En tant que cinéaste, Sidney Lumet s’est souvent intéressé aux institutions de son pays ; il s’est penché sur les rouages du monde de la justice, de la police et aussi, donc, des médias. Il utilise la figure de l’intrus dans ses études de mœurs. Le dérèglement que cause l’apparition d’un élément dissident au sein d’un groupe social lui permet de mettre en évidence les jeux de pouvoir qui interviennent entre ses membres et le fonctionnement du milieu étudié. C’est le cas avec Network.
Au début du film, Howard Beale (Peter Finch), présentateur du journal du soir sur la chaîne UBS depuis de nombreuses années, apprend qu’on ne veut plus de lui, pour cause d’audience sur le déclin. Le lendemain, il annonce à l’antenne qu’il se tirera une balle dans la tête en direct dans une prochaine édition. Suite à cet incident, UBS riposte en le congédiant immédiatement. Mais après l’intervention de son meilleur ami et collègue, Max Schumacher (William Holden), la chaîne le laisse revenir une dernière fois, le temps de faire ses adieux dignement. Beale promet de s’excuser pour son coup d’éclat. Mais une fois à l’antenne, il se lance dans une tirade dans laquelle il dit sans détour tout le mal qu’il pense de la vie et de la société. Ce nouveau scandale fait s’envoler l’audience du journal qui devient alors le centre de l’attention médiatique. Sur les conseils de Diana Christensen (Faye Dunaway), une jeune et ambitieuse responsable des programmes, UBS décide alors de tirer parti de la nouvelle popularité d’Howard Beale en annulant son éviction. Bien qu’il soit de plus en plus illuminé, il se voit même confier une émission dans laquelle il sera un « prophète en colère dénonçant les hypocrisies de notre époque ».
Parallèlement à ces événements, UBS subit un vaste plan de restructuration mené par l’impitoyable Frank Hackett (Robert Duvall), le représentant du groupe financier qui possède la chaîne.
Le film s’intéresse aux différentes réactions que suscite le « phénomène Howard Beale » parmi les journalistes et la direction d’UBS. Il met en question le sensationnalisme dans le journalisme, la hiérarchie de l’information, le modèle économique et le régime de propriété des médias dominants et leurs conséquences (culte du profit et de l’audimat, financiarisation, introduction de biais favorables aux puissances d’argent dans le traitement des sujets, etc.) Ce faisant, Sidney Lumet et le scénariste Paddy Chayefsky proposent une réflexion critique sur le fonctionnement et le pouvoir de la télévision. Network traite même des effets pervers d’une certaine forme de médiatisation sur le militantisme politique.
Network est habituellement présenté comme une satire. Or les auteurs s’en sont défendus : « Les gens ont toujours dit de ce film, “Oh, quelle brillante satire”, et Paddy et moi avons la même réponse. Nous disons, “Ce n’est pas une satire ; c’est un reportage.” [3] » Network a été conçu pour susciter un débat public et provoquer une prise de conscience sur une question que le cinéma aborde trop souvent de façon marginale et très inégalement critique.
Comme dans Serpico (1974) ou Le Prince de New York (1982), Sidney Lumet s’est aussi intéressé avec Network au mécanisme de la corruption. À ce sujet, voici ce qu’il dit dans Faire un film, un livre qu’il a consacré à son approche concrète du cinéma : « La télévision ne corrompt pas les personnes ; ce sont des personnes qui corrompent d’autres personnes. [4] » Même si la charge contre la télévision est franche, Lumet n’apporte pas de certitudes rigides qui seraient finalement peu éclairantes, il montre – en s’en inquiétant, il est vrai – les effets que le système médiatique dominant produit à la fois sur ceux qui en font partie et sur ceux qui y sont exposés.
Près de trente-cinq ans après sa sortie, Network, que l’on souscrive ou non à la totalité de son propos, reste une référence en matière de critique des médias au cinéma. Sidney Lumet aurait pu revendiquer ce jugement d’Arthur Penn, un cinéaste dont il était proche et qui a eu un parcours similaire au sien : « Ce qui m’ennuie le plus, dans le nouveau cinéma, c’est qu’il ne se soucie aucunement du contexte social, il n’existe pas dans un contexte, il n’est situé ni dans un pays ni dans une époque, et ce n’est pas un bien. Un médium aussi important et populaire que le cinéma devrait se sentir davantage responsable d’une culture. [5] » Ce jugement peut paraître sévère et on peut légitimement souhaiter le nuancer [6]. Mais néanmoins il sonne et vise juste.
Laurent Dauré (avec Ricar pour la mise en forme de l’extrait du film)
Fiche technique du film :
NETWORK, MAIN BASSE SUR LA TV (Network) - 1976 (1977 en France) / États-Unis / Metro-Goldwyn-Mayer et United Artists / 121’ / Drame
Réalisation : Sidney Lumet - Scénario : Paddy Chayefsky - Photographie : Owen Roizman - Montage : Alan Heim - Musique : Elliot Lawrence - Distribution : Faye Dunaway (Diana Christensen), William Holden (Max Schumacher), Peter Finch (Howard Beale), Robert Duvall (Frank Hackett), Wesley Addy (Nelson Chaney), Marlene Warfield (Laureen Hobbs), Ned Beatty (Arthur Jensen), Beatrice Straight (Louise Schumacher)...
Network est disponible en DVD.