I. Personnalisation politique et personnalisation médiatique.
Quels rapports des intellectuels, des syndicats, des associations, des formations politiques peuvent-ils entretenir avec les médias sans leur être totalement subordonnés ?
… Sans les considérer comme des instruments socialement et politiquement neutres ?
… Sans renoncer à toute critique des médias dominants, et en particulier à toute critique des médias dans les médias ?
… Sans réduire la question des médias à une question subalterne alors qu’elle requiert des propositions pour leur transformation qui ne peuvent vivre sans contestation ?
Nous n’avons cessé de poser ces questions depuis la fondation d’Acrimed, comme on peut le vérifier en suivant cette note [1].
Non pour prescrire à quiconque un quelconque comportement, mais pour interpeller, par une analyse du champ de bataille, tous qui ceux se laissent instrumentaliser par les médias en croyant les instrumentaliser.
Personnalisation
La personnalisation est inhérente à la fonction, même temporaire et contrôlée, de porte-parole. Elle l’est encore plus quand le porte-parole est un candidat à l’élection présidentielle. Dans tous les cas, c’est aux formations collectives durables (associations, syndicats, partis) ou plus éphémères (assemblées générales, coordinations) d’en définir les conditions et d’en fixer les limites. Mais cette personnalisation, quand elle s’exprime dans les médias (quand ce n’est pas pour eux, voire directement par eux…), devient plus ou moins captive de la personnalisation médiatique. Sur les coûts et les risques de celle-ci, une association comme la nôtre peut avoir son mot à dire.
Nous l’avions souligné en ces termes dans notre livre Tous les médias sont-ils de droite ? [2] (qui réunit les observations que nous avons effectuées lors de l’élection présidentielle de 2007) :
« Le traitement médiatique de l’élection présidentielle se coule en quelque sorte dans les institutions de la Ve République, dont le présidentialisme originaire a été accentué par l’élection au suffrage universel à deux tours et l’alignement de cette élection sur celle des députés à l’Assemblée nationale. Cette élection favorise le bipartisme et la personnalisation : deux raisons parmi d’autres de s’interroger sur son caractère effectivement démocratique, comme l’ont fait jadis tous les partis politiques de gauche, conscients que les institutions de la Ve République et ses modes de scrutin imposaient des modalités de conquête et d’exercice du pouvoir incompatibles avec un authentique projet de transformation sociale. S’il n’appartient pas à la critique des médias de se prononcer sur ce point, il est légitime de mettre en question la partition que les médias interprètent dans ce cadre. »
Autrement dit, la personnalisation institutionnelle se double d’une personnalisation médiatique qui conforte la première. Pis : cette personnalisation médiatique atteint son sommet, si l’on peut dire, avec la « peopolisation » : une promotion de la vie privée des politiques qui, à l’instar de celles des « stars » du show-business et sous couvert de proximité, transforme les citoyens en consommateurs d’émotions intimes.
Personnages
Or, « peopolisation » ou pas (il arrive encore que certains responsables politiques tentent de s’en préserver…), la personnalisation médiatique repose sur la construction d’un personnage médiatique, souvent avec le concours de porte-paroles, de responsables ou de candidats qui élaborent, à leur façon, un personnage pour médias. Mais, à grands renforts de portraits, de reportages, d’entretiens, de commentaires et de stéréotypes, les médias jouent d’abord leur propre partition dans la construction de ces personnages : des personnages médiatiques, créatures qui échappent à leurs créateurs quand ceux-ci sont les porte-paroles eux-mêmes et leur entourage ; créatures offertes en pâture à l’admiration ou à la détestation des publics qui, aussi militants soient-ils, sont invités à les consommer [3].
Au point que nombre de journalistes eux-mêmes confondent le personnage médiatique que les médias contribuent à créer avec l’original dissimulé derrière sa copie déformée, voire sa caricature. José Bové, porte-parole légitime de la Confédération paysanne, devient ainsi « Le paysan-du-Larzac-à-moustaches-qui-fume-la-pipe-et-démonte-les-McDo », et Olivier Besancenot « Le facteur-de-Neuilly-qui-circule-à-bicyclette-et-soutient-les-violences-ouvrières ». [4]
Pis : le personnage médiatique ainsi construit, déconnecté du collectif qu’il représente et des positions qu’il défend, peut faire l’objet d’une déconstruction, par certains médias, de ce qu’ils ont eux-mêmes produit…
José Bové, par exemple, avait déjà fait les frais de telles tentatives, comme on pouvait le lire ici même en 2002 (« Démontage médiatique d’un mythe médiatiquement (pré) fabriqué » et « Canal + et José Bové : de la boue cryptée »). Récemment encore, on a pu voir Jean-Luc Mélenchon être enfermé dans le rôle du « populiste-dévoreur-des-journalistes », pour le plus grand plaisir de certains intervieweurs qui viennent le « chercher », pour s’offusquer ensuite de ses réactions (voir « Jean-Luc Mélenchon, invité dans la salle d’interrogatoire de Nicolas Demorand »). Olivier Besancenot, rivé à son personnage médiatique, a fait l’objet lui aussi l’objet de telles tentatives, comme le montre tel portrait diffusé sur France 2 en 2006 (« Un portrait médiatique d’Olivier Besancenot en personnage médiatique »).
Les deux versants du processus produisent les mêmes effets : personnalisation du politique et dépolitisation des personnalités et, pour finir, dépolitisation de la politique elle-même.
… Comme permet de le vérifier la réception médiatique de la lettre d’Olivier Besancenot.
II. Personnalisation et dépolitisation d’une décision
Le risque d’une personnalisation excessive et, à ses yeux, dommageable : tel est donc le principal motif invoqué par Olivier Besancenot pour justifier sa décision. Or, quoi que l’on pense de ce motif et de la décision elle-même, force est de constater que leur médiatisation permet de vérifier de façon quasi expérimentale comment la plupart des médias, à de rares exceptions près [5], conjuguent personnalisation et dépolitisation.
Le « facteur de Neuilly » a décidé…
Lorsque la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) décide, en 2002, de présenter un jeune postier à l’élection présidentielle, c’est le personnage social de Besancenot qu’elle met en avant, comme en témoignent alors les affiches : « Olivier Besancenot, 27 ans, facteur ». Ce personnage social est présenté du même coup comme un personnage pour médias, dont les médias s’emparent et qu’ils transforment à leur gré pour construire, au fil des interventions et des reportages, le personnage médiatique d’Olivier Besancenot. La médiatisation intensive d’« Olivier Besancenot, 27 ans, facteur » (dans des conditions discutables, qui méritent un bilan sur lequel nous reviendrons) a contribué à la construction de ce personnage médiatique : le personnage pour médias est devenu le personnage des médias [6]. On n’en finirait pas, en effet, de dénombrer les présentations et les images du facteur en tournée à Neuilly. On ne sera donc pas surpris que la médiatisation de la décision d’Olivier Besancenot présente celle-ci comme l’émanation de son personnage médiatique : « le facteur de Neuilly ».
La longue dépêche de l’AFP consacrée à la nouvelle donne le ton : « Dans une lettre envoyée aux militants, le facteur de Neuilly, 37 ans, "assume" ». « Le facteur de Neuilly ne défendra pas les couleurs du NPA lors de la prochaine présidentielle », annonce Le Parisien. « "Une décision politique que j’assume", assure le facteur de Neuilly », ajoute France-Soir. « Le célèbre facteur de Neuilly-sur-Seine a choisi d’annoncer son retrait de la course à la présidentielle de 2012 », complète 20 minutes. L’Humanité évoque « le facteur de Neuilly, devenu la figure de proue de la gauche radicale ». Dans cette course à la concurrence mimétique, Libération, c’est son rôle, introduit sa touche d’« originalité » en évoquant « le préposé de la Poste, adepte de la bicyclette pour sa tournée de Neuilly-sur-Seine ».
Les journaux télévisés insistent. Au cours du « 19/20 » de France 3, c’est par un trait d’esprit qui se veut sans doute décapant que le responsable du service politique désamorce la portée et le sens politique de l’information : « Devinez quoi ? C’est bien sûr par une lettre aux militants que le facteur le plus célèbre de France annonce sa décision ». Nous l’avons dit, l’annonce a été faite par mail. Mais chacun reconnaîtra que le jeu de mots eût alors été nettement moins savoureux… Au 20 heures de France 2, un sujet est consacré à la nouvelle. Et, miracle de l’image, dès l’annonce des titres du journal :
Ainsi l’annonce de la non-candidature d’Olivier Besancenot aura été l’occasion de nous resservir les clichés habituels du personnage médiatique tel qu’il a été construit au cours des dix dernières années. Mais après tout, Besancenot n’est-il pas facteur ? Et n’est-ce pas la LCR elle-même qui, lors des élections de 2002, avait « annoncé la couleur » ? Certes, pour la LCR, puis pour le NPA, il s’agissait de souligner qu’Olivier Besancenot n’était pas un « politicien professionnel », mais un salarié qui revendiquait le droit d’intervenir lui aussi sur le champ politique. Mais on ne cultive pas une image impunément. Dans les médias, l’insistance sur sa profession a fini par jouer le rôle exactement inverse : il s’est agi d’assigner, en permanence, l’ex-porte-parole du NPA à son « vrai » statut social, celui de facteur qui prétend faire de la politique. Mais qui n’est pas un « vrai homme politique ». A l’image de ce titre, lu dans Libération : « L’ascension d’un amateur qui refuse de passer pro ».
Le « facteur de Neuilly » n’est pas une création récente. Depuis longtemps, ce cliché journalistique tient lieu de prise de distance critique avec le discours de Besancenot en le présentant comme un « gentil facteur » (au « visage poupin » et aux « allures de Gavroche », d’après Libération), qui officie dans une ville bourgeoise, distribuant le courrier à ceux auxquels il prétend pourtant s’attaquer. La confusion entre son lieu de travail et son lieu de résidence, entre le niveau social des habitants de la ville dans laquelle il fait ses tournées et le sien propre, entre les beaux quartiers dans lesquels il évolue et les « quartiers populaires » dont il souhaite représenter les habitants, permet ainsi de tenter de désamorcer ses revendications.
Encore ne s’agit-il là que du premier avatar d’une délégitimation et d’une dépolitisation d’autant plus insidieuses qu’elles n’interdisent pas d’affecter une certaine sympathie pour « le facteur » que sa présence à « Neuilly » rendrait inoffensif. À moins qu’il ne s’agisse de révéler une « imposture »…
Le « facteur de Neuilly » est fatigué…
Quand il arrive que la critique de la personnalisation politique soit mentionnée, elle est immédiatement… personnalisée. C’est ainsi que l’on apprend, dans le « portrait » de Libération déjà cité, « [qu’]au-delà de son engagement "révolutionnaire" et "anticapitaliste", l’originalité d’Olivier Besancenot dans le paysage politique est d’abord ce refus d’entrer dans un système qu’il combat depuis son adolescence ». Comme si ce refus était une posture strictement personnelle. Comme si le projet politique dont Olivier Besancenot fut longtemps le porte-parole, et quoi que l’on pense de celui-ci, se confondait avec Besancenot lui-même. Qu’importe dès lors d’informer – d’informer vraiment – sur les raisons proprement politiques qu’Olivier Besancenot, à tort ou à raison, met en avant…
Un pas de plus dans la personnalisation/dépolitisation est franchi quand, plutôt que de résumer – simplement de résumer… – ces raisons, la plupart des spécialistes des ressorts cachés de la vie politique évoquent uniquement la dimension strictement individuelle de la décision prise par Besancenot.
Ainsi, dans un article publié le 6 mai sur le site du Nouvel Observateur, on peut lire : « Le jeune homme n’a jamais caché qu’il n’était pas très enthousiaste pour le job. En 2002, comme en 2007, il avait traîné des pieds pour être candidat […]. Ces derniers mois, Besancenot ne cachait pas non plus son envie de faire autre chose dans le mouvement […]. Ses amis espéraient […] le convaincre d’y retourner une troisième fois. Mais le bon petit soldat montre qu’il a aussi ses limites personnelles ».
Manifestement, le « bon petit soldat » du Nouvel Observateur a aussi des limites professionnelles qui l’empêchent de découvrir dans la lettre de Besancenot d’autres motifs que ceux que « le jeune homme n’a jamais cachés ». Le Parisien du même jour évente, lui aussi, un secret qui n’en serait pas un : « La lassitude de Besancenot n’était pas un secret ». Mais se garde bien d’évoquer d’autres arguments que ceux que France-Soir a découverts : « Usure, fatigue, envie d’accorder du temps à sa famille : voici les arguments qui auraient poussé le plus médiatique des révolutionnaires à jeter cette fois l’éponge ».
Pourtant, qu’on les approuve ou non, les arguments politiques de Besancenot ne manquent pas. Il suffit de lire le mail envoyé aux militants du NPA et rendu public à peine une demi-heure après sa diffusion interne. Les journalistes l’ont lu… et la plupart d’entre eux l’ont ignoré.
On peut y lire notamment ceci :
« Il s’agit d’une décision politique assumée, […] et sans grande surprise. Il y a quelques années déjà, j’avais clairement prévenu que je ne comptais pas prendre un abonnement à l’élection présidentielle, parce que je n’aspirais pas à en être l’éternel candidat d’extrême gauche. Depuis de nombreux mois, je fais aussi partie de ceux qui mettent en garde notre parti contre les risques politiques de la personnalisation à outrance. Que les idées s’incarnent ponctuellement dans un contexte social et politique déterminé, ou qu’il faille déléguer la tâche militante de la représentation publique, par un mandat précis et limité dans le temps, est une chose. Jouer des ambiguïtés du système politique et médiatique pour se substituer à l’action militante réelle au sein de la lutte de classe, en est une autre. […] Or nous n’envisageons pas l’activité politique comme les autres partis. Ce serait aussi, à mes yeux, une contradiction intenable : nous dénonçons un système où la politique est devenue une valeur marchande d’un côté, et de l’autre, nous commencerions involontairement à nous intégrer dans le décor politique traditionnel en incrustant notre mouvement et nos idées dans la case “candidat rituel à l’élection présidentielle” de notre téléviseur. C’est risquer, à terme, de nous transformer en caricature de nous-mêmes, voire en alibi du système ».
Besancenot critique du système politique et médiatique ? Quelle ingratitude ! Comment des médias qui ont contribué à construire un personnage sympathique et dépolitisé auraient-il pu relever cette irrévérence ?
Le jeudi 5 mai, lors de son éditorial politique sur Europe 1, Claude Askolovitch a ainsi offert un numéro d’équilibriste révélateur. À ses yeux, la décision d’Olivier Besancenot serait « la décision la plus politique de toute sa carrière ». On trépigne. « Besancenot ne plaisantait pas du tout avec l’idée qu’il était un postier, un facteur ordinaire, qui entrait en politique », poursuit Askolovitch. Simple maladresse d’expression ? Rappelons simplement que Besancenot n’est pas postier en « idée », mais en réalité. La suite n’est pas moins saugrenue : « Là il sentait bien qu’il était de moins en moins légitime comme postier, il devenait un politicien professionnel, un élément du grand cirque ». Que peut bien signifier être « de moins en moins légitime comme postier » ? Pourquoi Besancenot ne voulait-il pas passer pour un politicien professionnel ? Parce qu’il le devenait, tranche Askolovitch. Mais où ça ? Dans « le grand cirque ». Bien vu ! Mais quel cirque ? On ne le saura pas. La critique de la transformation de la politique en spectacle (et l’allusion au rôle des médias dans cette transformation) est donc désamorcée. Ne reste donc que l’évocation de motivations personnelles, reformulées dans la langue d’Askolovitch : « On peut être révolutionnaire et défendre une certaine idée de la liberté individuelle, ou une éthique personnelle. Olivier Besancenot ne voulait pas […] être un moine-soldat, il rappelle donc au NPA qu’il est un parti différent des autres et qu’un individu est toujours maître de ses choix ». Après nous avoir annoncé avec fracas une « décision politique », Askolovitch se rabat sur sa dimension individuelle (aussi légitime qu’elle puisse être par ailleurs, mais dont Besancenot ne dit rien dans sa lettre). A entendre le penseur d’Europe 1, le postier-en-idée ne critique pas d’abord un système, mais une formation politique qui aurait voulu faire de lui un « moine-soldat ».
Que devient finalement la critique de la professionnalisation et de la personnalisation de l’action politique quand quelques journalistes consentent à la mentionner ? Ceci : le NPA est « mal à l’aise avec l’idée d’une personnalisation excessive de la vie politique ». « Etre mal à l’aise avec une idée » ? Avec une idée seulement ? Remercions France-Soir, jamais mal à l’aise quand il s’agit de « peopoliser » à outrance, d’avoir ainsi résumé sans comprendre un « malaise » que n’éprouvent guère ces journalistes qui réduisent les formations politiques et leurs projets à leur incarnation par des individus. Comme on peut le lire dans un article publié sur le site de L’Express qui, dédié à la décision de Besancenot, non seulement omet consciencieusement de mentionner sa critique de la personnalisation, mais mentionne successivement « le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon » et « la Fase de Clémentine Autain ». Comme si l’on était en train de parler, par exemple, de « la voiture de Dominique Strauss-Kahn »…
Dès lors, qu’est ce qui importe aux fournisseurs de personnalisation à outrance ? On le devine quand, par exemple, Le JDD désigne les deux nouvelles porte-paroles du NPA comme « la relève d’Olivier Besancenot ». Relève pour qui ? Probablement pour ces médias friands non de débats d’idée mais de combats interpersonnels sur le ring médiatique, comme le suggère ce titre métaphorico-sportif du même JDD : « 2012 : Besancenot jette l’éponge ».
Pourquoi Besancenot renonce-t-il ? Parce qu’il est « fatigué », nous dit-on. Certes, les mobiles strictement personnels d’Olivier Besancenot existent, et on aurait tort de les mépriser. Mais ignorer ses arguments proprement politiques, c’est, d’un même mouvement, les traiter comme de simples alibis et achever le travail de dépolitisation de la politique accompli par la personnalisation médiatique, à laquelle tant de responsables politiques se prêtent complaisamment et à laquelle la LCR et le NPA ne semblent pas avoir échappé.
Or, au moment même où cette personnalisation est mise en question, l’argument est minoré ou ignoré : il ne colle pas avec l’image du « facteur de Neuilly », si sympathique, qui « refuse de passer pro » pour des raisons qui n’engagent que lui. A quoi bon s’attarder sur une critique qui, bien au-delà de Besancenot et de son parti, met en cause un système politique et médiatique qui favorise la personnalisation, la professionnalisation et la confiscation, au profit d’une petite minorité, de l’action politique ?
Une telle critique est très répandue, mais, pour le commun des journalistes politiques, elle paraît aussi étrange que celui qui s’en fait l’écho. C’est donc sans surprise que l’on a pu lire sur le site du Nouvel Observateur, dans un article au titre tapageur (« Pourquoi Besancenot renonce »), ce qui suit : « Première surprise : il n’est pas si fréquent de voir un candidat renoncer à la présidentielle, surtout quand les sondages lui sont favorables ». Décidément, ce Besancenot est vraiment un être étrange… Tellement étrange que nombre de journalistes ne comprennent pas qu’en renonçant à être candidat, il ne met pas un terme à son engagement politique.
« Un système politique et médiatique »
Nous l’avons rappelé : Acrimed, depuis sa création, n’a cessé d’interpeller, sur son site et dans les débats publics, les intellectuels, les associations, les formations politiques (et parmi elles la LCR, puis le NPA), sur la question des médias, sur leur rapports aux médias, sur la nécessité d’une critique de médias dans les médias : une critique dont les médiacrates et les chefferies éditoriales entendent se réserver le monopole. Une critique qui suscite parmi eux des réactions de meute… ou le silence. Un silence confirmé par les articles consacrés à la lettre de Besancenot. Quand ceux-ci consentent à mentionner la critique de la personnalisation, ils omettent généralement de mentionner un adjectif, discret il est vrai, mais significatif.
Critiquant la « personnalisation à outrance », Olivier Besancenot invite, on l’a vu, les militants de son parti à refuser de « jouer des ambiguïtés du système politique et médiatique » comme substitut, dit-il, à « l’action militante réelle ». « Ambiguïtés » : le terme est peut-être faible et mérite discussion. Mais « médiatique ». L’adjectif est clair. Rares sont les journalistes qui l’ont mentionné. Un adjectif manquant. Une omission symptomatique. Espérons que non seulement le NPA, mais plus généralement toutes les forces qui se réclament d’une gauche de gauche ne l’oublieront pas, ne l’oublieront plus.
Force est de constater en effet que la question des médias et du rapport aux médias n’a pas reçu – c’est le moins que l’on puisse dire – de réponses à la mesure des enjeux au sein de la gauche de transformation sociale. Il s’agit pourtant, chacun en conviendra, d’un enjeu majeur, a fortiori à un an d’une élection présidentielle dont la médiatisation est déjà caractérisée par la personnalisation dépolitisée.
Acrimed – qui, évidemment, ne soutient ni ne soutiendra aucun candidat à l’élection présidentielle – n’a certes pas à se prononcer sur la décision politique d’Olivier Besancenot. En revanche, les motifs invoqués dans sa lettre nous importent parce qu’ils invitent à une réflexion et à des bilans, qui ne concernent pas le seul NPA, quant aux risques et aux coûts d’une médiatisation mal maîtrisée. En effet, sans prétendre nous substituer aux formations (associations, syndicats, partis, etc.) auxquelles revient de définir notamment les conditions et les limites de leur présence dans les médias (et de leur critique des médias dans ces mêmes médias), nous continuerons – comme nous le faisons par cet article – à aiguiser une contestation de la médiatisation à tout prix ; une contestation sans laquelle la question de la transformation des médias restera lettre morte.
Henri Maler et Julien Salingue