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Une critique des médias au cinéma : Network de Sidney Lumet (avec un extrait)

par Laurent Dauré,

C’est à New York, sa ville de prédilection, que le réalisateur Sidney Lumet est mort le 9 avril 2011 à l’âge de 86 ans. Fort d’une solide expérience acquise au théâtre et la télévision, Lumet avait fait ses débuts au cinéma en 1957 avec 12 hommes en colère. Parmi une filmographie riche d’une quarantaine de films (avec notamment Serpico, Un après-midi de chien, Le Prince de New York), on trouve une œuvre qui nous concerne plus particulièrement ici : Network. Sorti en France en 1977 [1] sous le titre Network, main basse sur la TV, c’est l’un des trop rares films de fiction à se livrer frontalement à une critique des médias [2].

En tant que cinéaste, Sidney Lumet s’est souvent intéressé aux institutions de son pays ; il s’est penché sur les rouages du monde de la justice, de la police et aussi, donc, des médias. Il utilise la figure de l’intrus dans ses études de mœurs. Le dérèglement que cause l’apparition d’un élément dissident au sein d’un groupe social lui permet de mettre en évidence les jeux de pouvoir qui interviennent entre ses membres et le fonctionnement du milieu étudié. C’est le cas avec Network.

Au début du film, Howard Beale (Peter Finch), présentateur du journal du soir sur la chaîne UBS depuis de nombreuses années, apprend qu’on ne veut plus de lui, pour cause d’audience sur le déclin. Le lendemain, il annonce à l’antenne qu’il se tirera une balle dans la tête en direct dans une prochaine édition. Suite à cet incident, UBS riposte en le congédiant immédiatement. Mais après l’intervention de son meilleur ami et collègue, Max Schumacher (William Holden), la chaîne le laisse revenir une dernière fois, le temps de faire ses adieux dignement. Beale promet de s’excuser pour son coup d’éclat. Mais une fois à l’antenne, il se lance dans une tirade dans laquelle il dit sans détour tout le mal qu’il pense de la vie et de la société. Ce nouveau scandale fait s’envoler l’audience du journal qui devient alors le centre de l’attention médiatique. Sur les conseils de Diana Christensen (Faye Dunaway), une jeune et ambitieuse responsable des programmes, UBS décide alors de tirer parti de la nouvelle popularité d’Howard Beale en annulant son éviction. Bien qu’il soit de plus en plus illuminé, il se voit même confier une émission dans laquelle il sera un « prophète en colère dénonçant les hypocrisies de notre époque ».

Parallèlement à ces événements, UBS subit un vaste plan de restructuration mené par l’impitoyable Frank Hackett (Robert Duvall), le représentant du groupe financier qui possède la chaîne.

Le film s’intéresse aux différentes réactions que suscite le « phénomène Howard Beale » parmi les journalistes et la direction d’UBS. Il met en question le sensationnalisme dans le journalisme, la hiérarchie de l’information, le modèle économique et le régime de propriété des médias dominants et leurs conséquences (culte du profit et de l’audimat, financiarisation, introduction de biais favorables aux puissances d’argent dans le traitement des sujets, etc.) Ce faisant, Sidney Lumet et le scénariste Paddy Chayefsky proposent une réflexion critique sur le fonctionnement et le pouvoir de la télévision. Network traite même des effets pervers d’une certaine forme de médiatisation sur le militantisme politique.

Network est habituellement présenté comme une satire. Or les auteurs s’en sont défendus : « Les gens ont toujours dit de ce film, “Oh, quelle brillante satire”, et Paddy et moi avons la même réponse. Nous disons, “Ce n’est pas une satire ; c’est un reportage.” [3]  » Network a été conçu pour susciter un débat public et provoquer une prise de conscience sur une question que le cinéma aborde trop souvent de façon marginale et très inégalement critique.

Comme dans Serpico (1974) ou Le Prince de New York (1982), Sidney Lumet s’est aussi intéressé avec Network au mécanisme de la corruption. À ce sujet, voici ce qu’il dit dans Faire un film, un livre qu’il a consacré à son approche concrète du cinéma : « La télévision ne corrompt pas les personnes ; ce sont des personnes qui corrompent d’autres personnes.  [4] » Même si la charge contre la télévision est franche, Lumet n’apporte pas de certitudes rigides qui seraient finalement peu éclairantes, il montre – en s’en inquiétant, il est vrai – les effets que le système médiatique dominant produit à la fois sur ceux qui en font partie et sur ceux qui y sont exposés.

Près de trente-cinq ans après sa sortie, Network, que l’on souscrive ou non à la totalité de son propos, reste une référence en matière de critique des médias au cinéma. Sidney Lumet aurait pu revendiquer ce jugement d’Arthur Penn, un cinéaste dont il était proche et qui a eu un parcours similaire au sien : « Ce qui m’ennuie le plus, dans le nouveau cinéma, c’est qu’il ne se soucie aucunement du contexte social, il n’existe pas dans un contexte, il n’est situé ni dans un pays ni dans une époque, et ce n’est pas un bien. Un médium aussi important et populaire que le cinéma devrait se sentir davantage responsable d’une culture. [5] » Ce jugement peut paraître sévère et on peut légitimement souhaiter le nuancer [6]. Mais néanmoins il sonne et vise juste.

Laurent Dauré (avec Ricar pour la mise en forme de l’extrait du film)


Fiche technique du film :

NETWORK, MAIN BASSE SUR LA TV (Network) - 1976 (1977 en France) / États-Unis / Metro-Goldwyn-Mayer et United Artists / 121’ / Drame

Réalisation : Sidney Lumet - Scénario : Paddy Chayefsky - Photographie : Owen Roizman - Montage : Alan Heim - Musique : Elliot Lawrence - Distribution : Faye Dunaway (Diana Christensen), William Holden (Max Schumacher), Peter Finch (Howard Beale), Robert Duvall (Frank Hackett), Wesley Addy (Nelson Chaney), Marlene Warfield (Laureen Hobbs), Ned Beatty (Arthur Jensen), Beatrice Straight (Louise Schumacher)...

Network est disponible en DVD.

 
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Notes

[1Pour les autres films cités par la suite, c’est également la date de sortie en France que nous indiquerons.

[2Plus récemment, en 2000, il y a eu Révélations (The Insider) de Michael Mann. D’autres films de fiction traitent plus ou moins directement des médias et du journalisme mais la plupart se servent de l’univers des médias plutôt comme toile de fond. Il en va tout autrement dans le cinéma documentaire, où la quasi-totalité des films sur les médias relèvent de l’examen critique.

[3Sidney Lumet, dans Sidney Lumet : Interviews, Conversations with filmmakers series, Joanna E. Rapf (éd.), University Press of Mississippi, Jackson, 2006, p. 186. Les propos que nous traduisons ici ont été recueillis par Joanna E. Rapf en 2003.

[4Sidney Lumet, Making Movies, Vintage Books, New York, 1996, p. 14. Cet ouvrage très instructif sur le métier de cinéaste n’a malheureusement pas été traduit en français. [MàJ du 27/02/2017 : le livre existe désormais en français sous le titre Faire un film (Capricci, Nantes, 2016). La citation se trouve à la p. 25.].

[5Arthur Penn, dans un entretien avec Dominique Rabourdin, Cinéma 82, mars 1982. Arthur Penn a notamment réalisé Bonnie and Clyde (1968), Little Big Man (1971) et Georgia (1982) ; il est mort à New York le 28 septembre 2010 à l’âge de 88 ans.

[6Arthur Penn pensait surtout au cinéma hollywoodien et déplorait à l’époque ses évolutions récentes.

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