Ainsi va la vie du quotidien sportif, rythmée par les hymnes à la gloire des champions, érigés au rang de quasi divinités. Prédécesseur de Fabrice Jouhaud dans les années 90 et 2000, Jérôme Bureau [1] avait résumé d’une phrase le code génétique du quotidien rattaché à la maison Amaury [2]. « L’Équipe doit continuer à exalter le champion » [3]. Prononcée en 2002, cette sentence digne d’un oracle définit l’immuable cahier des charges éditorial d’un journal qui n’aura cessé de célébrer les têtes d’affiche du sport spectacle depuis sa création en 1946. Comme en atteste la devise - et slogan publicitaire - du quotidien : « L’Équipe légende le sport ».
Gardienne du dogme sportif, L’Équipe encense les élèves modèles - les champions qui gagnent - et admoneste les cancres - les talents en panne d’inspiration ou les prodiges qui tardent à confirmer les espoirs placés en eux. Apparemment en panne de performances, si l’on en croit les spécialistes, Yoann Gourcuff méritait bien une petite leçon. « Transparent sur les terrains depuis maintenant un an, Yoann Gourcuff court toujours après ce qu’on attend qu’il soit : un leader et un très grand joueur. Reste à savoir s’il est capable de relever ce double challenge. Enquête sur une star pas comme les autres », sermonne la manchette du quotidien, sous un titre un brin accrocheur : « Le mystère Gourcuff ».
« On », c’est L’Équipe, arbitre des élégances, faiseur d’opinion auprès des autres médias français - qu’ils soient sportifs ou généralistes -… et « conseiller image » des jeunes pousses en mal de reconnaissance. Aimablement sollicité par le quotidien sportif, Franck Tapiro, président de l’agence publicitaire Hémisphère droit, se penche sur le « potentiel de séduction » inexploité de Yoann Gourcuff.
- L’Équipe : « Il est réservé, parle peu…, n’est-ce pas un handicap ? »
- Franck Tapiro : « Si c’est, comme Ribéry, pour commencer le matin en tongs sur le plateau de Téléfoot en disant qu’on a mal au cœur [4] et finir l’après-midi dans un bus, mieux vaut fermer sa gueule [5]. S’exprimer, d’accord, mais pour dire quoi ? Lui n’a pas été cramé par ce qui s’est passé à Knysna. Les gens savent que lui et quelques autres ont été contraints et forcés de suivre. Il n’a pas encore dit de conneries. Il ne peut qu’agréablement surprendre ».
Le journalisme sportif, lui, est en plein forme. Il consacre non un talent quelconque mais le gentil et « beau gosse » Yoann Gourcuff, icône publicitaire immaculée, à rebours du méchant et inélégant porteur de tongs Franck Ribéry, qui gâche le produit, avec ses frasques extra conjugales [6] et son attitude de caïd.
Reste à savoir sur quel segment de marché « positionner » la marque Gourcuff.
- L’Équipe : « À quelles fins son image pourrait-elle être utilisée ? »
- Franck Tapiro : « Selon moi, la dernière des choses, ce serait de le prendre pour une marque de mode parce que c’est là que tout le monde l’attend. Pour jouer un peu à l’envers, puisque les gens le voient comme quelqu’un de pas très expansif, il faudrait un truc à base de parodie ou d’autodérision, une pub où une fille le trouverait moche par exemple. Une grande cause pourrait aussi illustrer son côté bon garçon ».
Conseillons les conseillers qui plaisent tant à un quotidien… sportif (on ne le dira jamais assez…) : friand de grandes causes humanitaires, Zinédine Zidane, à qui Gourcuff est régulièrement comparé, pourrait donner quelques tuyaux à son successeur putatif ; outre ses œuvres de bienfaisance, l’ambassadeur de la candidature du Qatar à la Coupe du monde 2022 aurait perçu plusieurs millions d’euros en échange de ses bons offices.
La question suivante est encore plus sportive que la précédente.
- L’Équipe : « A-t-il intérêt à vendre cette image ? »
- Franck Tapiro : « C’est trop tôt. Il est accroché à une promesse qui doit se transformer en réalité. Il a un potentiel énorme, c’est l’avenir, mais il doit encore trouver sa place sur le terrain. Et tant qu’il n’est pas au top, il a intérêt à se taire. C’est un signe d’intelligence et d’éducation ».
Trop tôt ? Yoann Gourcuff n’a pas attendu les publicitaires pour « se vendre ». Joueur le mieux payé de la Ligue 1 de football, il a touché 4,8 millions d’euros en 2010. Beaucoup plus que les malheureux handballeurs français, sacrés champions du monde en Suède, le 30 janvier dernier. Une injustice qui n’a pas échappé à L’Équipe. Laissant parler son cœur, le quotidien de tous les champions lâche ce cri du cœur, en « une » de son édition du 2 février : « Sont-ils assez payés ? ». « Le titre mondial a rapporté 40 000 euros à chaque handballeur et Nikola Karabatic, le mieux payé de notre championnat, émarge à 21 000 euros brut par mois » fait valoir le journal ; « "Kara", joyau poli, engrange avec ses contrats personnels au final 500 000 euros par an, soit, selon nos informations, le salaire mensuel perçu par Yoann Gourcuff à l’Olympique lyonnais ». Ainsi donc, la fracture sociale frapperait aussi les vedettes du sport. Rappelons simplement que, en France, le salaire médian s’élevait au début de 2010 à 1600 euros. Ce qui signifie que la moitié des Français gagnait plus que cette somme, et l’autre moitié moins.
L’Équipe, comme on le voit, n’est pas seulement un quotidien sportif : c’est aussi un quotidien social, puisqu’il fait rêver ses lecteurs !
David Garcia.