Des programmes de rêve
TF1 et France 2, entre autres, ont ainsi remplacé l’ensemble de leurs programmes habituels pour diffuser, en direct, la cérémonie, sans oublier l’avant-cérémonie et l’après-cérémonie.
Le vendredi 29 avril, le grand jour, TF1 ouvre à 9h30 du matin avec un documentaire de 50 minutes sur « Les coulisses du mariage princier ». Pour enchaîner ensuite avec un long, un très long direct depuis Londres, jusqu’à 15 heures. Soit pas moins de 5h30 d’antenne, à peine interrompues par le journal de 13h de Jean-Pierre Pernaut, largement consacré lui aussi à la noce (nous y reviendrons).
Service public oblige, France 2 a mis en place à peu près le même dispositif, mais en mieux : prise d’antenne à 9h15 et pas loin de… 6 heures de retransmission, elles aussi tout juste interrompues pour le JT de 13h, reporté pour cause de baisers nuptiaux, réduit à moins de 20 minutes et consacré pour un tiers à la cérémonie. Les téléspectateurs de France 2 avaient eu la chance, la veille, de suivre un documentaire intitulé « William et Kate », d’une durée d’1h40. Soit, en deux jours, au moins 7h30 (hors JT) consacrées au mariage princier.
Mais la palme revient à M6, qui a sorti le grand jeu. Suivent des extraits des programmes de la chaîne, décidément pas comme les autres, des 28 et 29 avril :
- Jeudi 28. 13h45 : « Le Prince et moi : mariage royal » (Téléfilm, 1h45) - 20h45 : « William et Kate » (Téléfilm) - 22h30 : « Kate et William : les nouveaux romantiques » (Documentaire) - 23h20 : « Mariage royal : la fièvre des préparatifs » (Documentaire) - 00h15 : « Mariages princiers » (Documentaire, 1h35) ;
- Vendredi 29. 9h : En direct de Londres - 9h40 : « Mariage royal : la fièvre des préparatifs » (Documentaire, rediffusé) - 10h30 : Direct Londres - 14h40 : « Kate et William : les nouveaux romantiques » (Documentaire, rediffusé) - 15h35 : « William et Kate » (Téléfilm, rediffusé, 1h40).
Près de 7 heures le jeudi, plus de 8 le vendredi, soit au total un joli score de 15 heures d’antenne. M6, plus performante que ses concurrentes françaises, est même plus royaliste que le roi : sauf erreur de notre part, la chaîne a, durant ces deux jours, consacré plus de programmes au mariage princier que… la BBC !
La débauche de moyens de M6 n’aura pas suffi à voler la vedette aux deux grandes chaînes : moins de 4% de part d’audience lors de la retransmission des festivités matinales, contre 30% pour TF1 et… 42% pour France 2. Soit respectivement 470.000, 3,9 et 4,9 millions de téléspectateurs. Une belle victoire pour le service public ! Service public ?
Encore ne s’agit-il que des programmes dédiés à l’un de ces grands événements dont on nous dit qu’ils font rêver. Des programmes de divertissement ou d’information divertissante, donc…
Les Journaux télévisés ont-ils, au moins, sauvé les apparences ?
Des Journaux télévisés sur (dé)mesure
Un visionnage des JT de TF1 et France 2 les 28 et 29 avril est un autre indicateur de l’attention démesurée, parfois jusqu’au grotesque, accordée à la noce.
- Sur France 2, les hostilités n’ont réellement commencé que le 28 au soir, puisqu’au 13h ce sont à peine plus de 4’25 qui sont réservées au mariage. Au 20 heures, les choses se précisent. Si le JT ouvre (bien évidemment ?) sur l’attentat de Marrakech, on nous précise dès le début que la dernière partie du journal reviendra sur le véritable sujet du jour, avec un invité exclusif en plateau : Stéphane Bern. L’attente est longue, mais finalement, au bout de 30 minutes, place à Kate et William, pour un peu plus de 7 minutes d’informations (soit le sujet le plus long, attentat excepté). L’interview de Stéphane Bern nous apprendra entre autres qu’un documentaire, auquel le spécialiste des têtes couronnées a participé, sera diffusé en deuxième partie de soirée (voir plus haut) et que le lendemain ce sont « six heures de direct », toujours en sa compagnie, qui nous attendent.
Sur France 2, toujours, le JT de 13h du lendemain – jour des noces –, décalé en raison de la cérémonie, accorde près d’un tiers de son temps au mariage, alors qu’il a déjà été considérablement amputé (moins de 20 minutes), pour faire de la place au mariage en direct. Après 13 minutes d’informations « générales », suffisantes pour rappeler qu’il se passe deux ou trois (autres) choses dans le monde, on en revient à l’essentiel : un « résumé de la matinée » de près de 6 minutes est offert au téléspectateur. Le soir, au 20h, le résumé sera plus long. Comme de juste l’inévitable Stéphane Bern est à nouveau en plateau. Le journal ouvre sur la noce, et France 2 nous propose 8 minutes d’images et commentaires divers. Avant de passer au « reste de l’actualité »… pour revenir au mariage en fin de journal, pendant… 13 minutes ! Soit 21 minutes sur Kate et William, plus de la moitié du journal. Qui dit mieux ?
- Et sur TF1 ? Sur l’ensemble des JT, la chaîne privée l’emporte sur la chaîne publique. Un vrai triomphe... Voici une liste du temps et du nombre de sujets consacrés au mariage princier par les JT de la chaîne Bouygues. Nous y avons ajouté les titres des « reportages », tels qu’ils sont proposés sur le site de TF1 à toute personne souhaitant revoir les JT de la chaîne. Certains valent le détour…
Jeudi 28 avril, 13h. Trois sujets dont les titres disent toute la portée informative : « Mariage princier : l’Auvergne derrière sa télé » ; « Quand Londres se transforme en camping » ; « Mariage princier : un sacré business ». Soit un total de 6 minutes, pendant lesquelles le business sacré de la chaîne Bouygues qui marie l’information (royale) et le profit ne sera pas évoqué.
Jeudi 28 avril, 20h. Huit sujets dont les titres sont à la mesure de la gravité de l’événement : « Kate Middleton à l’hôtel » ; « Mariage royal : la fièvre monte » ; « Mariage royal : Kate aura-t-elle une robe à manches longues ? » (la fièvre serait-elle trop montée ?) ; « Londres, centre du monde pour une journée » ; « Mariage royal : il y aura du faste, c’est promis » ; « Mariage royal : une nouvelle vie attend Kate Middleton » ; « Mariage royal : Diana, la grande absente » ; « Mariage royal : les Français aussi sont fans ». Soit, entre autres, sur un total de plus de 12 minutes, un scoop (Lady Di n’assistera pas au mariage), et un grand absent : le sondage selon lequel les Anglais seraient 70% à ne pas s’intéresser à l’événement planétaire. Qu’importe : « les Français aussi sont fans ». Méthode Coué ?
Vendredi 29 avril, 13h. Le mariage n’est abordé qu’au bout de 11 longues minutes - il est vrai que le JT est intercalé entre la cérémonie du mariage et ses suites. 10 sujets : « Kate et William : un "yes" dans la liesse » ; « Le même carrosse que Charles et Diana » ; « La fierté dans le village des Middleton » ; « Une foule aux premières loges » ; « Nous sommes tellement fiers d’être britanniques » ; « Un défilé de jolies tenues » ; « Les Anglais de Bretagne n’ont rien loupé du mariage » ; « Azincourt, le village français le plus connu des Anglais » ; « Les retraités fans du mariage » ; « Dans l’attente du baiser ». Soit un total de plus de 17 minutes. C’est beaucoup. Mais ce n’est pas encore assez...
Vendredi 29 avril, 20h. 12 sujets : « Les grands moments du mariage en images » ; « Mariage royal : sur la pointe des pieds pour ne rien rater » ; « La robe de Kate dans la tradition des grands mariages britanniques » ; « Mariage royal : et maintenant, la soirée à Buckingham » ; « Mariage royal : Kate et William, portraits croisés » ; « Mariage royal : 5.500 fêtes de quartiers organisées pour l’occasion » ; « Mariage royal : la fierté du village natal de Kate Middleton » ; « Mariage royal : le monde entier a les yeux rivés sur Londres » ; « Mariage royal : insolite » ; « Mariage royal : la dentelle de la robe de Kate conçue en France » ; « Mariage royal : en France, on n’a pas perdu une miette de la cérémonie » ; « Mariage royal : un vent de modernité ». À quoi il convient d’ajouter un bref résumé (de plus de 5 minutes) en fin de journal, sans doute à l’attention de ceux qui auraient raté le résumé du début, lui-même destiné à tous ceux qui auraient raté un « grand moment » de la cérémonie elle-même. Pour un total final de plus de… 28 minutes ! De quoi rendre légitimement jaloux France 2.
Le nombre et la durée des sujets, les angles astucieux et les thématiques incontournables, donnent une idée de l’overdose princière qui guettait tous ceux qui croyaient pouvoir s’informer malgré les noces de Kate et William. Car selon le principe aggravé des vases communicants – le mariage réduisant les JT, eux-mêmes principalement consacrés au « mariage royal » –, la place accordée à ce dernier s’est faite au détriment du reste d’une actualité moins insignifiante. Un exemple ? Un exemple. Sauf erreur ou omission de notre part, un seul sujet a été consacré aux événements de Syrie dans les JT de 13h et 20h de TF1 et de France 2 les 28 et 29 avril : un « reportage » de… 45 secondes lors du JT de France 2 le 29 au soir. Des centaines de morts au cours des dernières semaines, dont au moins 62 le 29 avril au cours d’une journée de manifestation prévue depuis plusieurs jours et donc, théoriquement, médiatisable. Mais sans doute moins digne d’intérêt. Et en tout cas beaucoup moins glamour.
Il a fallu attendre le 1er mai pour que France2 reprenne la main et, tandis que TF1 diffusait ses programmes habituels, nous offre en direct les cérémonies de béatification de Jean Paul II.
Béatification du pape et « mariage du siècle » : deux grands moments de divertissement laïc et républicain que nous ont offerts, en direct et en différé, nos grands médias audiovisuels, soutenus par la presse imprimée et la plupart de ses annexes en ligne.
Non pas au titre des chroniques et émissions religieuses ou des fêtes patrimoniales et nationales ou dans le but de faire droit à la diversité cultuelle et culturelle, mais comme priorités éditoriales : dévorant les « Unes » imprimées, les bulletins d’informations radiophoniques, les journaux télévisés et diffusant d’indigestes bouillons de croyances, catholiques et monarchiques, sans la moindre contrepartie.
Julien Salingue (Avec Olivier Poche et Henri Maler)
Annexe : quelques perles et joyaux glanés ça et là
Journalisme planétaire au Grand journal de Canal…
Vendredi 29 avril, le Grand journal décide de consacrer sa première partie à la noce. Une discussion qui donne lieu à des échanges passionnants et à quelques moments d’anthologie. Extraits :
Michel Denisot perd la notion du temps : « C’est l’événement planétaire de l’année, en tout cas de la journée, le mariage du siècle ». Et comme l’infiniment grand voisine l’infiniment petit, Ariane Massenet et Ali Baddou se joignent à lui pour célébrer les détails. À l’écran, on voit le père de Kate Middleton donner la main de sa fille à William. Et tout se précipite :
Michel Denisot : « Bon bah voilà, c’est fait, c’est quand même le geste le plus important de la journée ».
- Ariane Massenet l’interrompt : « Non non, c’est quand il va pas réussir à mettre l’alliance, il va être obligé de pousser un peu ».
- Ali Baddou s’y met : « Ça a été le seul petit problème, le petit grain de sable… »
- Ariane Massenet l’interrompt : « Absolument. Le seul petit couac. Sur l’alliance. Absolument ». Et alors que l’on voit à l’image le « couac » qui l’a tant émue, Ariane Massenet commente : « Allez, pousse, pousse… ».
Jean-Michel Aphatie est, lui aussi, atteint par la fièvre princière. Ce qui nous vaut les échanges suivants :
- Jean-Michel Aphatie : « Si dans l’histoire, la famille royale en Angleterre n’a pas failli, elle se trouve encore là ».
- Ali Baddou : « Comment ça, pas failli ? ».
- Jean-Michel Aphatie : « Euh, elle n’a pas commis d’erreur historique ».
- Christophe Barbier : « Richard III un peu, mais c’était pas la même famille ».
- Jean-Michel Aphatie : « Non non non. Mais à partir du moment où les républiques s’installent, c’est-à-dire XVIIIe, XIXe siècle, la famille royale gère les choses correctement, la guerre mondiale elle la passe remarquablement bien… »
- Ali Baddou : « Enfin ils ont failli avoir un roi qui soutenait Hitler… »
- Jean-Michel Aphatie : « Oui mais ils l’ont pas eu. Ils l’ont pas eu et en 40 les royaux sont restés à Londres, sous les bombes, donc je pense quand même que si cette famille est restée c’est pas tout à fait illégitime. Que ça nous paraisse aujourd’hui anachronique, bien sûr, mais c’est l’histoire des Anglais. Vous savez les Anglais ils se foutent de nous, et c’est pas plus légitime, donc on va pas se foutre d’eux, y’a pas de raison. Et c’était assez beau, c’était assez émouvant, c’était, voilà, on a suffisamment de catastrophes… ».
… Et sur France 5
Mais les journalistes du Grand journal ont un sérieux rival : Yves Calvi, journaliste politique lui aussi. Comme Jean-Michel Aphatie… L’émission « C dans l’air » du jeudi 28 avril était elle aussi consacrée au mariage. Un débat de haute volée, à l’image du lancement d’Yves Calvi : « Vous savez qu’on parle de deux milliards possibles de téléspectateurs, c’est-à-dire si d’une façon ou d’une autre nous avons besoin de rêver et peut-être aussi de jouer à la poupée. Voilà pourquoi nous avons intitulé cette émission “Londres : Ken et Barbie se marient” ».
Le Monde, un quotidien de révérence
Le Monde, journal sérieux, n’a pas résisté à la tentation royale, avec :
- Un dossier spécial sur internet :
Chacun aura noté les titres alléchants dans la colonne de droite : « Le mariage est-il écolo ? » ; « De la bague à la calèche, tout savoir sur le mariage royal ». No comment…
- La retransmission de la cérémonie en direct depuis le site internet du quotidien :
Le Figaro, un sacré canard !
Le 29 avril, on a pu lire sur le site du Figaro un article titré : « Les canards étaient à la fête à Buckleberry », reportage de terrain réalisé à l’occasion d’une des multiples « fêtes de quartiers » organisées lors de la noce. Extrait : « À 9 h 30, le stand abritant les fûts de bière a ouvert, et la troupe est aussitôt partie se désaltérer. Sous la tente d’à côté, on a commencé à découper un cochon rôti. La première course de canards a alors débuté. Il y avait cinq concurrents, chacun arborant une couleur différente, le petit ruban les différenciant étant vendu 20 livres. On pouvait évidemment parier. Patricia Ford, une Londonienne de 75 ans jouant la reine - robe blanche d’apparat, tiare en toc, étole de fausse hermine, gants blancs - a donné le départ de cette course qui dura moins d’une minute et fut remportée par le canard aux couleurs orange ». No comment (bis).
La presse quotidienne régionale est plurielle, surtout en Normandie
Le Courrier picard, une proximité... royale !
À suivre...