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La crise belge vue par les médias

par Daniel Zamora,

Pour le lecteur français, la « crise » belge est un casse-tête dont le sens dépasse largement les infos que l’on peut glaner dans la presse. Cependant, est-ce bien la complexité de la crise qui rend sa compréhension impossible ? Ou plutôt la manière dont en parlent les médias ?

Cet article ne visera pas à revenir sur les raisons de cette crise. Après plus de 300 jours sans gouvernement, et une crise qui dépasse largement ce cadre (on pourrait remonter facilement à 2007), il serait difficile d’en expliquer clairement les fondements en quelques lignes. Cependant, son traitement médiatique nous offre l’occasion de revenir sur certaines de ses caractéristiques fondamentales souvent mises de côté par les éditorialistes et les « experts ».

Une crise ? Quelle crise ?

Aujourd’hui, la grande majorité des médias et des analyses sur la situation belge parlent d’une « crise institutionnelle  », d’une « crise communautaire », d’un « conflit entre flamands et francophones  ». On peut ainsi lire ces termes dans l’ensemble de la presse belge, mais également française et internationale. L’immense majorité des médias traduisent cette crise comme un conflit linguistique et institutionnel (autour d’une réforme de l’État) entre flamands et francophones.

À la lecture de la presse, il existerait deux « Belgiques » : celle du Nord et celle du Sud. Ces deux « Belgiques », n’ayant rien en commun, c’est dans leur différences qu’il convient de chercher l’origine du conflit. [1]. Cette vision renforce ainsi l’interprétation communautarisée du problème au détriment de ses aspects sociaux et économiques largement occultés dans l’ensemble du débat public.

En ce sens, si cette dénomination pour la situation belge n’est pas totalement fausse, elle est cependant largement incomplète car elle masque les conflits sociaux sous-jacents et notamment une opposition entre le patronat et l’ensemble du monde du travail belge. En effet, bien qu’en apparence bloquée dans une crise d’une « réforme institutionnelle », la Belgique est loin d’être un îlot isolé des plans d’austérité et de la crise économique qui touche aujourd’hui toute l’Europe. Si l’on aime présenter une Belgique « divisée » et se questionner sur ses identités régionales, aucun média n’a pourtant relevé que les organisations syndicales, elles, sont bel et bien unitaires, et se sont largement mobilisées contre le nationalisme.

Cependant, loin d’expliquer aux citoyens les enjeux énormes d’une telle scission, la réforme institutionnelle proposée est toujours présentée comme un dossier assez technique, ou les intérêts opposent « flamands et francophones ». Le Nouvel Observateur (29 mars 2011) parle de « discussions byzantines entre Flamands et francophones », Libération (25 février 2011) de «  fracture entre Francophones et Néerlandophones », recopiant ainsi pieusement ce que disent les quotidiens belges. Les journaux belges parlent ainsi d’un accord qui devrait être « acceptable pour les francophones » [Le Soir, La Libre Belgique, La Dernière Heure,…], ne franchissant pas la « ligne rouge pour les francophones » (Le Soir, 10 janvier 2011), ou « équilibré pour les flamands » [De Morgen, De Standaart, Het Nieuwsblad,…]… Nous pourrions ainsi établir une liste sans fin du vocabulaire utilisé afin de réduire cette crise au conflit de communautés ayant des intérêts divergents.

Cette façon de transcrire ce qui se passe en Belgique est presque sans exception, aucun article dans la presse dominante n’a trouvé pertinent d’expliquer que la réforme discutée allait à l’encontre des travailleurs de l’ensemble du pays comme l’ont fait remarquer les syndicats. Très rares ont été les articles où l’on a pu lire les paroles du président du syndicat FGTB [Fédération générale du travail de Belgique] : « On nous chante sur tous les tons qu’une sixième réforme de l’État est absolument nécessaire. Que les régions ont besoin d’autonomie fiscale. Mais quel est le véritable agenda de Bart De Wever et consorts ? C’est le démantèlement de notre modèle social. […] Et cela, la FGTB ne peut l’accepter  ».

Or, en reproduisant constamment une vision « communautarisée » du conflit, les médias participent activement à l’occultation de son aspect social et du mouvement qui se construit.

Flamands nationalistes contre Wallons socialistes ?

Reste l’idée bien implantée selon laquelle le Nord est « de droite » et « nationaliste », et le Sud est plutôt « de gauche » et « social »… Les demandes séparatistes ne seraient que « flamandes ». On pouvait ainsi lire dans Le Nouvel Observateur que « cette dérive nationaliste et extrémiste de la Flandre affole et hérisse Bruxelles et la Wallonie, les deux régions francophones où la gauche est majoritaire et l’extrême droite inexistante » (25 février 2011). Dans le Monde du 27 janvier 2011, on parle de « radicalisation de l’opinion flamande » et du « succès du courant nationaliste ou indépendantiste. » Parallèlement au refus de «  la plupart des francophones  » concernant les grandes réformes de l’État. Libération (10 février 2011) écrit qu’« aucun accord de majorité n’a été trouvé entre les Néerlandophones (entre 55% et 60% de la population), travaillés par des velléités indépendantistes, et la minorité francophone, attachée à l’unité belge. » Idem pour le Figaro (23 janvier 2011) qui fait dans l’originalité : « Les Flamands (60% des quelque 11 millions de Belges) réclament une autonomie nettement renforcée pour leur région septentrionale, notamment dans le domaine fiscal et social. Les francophones cherchent à limiter cette décentralisation de crainte de perdre les transferts financiers qu’ils perçoivent de la Flandre et parce qu’ils y voient le début de l’éclatement du pays. » Cette manière de dépeindre les communautés repose essentiellement sur des stéréotypes et ne correspond pas vraiment à la réalité.

Ainsi, la presse, est souvent dans un discours qui semble réduire la crise Belge à une crise communautaire et linguistique sans parler des conflits sociaux sortant totalement du cadre linguistique.. Jean Quatremer de Libération (29 mars 2011) s’aventure ainsi à poser une question sortant des sentiers battus : «  Reste une question que personne n’ose poser : est-ce l’intérêt des Francophones d’assister à cette lente agonie de la Belgique ? »

Ainsi, aucun média n’ose poser cette autre question : La logique de division n’est-elle pas contre l’intérêt de l’ensemble les travailleurs belges ? Contre l’intérêt des travailleurs francophones, néerlandophones, germanophones,… Cette question, est totalement absente du traitement médiatique de la question communautaire en Belgique.

Le politologue Dave Sinardet de l’Université d’Anvers avait ainsi répété de nombreuses fois que « toutes les études sur le comportement électoral des Flamands montrent que le communautaire est au bas de leurs priorités. Et que les séparatistes ne représentent que 10 % de la population flamande.  » Ainsi, ni en Wallonie, ni en Flandre, la majorité de la population ne veut du scénario séparatiste. Mais les éditorialistes aiment enfermer le débat dans un cadre communautaire évacuant tout autre clivage permettant de poser d’autres questions, des questions qui fâchent. « L’opinion publique » flamande ou francophone est de ce point de vue une construction médiatique permettant plus que jamais de problématiser et de définir les termes du débat.

Des mouvements « belgicains » ?

Le traitement médiatique et politique des nombreuses manifestations citoyennes unitaires contre le séparatisme est également à souligner. Ainsi, la grande manifestation « SHAME » du 23 janvier à Bruxelles ayant mobilisé entre 30.000 et 45.000 personnes (évènement assez rare en Belgique) est révélateur d’un certain déni du versant social et progressiste du mouvement. Le principal quotidien francophone (Le Soir) s’empressa de réaliser une enquête pour connaître la composition linguistique de la manifestation. Ainsi, on y apprenait assez naturellement qu’il y avait plus de francophones que de néerlandophones (résultat logique puisque Bruxelles est une ville majoritairement francophone). Cependant, ce type de « résultats » ne sert évidemment que les partis nationalistes du nord du pays s’offrant une occasion unique de discréditer une forte mobilisation car étant «  essentiellement francophone  ».

Cette manifestation, comme tous les autres mouvements depuis le début de l’année (notamment étudiants), sont également présentés comme apolitiques, « pour » la Belgique, c’est-à-dire « belgicains ». Ainsi, le mouvement lancé par les étudiants de tout le pays est présenté très platement par les médias français. Le Nouvel Observateur (29 mars 2011) - comme la plupart des autres médias - s’extasie sur le surréalisme et les « frites » : « En Belgique, où le surréalisme fait toujours florès, certains avaient "célébré" dès le 17 février le franchissement de la barre symbolique des 249 jours en organisant une "révolution de la frite" au cours de laquelle des dégustations du célèbre plat national avaient rassemblé plus de 5.000 personnes aux quatre coins du pays. »

Or loin de « célébrer » le record, des étudiants de tout le pays se sont mobilisés pour protester contre la situation actuelle et pour mettre en avant des revendications bien peu relayées par les médias. Loin d’avoir fidèlement expliqué le pourquoi des mobilisations, les médias ont avant tout photographié les drapeaux belges et des étudiants mangeant des frites.

TF1 brille particulièrement en la matière puisque son reportage diffusé dans le JT du 17 février 2011, reproduit tous les lieux communs éculés sur les Belges sans même dire un mot du fond politique des mouvements étudiants : « Surréalisme », « Frites », « Humour »,… Mais où sont passées les revendications ? Disparues évidemment…. « Aucun vrai mouvement de fond » déclare la « reporter » de TF1 très sûre d’elle. Peut-être aurait-elle du écouter le discours des organisateurs, ou lire les grandes banderoles affichant clairement les revendications politiques… Mais il est évidemment plus simple de conserver l’image du belge bon vivant dévorant ses frites plutôt que mobilisé et surtout politisé.

Pourtant, le mouvement était loin de se résumer à un cornet de frites. Les étudiants flamands et francophones réclamaient le maintien d’une sécurité sociale fédérale, le refinancement de l’enseignement à 7% du PIB, l’investissement sérieux dans le bilinguisme,… Cette « voix », s’est faite entendre autant en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles, par des appels et actions du monde artistique, scientifique et syndical. Une « voix » manifestant une volonté de défendre les grands acquis sociaux du mouvement ouvrier belge… et peu relayée par les médias.

Le mouvement « s’effrite »…

Depuis la deuxième grande mobilisation, un nouveau mot d’ordre sévit : le mouvement perd du terrain ! On peut ainsi lire dans Le Nouvel Observateur [29 mars 2011] : « De nouvelles distributions de frites et des concerts sont au programme, mais le cœur ne semble plus y être, l’appel à manifester ayant cette fois été peu relayé par la presse et sur les réseaux sociaux. […] Dans un climat morose que tenteront d’égayer des distributions gratuites de frites dans les villes universitaires  ». Ou dans Libération [17 février 2011] : « Le pari a largement échoué : seuls quelques centaines de jeunes se sont déplacés pour dénoncer le nationalisme flamingant... » Le correspondant de Libération, Jean Quatremer écrivait déjà lors de la première mobilisation «  Une révolution de la frite qui fait pschiiiiiiiiittttttttt  ». La presse belge ne fait évidemment pas exception à la règle. Le Soir titrant « les frites font moins recette » expliquant la perte de vitesse par rapport au début du mouvement. Le journal télévisé belge de la RTBF [29 mars 2011] était également très doué en la matière puisqu’il parle de « succès mitigé », « le mouvement à l’air de s’effriter », « il y a moins de monde qu’attendu  », « résultat moyen », « plutôt clairsemé ». Le reporter se permet de conclure ainsi : « les étudiants ont promis de continuer le combat après les vacances de Pâques. Avec quel succès ? Ça, on verra ! ». Pourtant le mouvement est assez exceptionnel et plutôt étonnant dans les universités belges. Loin de tout pessimisme, du côté de la plate-forme étudiante le mouvement est plutôt vu comme une réussite.

Cependant, un rapide passage en revue des journaux précédents nous indique que ce pessimisme médiatique n’est pas vraiment nouveau. Ainsi, début janvier au début de la constitution de la plate-forme étudiante, des « spécialistes » analysaient qu’ils « ne croyaient pas à la naissance d’un mouvement social durable  », que « personnellement j’ai des doutes sur leurs succès car je ne vois pas en quoi ces mouvements parviendraient à capter l’attention de la population  ». Ou encore « ce n’est pas encore suffisamment dramatique pour descendre dans la rue  » [Le Soir, 12 janvier 2011]. Dix jours après, plus de 40.000 personnes, y étaient, dans la rue !

Outre ces commentaires défaitistes, on n’oubliera pas les nombreux qualificatifs pour caractériser les citoyens mobilisés de « simplistes », ou de « récupération populiste », … Bref, les experts belges font aussi bien que leurs confrères français pour délégitimer toute implication de la « plèbe » dans la politique.

Daniel Zamora

 
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Notes

[1À ce sujet, même le supplément au Monde Diplomatique de décembre 2010 dépeint l’image d’une Flandre à l’identité « flamingante » et plutôt nationaliste et une Wallonie plutôt « socialiste » laissant transparaître l’idée d’un conflit de communautés, d’identités.

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