Faisant parler les morts en faveur du gouvernement, le journal de Dassault se gargarise en fait d’une prétendue découverte, issue d’un rapport publié par l’Institut allemand pour l’étude du travail (en anglais : « Institute
for the Study of Labor ») [2]. Un rapport dont Laurence Desjoyaux, péremptoire, tire ainsi la leçon pour Le Figaro : « Partir plus tôt en retraite ne permet pas forcément aux ouvriers d’en profiter plus longtemps. Au contraire, […] cela augmente les chances de mourir prématurément ».
Pour saisir le sens et les limites de cette « découverte », il faut revenir à l’étude elle-même [3].
En réponse à la crise internationale de l’industrie sidérurgique à la fin des années 1980, le gouvernement autrichien avait modifié la législation dans certaines régions concernant l’âge de départ en retraite pour permettre aux ouvriers de ces régions de partir à 55 ans au lieu de 58 ans pour les hommes et à 50 ans au lieu de 55 pour les femmes.
Les auteurs du rapport ont ainsi profité de cette réforme pour étudier l’impact de l’abaissement de l’âge de départ en retraite sur la mortalité. Le Figaro résume ainsi le constat formulé par les chercheurs de la manière suivante : « Pour les hommes, partir à la retraite un an plus tôt augmente de 13,4% les chances de mourir avant 67 ans. Pour les femmes, en revanche, un départ à la retraite anticipé n’a aucun effet sur l’âge du décès ».
Trop heureuse de l’aubaine, la journaliste du Figaro « oublie » de mentionner une des possibles explications mises en avant par les auteurs : le fait que ce sont les départs en retraite « involontaires » (c’est-à-dire liés à des licenciements) qui auraient un impact significatif sur la mortalité, et non le fait – en lui-même – de partir à la retraite plus jeune. Or, cette hypothèse a été testée statistiquement et validée par les auteurs, qui concluent d’ailleurs leur étude sur cette phrase : « Finalement, nous apportons des éléments prouvant que la retraite précoce involontaire a un effet négatif sur la santé, mais pas nécessairement la retraite précoce volontaire » [4]. Un peu plus haut dans le rapport, ce résultat était formulé encore plus nettement, même si la formulation semble contournée : « La retraite précoce concernant les départs volontaires ne semble pas liée à la mortalité, alors que la retraite précoce causée par des licenciements involontaires [sic] l’est » [5].
En somme, c’est la mise au chômage précoce qui expliquerait que les hommes ouvriers partis en retraite à 55 ans ont une probabilité plus forte, que ceux partis plus tard, de mourir avant 67 ans. Les licenciements auraient donc pour effet d’accroître chez les travailleurs âgés les risques sanitaires : à la mort sociale que représente souvent pour eux un chômage subi succéderait ainsi la mort biologique. De cela, le lecteur du Figaro ne saura rien puisque l’impact du chômage est purement et simplement évincé de l’article. Mais il pourra se convaincre que la réforme gouvernementale, non contente de sauver les finances publiques, sauvera (ou allongera) la vie de nombreux ouvriers.
Manipulation intentionnelle ? Le pire, c’est que la journaliste du Figaro n’a sans doute pas compris ce qu’elle a lu !
Ugo Palheta
– Nos remerciements au correspondant qui nous a signalé cet article du Figaro.