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Suspension d’Audrey Pulvar : l’arbre qui cache la forêt

par Julien Salingue,

La suspension injustifiée [1] de l’émission politique d’Audrey Pulvar sur i-Télé après l’annonce de la candidature d’Arnaud Montebourg aux primaires socialistes pose la question de la « proximité » entre le pouvoir politique et les médias. Mais cette question ne concerne-t-elle que les « conjoints » comme le laissent entendre les commentateurs politiques ? Ne devrait-elle pas prendre en compte la variété et la multiplicité des connivences entre les journalistes et les centres de décision ? N’est-ce pas la question plus générale de l’endogamie sociale des élites qui mérite d’être posée ?

« Le 22 novembre 2010,
La direction d’i-Télé, après discussion avec Audrey Pulvar, a décidé de suspendre dès aujourd’hui lundi 22 novembre 2010 le rendez-vous quotidien d’information et de politique "Audrey Pulvar Soir" diffusé du lundi au vendredi de 19h à 20h et présenté par celle-ci. Cette décision a été prise en raison de la déclaration de candidature d’Arnaud Montebourg "à la présidence de la République" en 2012, et de ce fait, dès à présent aux primaires du Parti Socialiste et sera effective pour la durée de la campagne. Audrey Pulvar et la direction d’i-Télé réfléchissent actuellement à l’élaboration d’un nouveau format pour la chaîne. »
 [2]

La décision d’i-Télé, et donc de Canal+, n’aura pas traîné. Dès le lendemain de l’annonce, par Arnaud Montebourg, de sa décision de se porter candidat à la candidature socialiste à la présidentielle, Audrey Pulvar est privée d’antenne. Sa faute ? Être la compagne d’un homme politique qui se lance dans la course à l’investiture pour 2012.

Le directeur de la rédaction d’i-Télé, Albert Ripamonti, a justifié ce choix : « C’est une mesure de prudence, d’éthique et de déontologie. (…) À partir du moment où le rendez-vous "Audrey Pulvar Soir" (de 19 heures à 20 heures) est tourné vers la politique, il était difficile de maintenir l’émission avec une journaliste compagne d’un candidat déclaré à l’élection présidentielle (…) Cela pouvait être de nature à jeter une forme de suspicion, à entacher sa crédibilité ainsi que celle de la chaîne. (…) Mais, bien entendu, cela ne remet nullement en cause l’impartialité et l’honnêteté d’Audrey Pulvar. Je n’ai aucun doute là-dessus » [3]. Bien entendu…

« Une décision sexiste »

Ce n’est visiblement pas l’avis de l’intéressée, bien qu’elle ait à plusieurs reprises assuré qu’elle « comprenait » la décision de la chaîne, notamment lors d’une interview sur Europe 1, le 23 novembre, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel : « C’est sûr que ce n’est pas le moment le plus agréable de ma vie professionnelle, mais je comprends. Il y a une décision qui a été prise et je la respecte (…)  ».

Mais dès le 24 novembre, lors de sa chronique quotidienne sur France Inter (« À rebrousse-poil », du lundi au vendredi à 6 h 13), Audrey Pulvar indique, de manière à peine voilée, que si elle a pu affirmer « respecter » la décision de la chaîne, elle n’en pense pas moins. Citant longuement Émile ou de l’Éducation, de Jean-Jacques Rousseau, Pulvar dénonce le caractère sexiste de la décision d’i-Télé :

« (…) Les femmes sont-elle capables d’un solide raisonnement ? Importe-t-il qu’elles le cultivent ? Le cultiveront-elles avec succès ? Cette culture est-elle utile aux fonctions qui leur sont imposées ? Compatible avec la simplicité qui leur convient ? Les diverses manières d’envisager et de résoudre ces questions font que les uns font de la femme la première servante du maître, tandis que les autres, non contents d’assurer ses droits, lui font encore usurper les nôtres ; car la laisser au-dessus de nous dans les qualités propres à son sexe et la rendre notre égale dans tout le reste, qu’est-ce autre que transporter à la femme la primauté que la nature donne au mari ? (…)  »

Avant de conclure sobrement par trois mots et une date : « Libérée, égale, suspendue. Novembre 2010 ».

Le surlendemain, dans une tribune publiée par Libération(lien périmé, décembre 2013), elle ne se contente plus d’un détour par Rousseau :

« La femme, cet être fragile et émotif comme chacun sait, pas assez autonome pour affronter seule une éventuelle attaque (verbale !) d’un interlocuteur malhonnête, pas assez armée pour faire la part entre sa vie privée et son engagement professionnel ? Un cerveau in-disponible en quelque sorte, parce que colonisé par celui de l’homme qu’elle aime… La question ne concerne pas que moi. Elle est le quotidien de milliers de femmes ayant réussi, à force de travail, à construire une carrière, à exercer des responsabilités, à porter l’image d’une grande entreprise, d’un groupe, d’un parti politique. Un procès permanent en incompétence, manque de maîtrise ou hystérie. »

On comprend donc que l’argument principal d’Audrey Pulvar est celui du sexisme de la décision qui a conduit à sa mise à l’écart. Sa position est en effet selon elle problématique, mais si elle n’avait pas été une femme, la direction de la chaîne aurait fait preuve de moins de précipitation : « Non, je ne vis pas dans une bulle, indifférente à la critique ou au questionnement. Oui, je sais que ma vie de personne publique suppose une rectitude privée permanente. Oui, concrètement, aimer un responsable politique n’est pas la configuration la plus simple à gérer pour une journaliste politique. J’ai cru pouvoir être jugée sur pièces… À tort. »

Nombre de dirigeants politiques ont eux aussi dénoncé la mise à l’écart de Pulvar en insistant sur son caractère sexiste : (entre autres) Martine Aubry (« un petit côté machiste (à considérer) que les femmes journalistes sont influencées par leurs hommes »), un collectif de députées socialistes et vertes (« une atteinte inacceptable aux droits des femmes » (lien rompu, janvier 2011)) et même, pour la plus grande surprise de certains, comme Ludovic Vigogne, de L’Express, Jean-Luc Mélenchon, dans un long billet daté du 24 novembre :

« Je crois que madame Pulvar ne doit pas être traitée comme une enfant mais comme une adulte. (...) Parmi tous les conditionnements qui s’exercent sur elle comme sur tout être humain pourquoi avoir décrété que ses sentiments à l’égard de son compagnon annuleraient la perception que les autres ont de son autonomie de pensée ? Parce qu’elle est une femme. Il n’y a pas d’autres réponses suggérées par cette décision. »

Nicolas Sarkozy lui-même y est allé de son commentaire anti-sexiste. D’après Le Canard Enchaîné du 24 novembre, il aurait ainsi lancé devant quelques journalistes : « Je trouve ça incroyable. Je suis toujours choqué quand je vois des femmes devoir dépendre de la carrière de leur mari. » Nous ne commenterons pas le commentaire.

Du côté des journalistes

De leur côté, les grands quotidiens et hebdomadaires nationaux ont fait preuve d’une frilosité à première vue surprenante. Ils se sont contentés de relayer, factuellement, l’information et les déclarations des dirigeants politiques. Aucun d’entre eux n’a engagé plus loin la polémique ou pris fermement position en faveur de leur collègue. Libération a certes ouvert ses colonnes à Audrey Pulvar, mais pour une tribune qui n’engage pas le journal en tant que tel. Seul le journal l’Humanité, dans son édition du 24 novembre, a semblé protester, tout en se limitant lui aussi à la problématique du sexisme : « Machisme sur i-Télé ? ».

Quelques femmes journalistes de renom ont néanmoins pris position à titre individuel : Claire Chazal (« scandalisée »), Christine Ockrent (« Je le regrette pour elle ») et Michèle Cotta (« Je pense qu’on n’aurait pas fait la même chose si un homme journaliste couchait avec une femme politique » [4]). Mais dans les trois cas, il s’agit d’un témoignage de soutien à leur consœur et non d’une quelconque volonté d’ouvrir un débat sur les relations entre médias et politiques.

Arlette Chabot a de son côté estimé que « [cette décision était] injuste en ce qui concerne Audrey », modérant aussitôt son propos : « c’est vrai que c’est un petit peu tôt »  [5]. Elle introduit ici LA nuance qui est en réalité la boussole des quelques journalistes « grand public » qui, à partir d’une défense (parfois très relative) d’Audrey Pulvar, ont tenté de produire un tant soit peu d’analyse. Nous retiendrons ici trois exemples qui, malgré de réelles différences d’appréciation, ont en réalité de significatives similitudes, notamment en raison de ce qu’elles ne disent pas : Catherine Nay, Chistophe Barbier et Jean-Michel Aphatie.

Catherine Nay, invitée du Grand Journal de Canal+ le vendredi 26 novembre, aux côtés d’Arlette Chabot et d’Audrey Pulvar elle-même, s’explique :

« Ce principe de précaution est très désobligeant pour une consœur qui fait merveilleusement bien son travail. (…) [Montebourg] est candidat à la candidature. Qu’est-ce que ça change, du jour au lendemain ? Rien. D’ailleurs ira-t-il jusqu’au bout ? On n’en sait rien. Ce qui pose problème, moi la seule fois où je m’étais dit il y a un problème c’est par exemple quand le président Mitterrand avait été interviewé par deux journalistes dont les époux étaient ministres. Là je trouvais qu’il y a quand même un problème, bon. (…) Parce qu’elles participent au pouvoir, parce qu’elles participent aux décisions du pouvoir… »

Pour Catherine Nay, le problème n’est donc pas tant le caractère sexiste de la décision d’i>TELE que le fait qu’Audrey Pulvar n’aurait pas dû être évincée de son émission quotidienne sur i>TELE dans la mesure où Arnaud Montebourg n’est « que » candidat à la candidature à la présidentielle, qu’il est dans l’opposition, et qu’il n’est donc pas dans une position où il exercerait effectivement le pouvoir.

Christophe Barbier, dans un éditorial vidéo sobrement appelé « Pour Audrey Pulvar », dit à peu près la même chose.

« Fallait-il suspendre aussi vite Audrey Pulvar de son émission du soir sur i-Télé après l’annonce de la candidature à la candidature d’Arnaud Montebourg, son compagnon ? Non. En tout cas, pas si vite, à mon sens. (…) Arnaud Montebourg n’est que candidat à une primaire d’un parti, primaire qui est loin d’être ouverte, primaire qui est surtout loin d’être gagnée par Arnaud Montebourg. C’est pas comme s’il était candidat à la présidence de la République. »

On le voit donc : le raisonnement est identique à celui de Catherine Nay. La suspension aurait pu se justifier, mais pas si tôt. Christophe Barbier essaie d’aller plus loin en se posant la question d’une hypothétique « règle » :

« Alors, peut-on ériger une règle pour déterminer si des journalistes ont le droit de parler politique tout en ayant une vie privée qui les amène à fréquenter des politiques ? Difficile. Où commencerait la règle ? Faut-il interdire aux journalistes politiques de vivre avec des gens qui sont membres d’un parti ? Oula. Ça va devenir compliqué d’avoir une vie de famille normale quand on fait ce métier. Alors est-ce qu’il faut interdire aux journalistes de fréquenter dans leur vie privée des élus ? Oui mais, qu’est-ce qu’on entend par élu ? Le moindre conseiller municipal de village, même sans étiquette serait considéré à l’égal d’un député, ou d’un député européen ? Où met-on la barre ? Est-ce que c’est le mandat national qui compte ? Mais il y a beaucoup de députés qui ont bien moins de poids qu’un président de conseil général ou que le maire d’une grande ville de province. Très difficile de distinguer. (…) On voit bien comment la règle est extrêmement compliquée à établir. »

On attend alors avec impatience les propositions de Barbier pour résoudre la quadrature du cercle :

« Moi je pense qu’il faut une règle beaucoup plus simple : faire confiance. Faire confiance au professionnalisme (…) pour qu’en toute bonne conscience le travail (…) soit accompli dans le respect de la déontologie. »

Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire… A fortiori lorsque l’éditorialiste de L’Express nuance immédiatement sa « règle » : « Bien sûr, à partir d’un moment, ça devient compliqué parce que le soupçon de l’opinion sera très très fort et on sera dans ce que l’on appelle le conflit d’intérêts. (…) Eh bien cette barrière, c’est pas la taille du mandat, c’est pas la médiatisation de l’élu en question, je crois que c’est le pouvoir exécutif. Quand on est dans un pouvoir exécutif, à la tête d’une région, à la tête d’une grosse collectivité locale, ministre, là il faut que les conjoints prennent en considération ce problème. Le pouvoir acquis par l’homme ou la femme de leur vie rend difficile la pratique du journalisme politique. »

La règle de Christophe Barbier ne peut donc, de son propre aveu, résister au « soupçon de l’opinion ». Il ne faut pas prendre le risque que « l’opinion » puisse « soupçonner » les journalistes de connivence avec le pouvoir politique.

Jean-Michel Aphatie y est allé lui aussi de son commentaire. C’était aussi dans « Le Grand Journal », lundi 22 novembre : « C’est évidemment une situation très délicate parce qu’on ne peut suspendre quelqu’un professionnellement que si on lui reproche des faits précis. Sinon on est dans le procès d’intention. Donc nous sommes là face à quelque chose que l’on peut avoir du mal à comprendre. »

En défense d’Audrey Pulvar ? La suite nous apprend rapidement que non : « Et en même temps cette suspension a quelque chose d’inévitable parce qu’un journaliste politique doit pouvoir interroger tout le monde. Et, [s’adressant à Montebourg] il est certain que le fait que cette journaliste Audrey Pulvar soit votre campagne (sic) l’handicape (resic) dans son travail. Elle peut être honnête et impartiale, le téléspectateur verra toujours d’un œil particulier les questions qui seront adressées par exemple à vos adversaires pour la primaire à l’intérieur du Parti socialiste ou bien pour vos adversaires politiques. »

Là aussi, le problème, c’est le soupçon du « téléspectateur ». Le téléspectateur qui, comme « l’opinion » selon Barbier, doit avoir le dernier mot. Conclusion d’Apathie : « Donc il y a quelque chose d’injuste dans cette situation, c’est évident, et il y a aussi quelque chose d’inévitable. »

Inévitable.

Le téléspectateur a tranché.

L’arbre qui cache (commodément) la forêt

Nos trois journalistes fondent donc leur « défense » d’Audrey Pulvar sur le fait que le verdict est sans doute tombé « trop tôt », Arnaud Montebourg n’étant pas aux responsabilités (tendance Nay-Barbier) ou n’étant pas encore vraiment en course pour y accéder (tendance Aphatie). Ils sont néanmoins unanimes pour dénoncer tout ce qui pourrait entretenir les soupçons de connivence entre journalistes et politiques.

« Soyons clair, les journalistes politiques ne sont pas les seuls à succomber à cette tentation, assez humaine au fond. Avoir des relations privilégiées avec des informateurs, c’est l’essence même du métier de journaliste. Que cela se finisse de temps en temps par une histoire d’amour, c’est une question d’ordre privé bien sûr ! Le problème, c’est le mélange des genres et le conflit d’intérêts bien réel qui résultent de ces liaisons dangereuses quels que soient l’honnêteté et le professionnalisme des uns et des autres. Mais il est légitime de souhaiter que des précautions soient prises. Au minimum, c’est une question de déontologie personnelle. »

Des lignes écrites le 23 novembre par Rémy Dassarts, directeur de la rédaction de France-Soir, et dans lesquelles Barbier, Nay et Aphatie se reconnaîtraient sans aucun doute. À ceci près que Dassarts en tire une autre conclusion :« Nous comprenons donc les dirigeants d’i-Télé qui viennent de suspendre l’émission quotidienne d’Audrey Pulvar : elle et son compagnon, Arnaud Montebourg, sortiront gagnants de cette clarification. Et la démocratie aussi. »

Surprenant ? Pas tant que ça. Car ce qui unit ici l’ensemble des médias « grand public » et les quelques journalistes évoqués plus haut, ce n’est pas tant le sort d’Audrey Pulvar (dont certaines prises de position, comme sa réaction aux propos racistes de Jean-Paul Guerlain, ne sont guère appréciées par nombre de ses « confrères ») qu’une terreur partagée du soupçon de connivence. Que ce soit pour ceux qui soutiennent i-Télé, ceux qui condamnent i-Télé, ou ceux qui ne disent rien, l’essentiel demeure de soigneusement circonscrire le débat aux (rares) cas des « journalistes conjoints ». L’arbre qui cache commodément la forêt, et dont on parle pour ne pas parler du reste.

Deux questions s’imposeraient en effet : la « proximité » entre « pouvoir » et médias ne concerne-t-elle que les conjoints ? Le « pouvoir » n’est-il que politique ?

Dans son éditorial vidéo, Christophe Barbier arbore fièrement sa splendide écharpe rouge. Une de ses marques de fabrique, à un tel point que certains journalistes l’interrogent à son sujet, à l’image de Philippe Vandel dans son émission sur France Info, le 7 janvier dernier. Barbier précisait alors : « Sachez que celle que je porte aujourd’hui, qui n’est pas en cachemire mais en laine, m’a été offerte par Carla. C’était dans l’hiver 2007-2008 » [6]. « Carla ». Tout simplement. « Carla » qui était aussi présente, en octobre 2008, au mariage de Christophe Barbier. Savoureux détail, rapporté par Le Figaro : « Après la cérémonie, à la mairie du VIe, elle a lu un texte de Michel Houellebecq extrait de La Possibilité d’une île, roman qu’il a récemment adapté au cinéma. »

On comprend mieux les critères énoncés par Christophe Barbier : Carla Bruni n’est pas son épouse mais une « amie du couple » et, en outre, elle n’exerce pas de responsabilités dans les exécutifs. « L’opinion » serait donc bien mal avisée de « soupçonner » une quelconque connivence entre Christophe Barbier et le pouvoir politique.

« L’opinion » doit également être convaincue que lorsqu’il écrit, après avoir « retrouvé le couple présidentiel » au Maroc à la fin du mois d’octobre dernier, les lignes qui suivent, c’est uniquement le professionnel rigoureux qui s’exprime.

« Le Président sort d’un conflit social délicat et d’une réforme majeure ; son épouse a terminé quatorze maquettes pour son prochain disque. Conversation "off the record", avec le chef de l’État. Retraites, fiscalité, dépendance, justice... Il est au clair sur tous les sujets, y compris sur le remaniement. Et sur l’état de la gauche. C’est "off", mais c’est tranchant… »

Et déontologique.

Jean-Michel Aphatie n’est pas l’ami des politiques. Il n’a de cesse de dénoncer les « magouilles » et les « petits arrangements entre amis ». C’est ce qu’il fait chaque jour, notamment, sur le plateau de Michel Denisot. Michel Denisot, qui est, lui, l’ami de Nicolas Sarkozy. Un ami de longue date. En 1995, Denisot faisait partie des quarante privilégiés invités par Nicolas Sarkozy pour fêter ses 40 ans dans un chic restaurant italien. C’est en 1995 aussi qu’ils publient ensemble un livre d’entretiens, modestement intitulé Au bout de la passion, l’équilibre… Denisot a déjà raconté la genèse de ce livre dans une interview au Point : « L’histoire de ce livre est assez simple. J’étais président du PSG et Nicolas Sarkozy venait souvent voir des matchs au Parc des Princes. Un jour, il m’invite à déjeuner. Il m’a paru tout à fait atypique. Très direct dans ses rapports, analysant tout, et avec beaucoup de pertinence. L’idée m’est venue d’un livre d’entretiens. »

Une relation régulièrement entretenue depuis, de l’aveu de Michel Denisot lui-même, qui répondait dans la même interview :

– [Nicolas Sarkozy] vous a-t-il adressé un message cet été, après son élection ?
– Oui, il m’a invité à dîner cet été. Une soirée formidable !

Jean-Michel Aphatie, pour qui Audrey Pulvar, du fait de sa relation avec Arnaud Montebourg, est « handicapée dans son travail » et devait donc être « inévitablement » suspendue n’a pas, à notre connaissance, demandé « l’inévitable suspension » de Michel Denisot du fait de sa proximité avec Nicolas Sarkozy. Il n’a sans doute pas jugé non plus que « le téléspectateur » ait pu voir « d’un œil particulier » l’étrange échange entre le présentateur du « Grand Journal » et le président de la République lors de l’entretien télévisé du 18 novembre. Pour mémoire :

– Monsieur Denisot, vous me prêtez, je le pense, une intelligence normale, moyenne disons…
– Un peu au-dessus.
– Merci.

Tout ceci au cours d’une interview durant laquelle Denisot n’a pas, à l’instar de ses collègues David Pujadas et Claire Chazal, fait montre d’une verve particulière face à un président pourtant en butte à de nombreux « dossiers » [7].

Mais de tout ceci, Jean-Michel Aphatie ne parla point. La dénonciation des risques de connivence est donc, pour lui, à géométrie variable. Il rejoint par là son confrère de L’Express. Après tout, nous dira-t-on, Michel Denisot n’est pas le conjoint de Nicolas Sarkozy…

Catherine Nay, qui a longtemps partagé la vie d’Albin Chalandon (qui fut, entre autres, dirigeant d’Elf Aquitaine et plusieurs fois ministre), fait elle aussi preuve d’une analyse de type « deux poids, deux mesures ». Conseillère de Jean-Pierre Elkabbach (alors président d’Europe 1) à partir de 2005, elle n’a jamais reproché à son patron d’être lui aussi un proche de Nicolas Sarkozy, au point de demander conseil à ce dernier, en février 2006, avant le recrutement d’un journaliste sur Europe 1 ou de faire partie, en janvier 2008, de la délégation officielle du président (et non de la « délégation presse ») lors d’un voyage en Inde. Ce que lui avait en revanche reproché… Jean-Michel Aphatie !

On aurait également pu parler de la présence d’Elkabbach, le 24 novembre dernier, au dîner du Siècle [8], club sélect des élites politiques, économiques et médiatiques, dont les connivences ne semblent pas déranger outre mesure les (plus ou moins) ardents défenseurs d’Audrey Pulvar, aussi pétris de déontologie et de morale soient-ils. Un club sélect dans lequel Arlette Chabot, Sylvie Pierre-Brossolette, Jean-Pierre Elkabbach, Emmanuel Chain, Jean-Marie Colombani, Michèle Cotta, Patrick de Carolis et bien d’autres côtoient les principaux dirigeants politiques et « capitaines d’industrie » du pays [9]. Un club sélect qui se réunissait précisément la semaine de la « suspension » d’Audrey Pulvar pour un dîner contre lequel le réalisateur Pierre Carles et quelques autres avaient appelé à protester [10]. Mais à ce rassemblement, Barbier, Aphatie et Nay ne se rendirent pas. Trop occupés sans doute à pourfendre les connivences entre le pouvoir et les journalistes.

« L’affaire Pulvar » est hautement révélatrice, au-delà du sexisme ambiant, de l’hypocrisie de tous ceux et toutes celles qui prétendent sauver l’indépendance des journalistes en interdisant aux conjointes de dirigeants politiques de premier plan d’exercer leur profession et d’être, pour reprendre la formule d’Audrey Pulvar, « jugés sur pièces ». Elle devrait être l’occasion de dénoncer ceux qui essaient de faire taire la critique de l’endogamie sociale des élites en tentant de déjouer les suspicions par quelques mesures symboliques, circonscrites et limitées aux usual suspects. Au milieu de l’assourdissant silence médiatique, seule une poignée de personnalités (notamment Noël Mamère et Jean-Luc Mélenchon) ont tenté de pointer ces dérives, dans un registre qui leur est désormais habituel. C’est bien peu, au regard des enjeux.

 
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Notes

[1On peut faire à Audrey Pulvar bien d’autres reproches que celui d’être la compagne d’un dirigeant politique...

[4France-Soir du 23 novembre.

[5« Le Grand Journal de Canal Plus », vendredi 26 novembre.

[6Le Canard Enchaîné, 13 janvier 2010.

[7Voir, par exemple, sur le site d’Arrêt sur Images.

[8Voir sur Wikipedia.

[9Voir, entre autres, sur le site de Bakchich.

[10Voir, entre autres, sur le site de Politis.

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