimé qu’il en soit autrement. Contraint, forcé de quitter cette maison, je voulais vous dire merci. Et un autre mot qui commence pareil à Philippe Val qui me vire aujourd’hui. Mais ça va finir par devenir culte, alors à quoi bon... On va obtenir des prix de gros pour la location d’un bus [pour les virés, ndlr]. » [6] L’animateur qui tient ces propos, et qui a « un problème d’éducation » (dixit Jean-Luc Hees sur LCI le 3 septembre 2010), s’appelle Florent Chatain. [7] ;

- à lire le rappel de ce sans faute, il faut bien admettre que Philippe Val est fondé à déclarer, le 27 août 2010, lors de la conférence de rentrée de Radio France : « Je pense que l’année s’est plutôt bien passée quand même […] même si j’ai pu commettre des maladresses, je les ai faites en pensant à chaque fois que je m’adossais à l’intérêt général. »

Depuis la dernière rentrée, sont également à porter au crédit de Philippe Val, les parachutages sur les plages libérées de France Inter de Guyonne de Montjou (ex-porte parole du « jet » secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie, l’UMP Alain Joyandet), d’Elisabeth de Fontenay (septuagénaire et novice en radio mais ayant pour grande vertu de signer des pétitions aux côtés de Philippe Val et de ses amis), du chef d’entreprise Stéphane Rozès (invité permanent des médias), d’Audrey Pulvar épaulée par Patrick Cohen, qui, tous deux comme tant d’autres, sont aussi fidèles au service public… que Nicolas Demorand.

Arbitraire et allégeances

Au moment où nous arrêtons (provisoirement) cette chronique des pratiques autocratiques de l’actuel directeur de France Inter, il convient de souligner une fois encore que les phénomènes décrits ne sont pas seulement imputables aux « mauvaises manières » de l’ancien compagnon de chant de Patrick Font : elles sont d’abord la conséquence d’une « gouvernance » (pour parler « moderne »…) inscrite dans une hiérarchie anti-démocratique qui continuera à exercer ses effets tant qu’elle ne sera pas modifiée. En d’autres termes, tous les actes recensés ne sont pas inédits, ils ont leurs équivalents dans le passé sur la même chaîne, et dans le passé et le présent sur les autres chaînes.

Pour montrer la validité, dans le temps et l’espace des stations publiques, de l’application du « modèle » France Inter, dont Philippe Val n’est que talentueux gestionnaire, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Radio France et les coupeurs de têtes » (ainsi qu’à un article de Libération) et de prélever dans les archives d’Acrimed quelques exemples mémorables survenus lors du passage de Laure Adler à la tête de France Culture, de 1999 à 2005 :

- juin 1999 : suppression de l’émission « Staccato », animée par Antoine Spire et diffusée sur France Culture. « La brutalité de la décision prise fait corps avec l’indécence des motifs invoqués : reprocher à son animateur son “engagement idéologique” », disions-nous ;
- septembre 1999 : suppression sans motif de la prestigieuse émission « Panorama » (remplacée par un magazine animé par Sylvain Bourmeau, pas gêné de prendre la place) et affermage de tranches horaires de la station à des journaux qui assurent ainsi leur autopromotion (Voir par exemple Le Monde à France Culture) ;
- 30 décembre 2001 : la direction de France Culture met fin à la collaboration de René Farabet au titre de producteur coordinateur de l’Atelier de création radiophonique ;
- mars 2004 : renvoi de Miguel Benassayag, jugé « trop militant, trop engagé », à la différence d’Alexandre Adler, par exemple (voir ici même : « Laure Adler vire Miguel Benasayag de France Culture » ;
- etc.

Cet échantillon d’exemples montre qu’on peut avoir des caractéristiques sociales très différentes et/ou opposées (Philippe Val, dont le père était boucher, a quitté l’école à 17 ans et n’est pas un professionnel de la radio ; Laure Adler, dont le père était ingénieur agronome, a entrepris une thèse d’histoire et a commencé à travailler à France Culture à 24 ans, avant d’en devenir la directrice, à 48 ans) et avoir le même type de comportement d’enfant capricieux qui joue au chef. Cela s’explique, encore une fois, par le fait qu’il n’y a aucun contre-pouvoir à la mégalomanie, à la folie des grandeurs qui peuvent habiter ou se développer chez un dirigeant de radio publique.

Officiellement, les personnels (CDI, CDD), les représentants des personnels et les syndicats des stations n’ont aucun droit de veto, aucune part aux choix effectués. La seule contrainte officielle avec laquelle les dirigeants doivent compter est la contrainte juridique et les raisonnements connexes en termes de coût du licenciement d’un CDI (indemnisation, prud’hommes) et la jurisprudence. Si le visage d’une personne en CDI n’a pas l’heur de plaire à un directeur, celui-ci peut lui faire découvrir, comme le relève Libération, les délices de « [...] “l’allée des Cyprès”, à savoir un couloir peuplé de bureaux attribués à ceux qu’on placardise, en attendant leur départ » [8]. Le coût est alors « simplement » financier : payer quelqu’un à ne rien faire. Si c’est celle d’une personne en CDD, il suffit qu’il ne reconduise pas le CDD. Ainsi Laurence Bloch (directrice adjointe de France Inter, responsable de l’antenne) peut congédier un Florent Chatain qui « après avoir enchaîné, "180 contrat de producteur" souhaitait "obtenir un CDI au sein du groupe Radio France" et affirmer sans sourciller : "[il] n’a pas été viré [...], son contrat n’a simplement pas été renouvelé" ». (« Un journaliste présentateur de France Inter est congédié », Mediapart, le 27 août 2010. Article payant). Vous saisissez la nuance : un CDD non renouvelé, n’est pas un « vidage » ! Le management de service public a de beaux jours devant lui si rien ne change.

Les moyens actuels de défense des personnels soumis à l’arbitraire (en vrac : les syndicats, la grève, les pétitions, la sorcellerie, les manifestations, les prières, l’allégeance au boss ou a l’un de ses affidés, la Société des producteurs de France Inter) permettent de contester, chacun à leur manière, des rapports de pouvoir dans un microcosme où le débat et la discussion rationnelle ne sont invoqués que d’une manière purement formelle par les dirigeants pour justifier leurs actes. Ces moyens de résistance sont d’une force très variable, mais rarement suffisante (notamment pour les producteurs qui, sous le régime du CDD, sont dans un état de précarité de fait qui limite les mobilisations collectives) face à la toute puissance « légale » des dirigeants.

Les effets de ce mode de fonctionnement sont très dissuasifs. Pour parer à des changements (qui peuvent être des licenciements) qui reposent sur les choix arbitraires d’une direction incontrôlable, il est souvent (mais pas toujours…) préférable de multiplier les signes et les actes d’allégeance. Florilège :

- comment ne pas avoir ressenti de délicieux frissons quand Bertrand Vannier déclara sur France Inter, le 10 juin 2004 [9] : « Jean-Luc Hees est un ami. Si nous sommes amis, c’est que nous croyons à la même forme de journalisme. Ma fidélité n’est pas à un homme, mais à France Inter. Si un jour France Inter changeait, je ne serais plus à France Inter, et France Inter ne changera pas tant que nous serons à France Inter. » À l’époque, Bertrand Vannier dirigeait la rédaction de France Inter, et Jean-Luc Hees dirigeait France Inter. Aujourd’hui, Jean-Luc dirige Radio France, et Bertrand est le « conseiller éditorial du président » Jean-Luc ;

- comment ne pas se rappeler avec émotion une chronique lue à l’antenne de France Inter, le 29 décembre 2004, par… Philippe Val, appelant Daniel Mermet à y protester « véhémentement de l’honnêteté jamais prise en défaut de Hees, sous la direction duquel il s’honore de faire son travail librement » [10]. À l’époque, Daniel Mermet animait sur France Inter la non défunte (à ce jour) émission « Là-bas si j’y suis », et « Hees » dirigeait France Inter ;

- comment ne pas se souvenir de Frédéric Bonnaud raillant Daniel Mermet, dont l’émission avait été reléguée à un mauvais horaire pour laisser la place à Bonnaud : « Les martyrs médiatiques, il n’y a rien de plus ridicule » (France Inter, 28.6.06), avant d’en appeler aux syndicats et de susciter une pétition de soutien quand il voulut sauver son émission « La bande à Bonnaud » [11] ;

- Comment ne pas fondre en larmes (de joie) en entendant l’animateur Frédéric Lodéon vaporiser d’essences rares Jean-Luc Hees sur France Inter, le 12 mai 2009 : « Il y a cinq ans, un très grand journaliste qui a été directeur de France Inter a été chassé brutalement de cette maison. Et ce qui est formidable, c’est que maintenant il est revenu ! Il est revenu comme président de cette maison. Eh bien, je dois dire toute ma joie. Parce que le retour de Jean-Luc Hees, c’est le retour de quelqu’un d’humain, de quelqu’un qui connaît le métier, qui aime [Radio France], qui la connaît. Même humainement, il connaît chaque personne ! Ce matin, dans une réunion, il a fait un discours très construit, il a reconnu tout le monde, il a embrassé tel ou telle, une assistante... quelqu’un à qui on ne dit pas toujours forcément bonjour. Eh bien voilà : c’est une joie, je tenais à le dire. Nous avons un vrai professionnel de la radio qui revient chez lui, dans sa maison. […] Ah ! Que c’est bon ! » [12] ;

- comment ne pas être attendri par « l’édito politique » de Thomas Legrand, diffusé le 3 juin 2010 sur France Inter : «  Oui, notre patron est nommé par le Président ! [...] Jean-Luc Hess [transcription du site de France Inter, sic] dont tout le monde loue l’indépendance. [...] le résultat, pour l’instant (et pour longtemps) en terme de liberté de ton sur Radio-France est là, chacun peut en juger… [en effet...] En réalité je crois que nous sommes vernis. [...] » [13] ;

- pour donner du courage aux évincés, nous leur conseillons vivement la lecture du blog de Pascale Clark à la date du 3 juillet 2010 : « Et aussi, vous parler de liberté. Non, je ne suis inquiète [sic], et même éberluée pour dire la vérité par les proportions prises par les événements. Nous, gens de radio, sommes des intermittents. Parfois, des émissions s’arrêtent, nul n’est propriétaire, ça m’est arrivé, c’était dans le privé, j’ai pointé. Il est normal qu’un directeur construise une grille, que ne lui reprocherait-on s’il ne faisait rien. Stéphane Guillon, maintenant : « il n’est pas très agréable et pas très honnête de tirer à soi la couverture de la liberté, de l’impertinence. Parlez-en à tous ceux qui en font usage sur l’antenne, jour après jour, j’ai la faiblesse de m’y ranger. Quant aux accusations de sarkozysme, acceptez ce témoignage très simple : en une saison, sous un président nommé par l’Élysée, je n’ai pas subi UNE remarque. Comptez sur moi pour que cela continue. » ;

- comment ne pas saluer l’intrépidité d’Ivan Levaï qui, bravant tous les dangers, se risque à publier dans Le Monde du 7 juillet 2010 une tribune sous-titrée « Jean-Luc Hees et Philippe Val ont eu raison de mettre le holà devant les abus des humoristes », dans laquelle il administre une bonne correction aux garnements Porte et Guillon : « Pourquoi refusent-ils d’admettre publiquement qu’ils ont profité des années durant de l’incroyable cadeau que leur avait fait l’ex-direction de France Inter ? [...] c’est un abus d’éditorialiser avec un vocabulaire de charretier en s’en prenant à la dignité des personnes […] » Ivan Levaï a eu l’élégante discrétion de se faire présenter par Le Monde comme « journaliste », sans autre précision. Sans mentionner par conséquent qu’il anime la revue de presse matinale des week-ends sur… France Inter ;

- comment, en lisant le Télérama du 22 septembre 2010, ne pas être touché par les éloges sobres et courageux formulés par les rutilantes têtes de gondoles de France Inter que sont Philippe Collin (« Pour moi Inter reste Inter. […] Il est possible de faire du bon boulot avec cette direction. Je le crois sincèrement. »), Renaud Dély (« Aux journalistes je dis : “Philippe Val est le directeur d’Inter et c’est comme ça”. »), Thomas Legrand (« Tout le monde est content »), Audrey Pulvar (« Il y a beaucoup d’enthousiasme.  ») et Patrick Cohen (« Il y a de la bonne humeur, du plaisir même chez les chroniqueurs installés.  »)

En d’autres termes, « merci patron ! » Mais comment y échapper ?

***

Pour ne pas se laisser berner par de simples questions de personne (quoique certaines d’entre elles soient pires que d’autres…), il faut d’abord raisonner en termes de structures, c’est–à-dire s’interroger sur le mode de nomination des dirigeants, le mode de recrutement des collaborateurs, la définition de l’échelle et la grille des rémunérations, les statuts des collaborateurs, l’organisation des activités, les relations avec les autres institutions... Tant que ces structures ne seront pas modifiées, la même pièce continuera à être jouée (seuls changeront les petits maîtres et leurs valets), et Télérama (entre autres…) pourra continuer à ausculter rituellement l’écume des jours, avec des dossiers psychologisants comme « Où va France Inter ? » (1er février 2006) et « France Inter, fragile ! » (22 septembre 2010).

Pour éviter que Télérama ne fasse sa « une » du 12 janvier 2015 avec « France Inter en danger ? », il n’est peut-être pas sans intérêt de suggérer une réflexion sur quelques modalités d’appropriation démocratique du secteur public (et singulièrement des radios publiques) sans lesquelles il n’est pas de service public digne de ce nom. Par exemple :
- la désignation du directeur et des responsables de chaque station par un Conseil national des médias effectivement indépendant (lire notre proposition), voire par le personnel, sur la base de candidatures multiples et de projets débattus publiquement ;
- l’élaboration collective de la grille des programmes par tous les personnels de chaque station (et avec la prise en compte des avis, suggestions et critiques des auditeurs et de leurs associations [14] ;
- la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle, et du droit à cette dernière de s’opposer collectivement à des choix qu’elle récuse (comme le demandent les principaux syndicats de journalistes) ;
- la désignation des directeurs de l’information pas les personnels directement concernés (ou, du moins, l’exercice d’un droit de veto sur le choix de directeurs qui pourraient leur être proposés) ;
- la création d’un statut sécurisé pour les intermittents (en s’inspirant, par exemple, de ce que rapportait Christophe Nobili dans Le Canard Enchaîné du 2 août 2006 : « À France Inter, une "Société des producteurs" a […] été créée fin 2005. […] Certes, ces producteurs n’exigent pas tous un CDI, synonyme pour certains d’une perte de leur liberté éditoriale. Mais ils osent demander, ces impudents, que Radio France respecte un préavis de plusieurs mois et propose une indemnisation importante lorsqu’elle liquide une émission après des années d’existence. ») ;
- la suppression totale de toutes les formes de dépendances aux forces du marché (suppression compensée de la publicité, sous ses formes directes et indirectes et interdiction effective des « ménages ») ;
- etc.

Si ces quelques propositions étaient mises en débat (comme elles le sont au sein de notre association) pour être amendées et précisées et si tous les acteurs collectifs (associations, syndicats, formations politiques) s’en emparaient, nous pourrions opposer (enfin…) une utopie rationnelle au réalisme à la petite semaine qui entérine, aux prix de déceptions toujours renouvelées, le fait accompli.

Nicolas Boderault et Didier Duterrier.

 
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Notes

[1Source : Paris Match.

[2Lire l’édifiant récit de Caroline Constant dans L’Humanité.

[3Source : SDJ Radio France.

[4Source : Site de Radio France.

[5Mais aussi pour ses incitations prévenantes à la censure dont témoigne Elisabeth Lévy dans son livre, Le Premier pouvoir, quand elle écrit : « Laurence Bloch (qui tentait alors de me protéger) me fit comprendre qu’[Henri Maler, l’un des animateurs d’Acrimed, et Philippe Lançon] étaient interdits d’Antenne. ». Lire ici même « Quand Laure Adler censurait Acrimed sur France Culture ».

[6Source : Libération.fr.

[7Ces leçons de politesse sont un bel alibi dont Jean-Luc Hees est coutumier : « En août 2003, Jean-Luc Hees, alors directeur de France Inter, est amené à s’expliquer sur le renvoi de Martin Winckler, que certains imaginent lié [le renvoi, pas Martin Winckler] aux pressions du lobby pharmaceutique (pour lesquels Hees a fait des “ménages”) », comme le signalait PLPL, repris par Acrimed. Or Hees expliqua plutôt que le renvoi était imputable au manque de reconnaissance de son ancien chroniqueur : « Si moi je me conduis pas bien dans un dîner et que je suis pas réinvité, je m’acharne pas à sonner à la porte, je ne reviens pas, j’essaie de me dire que la prochaine fois je me conduirai bien. Martin Winckler doit beaucoup à France Inter, je crois qu’il le sait. » (D’après Serge Halimi dans Eveline Pinto (sous la direction), Pour une Analyse critique des médias, éditions du Croquant, 2007, p. 207).

[8Libération, sous le titre « France Inter : Val avalisé ».

[11Le Plan B, n° 9, août 2007.

[12Le cahier d’été du Plan B, 2009.

[14Il faut prendre au mot Julien Delli Fiori, nouveau directeur de Fip, quand il déclare : « Notre public connaît mieux la radio que nos directeurs. » (Télérama, n° 3167, 22 septembre 2010).

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