1) La reine Christine… Reine de qui ? De quoi ? De comment ?
Christine Ockrent, directrice déléguée de France 24, a longtemps été dénommée « la reine Christine » sans qu’il soit possible de déterminer les origines de ce royaume, son fondement et sa légitimité, sauf à y voir une discrète allusion à son pays d’origine, la Belgique, un royaume, et la fonction de son père, ambassadeur du roi des Belges. À moins qu’il ne s’agisse d’une référence à l’une de ses principales activités, « le ménage », les prestations de parapublicité, au point d’être désignée du vocable désobligeant de « reine des ménages » [2]. À moins encore qu’il ne s’agisse à proprement parler d’une usurpation, tant il est vrai que toutes ses émissions, toutes, étaient poussives, de faible audience, sans le moindre éclat.
Son parcours professionnel est un passe-droit permanent. Son recours abusif aux publi-reportages surtarifés, en contradiction avec la déontologie, son opportunisme à tout crin, illustré par l’affaire Hoveyda et sa magistrale culbute de la dream team de Jean-Luc Lagardère vers Francis Bouygues lors de la privatisation de TF1, en 1987, ont accrédité l’image d’une ambitieuse mue par l’appât du gain, sans état d’âme particulier dès lors qu’il s’agit de satisfaire une ambition sans limite. Son cursus pourrait d’ailleurs figurer au programme d’enseignement des novices de la profession au chapitre du journalisme parasitaire.
Journaliste belge, née à Bruxelles le 24 avril 1944, Christine Ockrent est la fille de Roger Ockrent, ancien chef de cabinet du Premier ministre Paul Henri Spaak, ancien secrétaire général de l’Otan à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine, et surtout, administrateur du plan Marshall, un poste de ventilation financière à l’échelle européenne, qui permet de nouer de solides relations, de forger la reconnaissance des uns et la gratitude des autres. Sa naissance sous bonne étoile ne lui sera pourtant pas d’un grand secours pour prévenir des débordements qui entacheront irrémédiablement la réputation du personnage. Sous la bonne éducation, les mauvaises manières. Une des cartes maîtresses de l’écurie du vendeur d’armes dans la compétition l’opposant au bétonneur, désignée d’ailleurs pour être la directrice de la future chaîne privatisée, elle tournera casaque après l’échec de son parrain pour s’offrir au gagnant dès l’attribution de l’appel d’offres, sans le moindre « délai de viduité », le délai de décence que s’imposent les grandes âmes avant de franchir le Rubicon.
2) L’affaire Amir Abbas Hoveyda [3]
Wikipédia, l’encyclopédie électronique nullement réputée pour ses excès de langage, usera d’un euphémisme pour qualifier son comportement dans une affaire qui plombera sa carrière, l’interview de l’ancien Premier ministre du chah d’Iran, Amir Abbas Hoveyda, assurant que « l’orientation des questions et la rigueur du ton adopté par Christine Ockrent ont suscité une vive controverse au sein du monde du journalisme, au vu de la situation de l’ancien dirigeant iranien, exécuté le surlendemain d’une balle dans la nuque à l’issue d’un procès expéditif mené par l’ayatollah Sadeq Khalkhali » [4]. On ne saurait mieux dire.
Cette auditrice assidue du Forum de Bilderberg [5], le grand prescripteur sur le plan mondial de la stratégie occidentale, est ainsi passée à la postérité pour son interview d’un condamné à mort, la veille de son exécution. « Une loi non écrite prescrit au journaliste de ne jamais poser de questions à un homme privé de liberté. Une loi dérogée par Christine Ockrent, jadis, en Iran, et aujourd’hui par Renaud Bernard, journaliste à France 2 », relève Jacques-Marie Bourget, l’ancien correspondant de guerre de Paris Match, grièvement blessé par des tirs israéliens lors d’un reportage en Cisjordanie, dans un rappel à l’ordre mémorable intitulé « Quand Christine Ockrent filmait les prisonniers », sur le site internet Bakchich en date du 23 mars 2009 [6].
« Filmer un homme privé de liberté est une chose interdite. Tant pis, France 2 donne quand même gloire et travail à un reporter qui fait des interviews dans une prison. Les plus vieux ou les mieux informés vont me dire qu’il y a belle lurette que Christine Ockrent l’a fait ! C’est vrai, et c’est en 1979 que la femme de Bernard Kouchner a réalisé ce type d’entretien carcéral, "très controversé" », poursuit le journaliste qui relate ainsi, en homme de terrain, le récit de ce scoop :
« C’était dans l’Iran des fous de Dieu débutants. Dans les prisons du Guide suprême tout nouveau tout beau, Amir Abbas Hoveyda se morfond un brin. Ancien Premier ministre du shah, il n’a pu se sauver à temps du paradis qu’il ne gouverne plus. En un coup de fourgon cellulaire, Hoveyda est passé du caviar aux lentilles. Dans le grand bastringue de Téhéran passe alors une petite blonde teigneuse avec une caméra : Christine Ockrent. Les barbus lui ouvrent la porte de la prison d’Erevan, la terrible maison d’arrêt de la capitale. Le scoop est là au bout d’un couloir, enfermé dans l’infirmerie de la taule où on a aménagé une cellule. C’est un petit bonhomme à tête ronde qui s’appelle Hoveyda. Moteur ! La caméra de Christine tourne et les questions pleuvent, cruelles mais justes. Du genre ça ne vous fait pas un peu mal au bide de ne pas avoir été un démocrate modèle ? Puis d’autres interrogations sur la qualité de la soupe. Hoveyda fait le rassuré. À la recherche du temps perdu, il parle de Proust et ne se plaint pas de ses gentils gardiens, de ces merveilleux "juges". Quelques jours plus tard, paf ! Les amis de l’ayatollah Sadeq Khalkhali massent l’homme du shah d’une balle dans la nuque. Et qui, maintenant, a l’air idiot et même un peu dégueulasse ? Christine Ockrent et sa "Troisième chaîne" (France 3) qui l’emploie. En effet, il existe alors une loi non écrite qui prescrit au journaliste de ne jamais poser de questions à un homme privé de liberté. Une règle renforcée après que des chasseurs de scoops aient cuisiné des prisonniers bouclés au Vietnam. Les images de Hoveyda, chahuté sur un ton que personne n’applique à Sarkozy, sont dures à avaler. Résultat premier, les journalistes gueulent contre Ockrent. Résultat second, dans toutes les écoles de journalisme on enseigne aux étudiants à ne jamais poser de questions à un homme qui n’est pas libre. »
Celle qui avait bassiné les tympans de la planète de son faux scoop iranien sanctionnera quelques années plus tard, curieusement, l’unique journaliste rapporteur de scoop de sa chaîne (France 24), Richard Labévière, auteur d’une interview exclusive du président Bachar el Assad, à la veille de sa participation au premier et unique sommet de l’Union pour la Méditerranée, en juin 2008, au terme d’une rupture de trois ans avec la France. Une démarche qui échappe à l’entendement, qui demeure encore de nos jours inexpliquée, sauf à y voir la marque d’une forte antipathie affirmée à l’égard du monde arabe. Plaiderait en faveur de cette thèse la journée spéciale de soutien consacrée par la chaîne française, le 25 juin 2010, non pas aux deux journalistes français captifs en Afghanistan, mais à Gilad Shalit, ce soldat de l’armée israélienne prisonnier du Hamas. Émission spéciale qui n’aura pas mentionné le sort tragique de la population palestinienne de Gaza sous blocus depuis cinq ans, ni le sort d’un autre otage binational, franco-palestinien cette fois, Salah Hamouri.
3) Un cacheton à 18 000 € la demi journée [7]
Tout autre que la reine Christine aurait été carbonisé à vie, mais en France où l’endogamie entre presse et politique est la plus exacerbée de la sphère occidentale, sa bonne naissance, la carrière de son père, l’aile protectrice de Pierre Hunt, ambassadeur de France au Maroc, son amitié avec un compatriote belge, François Heisbourg, conseiller stratégique du ministre socialiste de la Défense Charles Hernu, (1981-1984), employeur de la sœur de Christine, lui épargneront les mines de sel. Épargnée, Christine, mais nullement immunisée, se vivra en état d’immunité et d’impunité, engageant une course effrénée vers le cacheton… et le ridicule.
« Ménages : Ockrent pour 18 000 €, la demi-journée », assure le publiciste Guy Birenbaum, qui narre en ces termes ce genre de pratique : « Dans le jargon des médias, les "ménages" désignent des prestations "free lance" de "professionnels". Ils interviennent dans des "événements" en tous genres (congrès, conventions, séminaires, etc.), contre une rémunération en général proportionnelle à leur notoriété.
Référencé comme elle, bien que je ne sois pas journaliste, dans une agence qui accueille les nombreux journalistes soucieux d’améliorer leurs fins de mois (l’agence encaisse une commission), j’ai réussi à me procurer le tarif des prestations de Christine Ockrent. Pour ma part, lorsque j’effectue l’un de ces services, je gagne environ 1 500 € par jour et je trouve cela très correct. En ce qui concerne Christine Ockrent, le tarif proposé par cette agence, qui présente volontiers le curriculum vitae de l’intéressée à ses clients, est de 18 000 € (plus un assistant à prévoir) "pour l’animation d’une réunion d’une demi-journée" », soutient l’écrivain dans son ouvrage « Nos délits d’initiés », concluant par cette sentence d’une rare sévérité : « La journaliste, qui donna, on l’espère, son image à Reporters sans frontières dans le cadre d’une spectaculaire campagne sur la liberté de la presse (cherchez l’erreur), est coutumière du fait. »
Christine Ockrent récidivera, en effet, à la leçon inaugurale de l’École supérieure de journalisme de Lille, en réclamant 5 000 € pour sa prestation d’une heure, alors que tous ses confrères se contentaient d’une intervention gracieuse auprès des jeunes pousses de la profession [8].
Plagiaire ? Auteur prolixe, la journaliste aurait puisé dans les travaux d’autres auteurs pour sa biographie de Hillary Clinton, La double vie de Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, où neuf cas de plagiat auraient été recensés, sans susciter le moindre scandale [9]. Son comportement s’inspire, il est vrai, d’exemples d’illustres prédécesseurs plagiaires de la Nomenklatura intellectuelle française, Alain Minc, le théoricien démasqué de Spinoza, et le roman-enquêteur Bernard Henry Lévy, le théoricien du botulisme.
4) La cacophonie
Dernier et non moindre de ses exploits, Christine Ockrent se proposait, en tant que directrice générale de France 24, de faire de ce vecteur « Le média de la Francophonie ». Il sera désigné sous son mandat « Le média de la Cacophonie » et la directrice reléguée en conséquence au rang de directrice déléguée. « France 24 vient de traverser encore un épisode agité de sa jeune mais déjà tumultueuse existence : une chaîne d’infos vue comme une vitrine de la France et présidée par un ancien publicitaire, ce n’est pas terrible. Mais dirigée par la compagne du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, ça fait carrément mauvais genre. » Du côté de la direction, on tempère : « Ils sont complémentaires : l’un est financier, l’autre est journaliste. » Sauf que les rôles se mélangent et se confondent. « On attendait de Christine Ockrent qu’elle vienne faire du journalisme », souligne un journaliste, « elle n’a fait que de la politique », rapportent les journalistes Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, dans le journal Libération en date du 30 août 2010 dans un papier intitulé « France 24 : la chaîne de la cacophonie ».
Soit pour les duettistes, avec un salaire unitaire de 300 000 € par an, plus important que celui du président des États-Unis, infiniment plus important que celui de son propre promoteur, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, un spectacle à 600 000 € par an. Dans un pays en état de faillite, un pôle audiovisuel en état de déconfiture, alors que le Quai d’Orsay fait l’objet de drastiques mesures de compression budgétaire, faisant planer la menace de licenciement sur près d’un millier d’emplois, le prix de la chicane vaut son pesant d’or et l’exception française son pesant de cacahuètes, pour un résultat dérisoire sur l’audience, mais un taux record de rotation du personnel, le tiers des effectifs licencié ou se démettant de son propre chef, en un an, soit une centaine de personnes.
Christine Ockrent, sa morgue et son mépris, constitue-t-elle un spécimen de ce que le journalisme français comporte de plus sordide, avec ses connivences avec les puissants, sa passion pour l’argent, sa passion pour le patronat et sa passion pour l’armée américaine ? Non, pas vraiment. La reine Christine reproduit, en fait, à la caricature les travers de la bulle politico-médiatique, à l’instar de son confrère Patrick Poivre d’Arvor, un des plus célèbres bidonneurs de l’histoire de la télévision contemporaine, avec la fausse interview du dirigeant cubain Fidel Castro, ou de Jean-Pierre Elkabbach, le plus strict factotum du président Nicolas Sarkozy. En un mot, Christine Ockrent représente en fait la figure la plus authentique, l’image la plus moderne des mœurs françaises contemporaines. Cet exploit, son unique exploit, est à mettre au crédit de cette belge de naissance, française d’adoption, si bien adaptée aux mœurs françaises, l’expression la plus raffinée du narcissisme à la française, de nos jours le meilleur produit d’exportation sur le marché international du ridicule.
René Naba
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