Droit à l’information anecdotique
Après avoir diffusé au « 20 heures » de TF1 (16 mai 2011) les images de Dominique Strauss-Kahn menotté et auditionné devant la juge, Laurence Ferrari, donne le la : « ces images dérangeantes (…) nous nous devions de vous les montrer, au nom du droit à l’information ». Puis, « au nom du droit à l’information », tout va être permis. Le lendemain soir, dans le même journal télévisé, un envoyé spécial à New York informe : « Ce soir il va manger comme tout le monde : du pâté de veau, du chou et des nouilles chinoises. » (TF1, 17 mai). Désormais, c’est promis, TF1 donnera chaque soir les menus destinés à tous les inculpés présumés innocents qui croupissent dans les prisons du monde entier.
Ensuite, une série d’articles, de reportages et de titres vont profiter de ce « droit à l’information » dont se targuent certains journalistes…
– L’insignifiant, dans Le Parisien du 18 mai
– Le scoop inutile, sur le site du Point
– La question qui tue, sur le site du Nouvel Observateur
– LA révélation, dans France-Soir du 19 mai, qui, malgré un mélange peu subtil de l’indicatif et du conditionnel, n’arrive pas à dissimuler la platitude et le caractère hypothétique des informations « exclusives »…
– Le scoop qui, non seulement n’informe en rien, mais s’avère, en outre, être d’une obscénité des plus crasses sur le site du Journal du dimanche (c’est en bas).
Extraits de l’article qui suit :
« Nafissatou Diallo habite un appartement réservé aux personnes atteintes par le VIH ou le sida, assure le New York Post. Les journaux américains se concentrent désormais sur la vie de la victime présumée dans l’affaire DSK, Nafissatou Diallo. Selon le New York Post, ce n’est pas son nom qui est sur le bail de l’appartement qu’elle occupe avec sa fille de 15 ans. Mais celui d’une association qui loue des appartements à des personnes atteintes par le VIH ou le sida. Le journal à sensation, qui semble avoir bien enquêté, n’a pas pu savoir si la femme de chambre est atteinte ou non, à cause du secret médical. »
Droit au commentaire navrant
Et le droit à l’information inutile va se doubler d’un droit au commentaire navrant. Par exemple, dans une vidéo sur le site du Nouvel Observateur, Laurent Joffrin parle de « viol avec violence ». Un viol peut-il être commis sans violence ?
Mais, sur ce thème, c’est France Inter qui décroche le pompon, le soir-même de la révélation de l’affaire (15 mai 2011). Disposant de très peu d’informations, la radio publique, plutôt que de choisir le silence et l’attente, propose une « émission spéciale » qui privilégie l’analyse futile et le commentaire inutile… pendant 90 min. Émission ponctuée de deux journaux de 20 min, construits sur le même modèle : 15 min pour DSK, ressassant les mêmes non-informations – pour l’essentiel des déclarations selon lesquelles il faut s’abstenir de trop déclarer –, 1 min pour « le reste de l’actualité » [1], le reste pour la route et la météo. À 19 heures, on réserve quand même 1 min 30 s pour les sports, le « Journal des sports » ayant été supprimé pour cause de « richesse de l’actualité ». Sic !
Dans des échanges d’une rare nullité, Patrick Boyer interroge ses collègues : « En sait-on plus sur cette jeune femme ? » Réponse de Pierre-Yves Dugas : « On n’en sait absolument rien. » Mais on en parle quand même. On apprend ainsi que des « rumeurs circulent selon lesquelles elle s’appellerait Ophelia ». Et Patrick Boyer d’ajouter : « Alors, effectivement, Ophelia, c’est un nom de tragédie shakespearienne, et c’est un peu le sort de DSK ce soir. »
Dans la foulée, Patrick Boyer « lance » Thomas Legrand : « En politique, les grandes tragédies humaines, c’est toujours autour de l’argent et des femmes, depuis l’antiquité. » Réponse de Thomas Legrand : « La vie politique française en particulier est une tragédie, et surtout l’élection présidentielle [...] Si jamais DSK s’en remet et, finalement, arrive à la présidence ». Patrick Boyer, à son tour : « Ça s’appellerait un miracle républicain ? » Réponse de Thomas Legrand : « Là on serait... la quintessence de l’histoire tragique française. » On en redemande.
Sommet du journalisme du néant : un psychiatre est convoqué. Interrogé d’abord sur l’addiction sexuelle, il répond de façon technique et générale. « Alors, là, vous nous faites un cours intéressant », lui réplique-t-on, mais cela n’intéresse pas les journalistes, qui voudraient en savoir plus sur « le cas de DSK ». Le médecin s’abstient de se prononcer sur un cas personnel. Alors Patrick Boyer explore une autre piste : « Et l’hypothèse, professeur, d’un acte manqué ? C’est-à-dire de refuser inconsciemment un destin exceptionnel qui vous est prêté, avec toutes ses contraintes, de refuser en quelque sorte l’obstacle au dernier moment en faisant basculer sa vie, comme si c’était le corps qui disait non ? »
D’autres échanges illustrent l’incapacité des journalistes de France Inter à remplir une heure d’émission de commentaires intelligents. Par exemple celui-ci :
– Thomas Legrand : « Oui, mais on est dans une tragédie grecque ou romaine. »
– Patrick Boyer : « Nous sommes au XXIe siècle... »
– Thomas Legrand : « Et y a des moments où la vertu doit primer. »
Droit aux commentaires immondes
De son côté France Culture ne fera pas mieux… Ainsi cet échange entre Jean-François Kahn et Alain-Gérard Slama (16 mai) qui suinte le machisme [2] :
– Jean-François Kahn : « Je suis certain, enfin pratiquement certain, qu’il n’y a pas eu une tentative violente de viol, je ne crois pas, ça, je connais le personnage, je ne le pense pas. Qu’il y ait eu une imprudence on peut pas le… (rire gourmand), j’sais pas comment dire, un troussage… »
– Alain-Gérard Slama : « Il appelait ça une erreur de jugement (gloussements) ».
– Jean-François Kahn : « … que y ait un troussage, euh, de domestique, enfin, j’veux dire, c’qui est pas bien, mais, voilà, c’est une impression » [3].
Droit de visite des prisons américaines
– La prison dans laquelle est incarcéré DSK est présentée par l’ensemble des médias, comme « terrible », « dure », « violente », où « les gardiens organisent des bagarres ». La cellule individuelle de Strauss-Kahn ne « fait que 13 m2 », alors qu’en France, soulignons-le, les cellules font entre 5 et 11 m2 [4]… Bref, l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn aura au moins permis d’appendre que les prisons quatre étoiles sont rares, en France comme aux Etats-Unis.
C’est donc l’occasion d’avoir le plan détaillé (très important si vous voulez aller visiter…) de l’ensemble immobilier où l’on peut trouver cette geôle…
Par exemple, Le Parisien du 18 mai 2011.
Droit de visite de New York
– Les sites Internet des journaux français, qui sont là pour nous donner de l’information heure par heure, essayent de ne pas perdre le fil et multiplient les révélations en images, indispensables quand il faut remplir le vide. Ainsi, sur le site du Nouvel Observateur, on découvre le parcours de Strauss-Kahn de l’hôtel à la prison. Palpitant.
D’abord vu du ciel (et de Google maps)
Ensuite, vu de plus près – dans un porte-folio, avec notamment cette image.
Droit d’illégalité sondagière
Passionnés par les sondages, les médias les publient tous. Même ceux qui sont interdits.
Libération, le 18 mai 2011
Le Monde, le 19 mai 2011
Comme le rappelle à juste titre le site d’information Montpellier Journal :
La loi interdit de réaliser et de diffuser un sondage « portant sur la culpabilité d’une personne mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale ou sur la peine susceptible d’être prononcée à son encontre » (loi du 15 juin 2000). […] Or demander si DSK est victime d’un complot, n’est-ce pas poser la question de sa culpabilité ? Car s’il est victime d’un complot, ne peut-on pas considérer qu’il est innocent ? Et vice-versa.
Droit au titre le plus choc
C’est évidemment France Soir qui gagne…
En se faisant un point d’honneur à respecter la présomption d’innocence…
Droit de se transformer en version quotidienne du Nouveau Détective
Avec, par exemple, Libération…
À suivre...
Un collectif d’Acrimed
P.-S. : La suite promet en effet d’être poignante. Comme le montre cet aveu de Laurence Haïm, la correspondante d’i>Télé à New York (19 mai) : « Anne Sinclair et sa fille au premier rang : des images très émouvantes, la chose la plus dure que j’aie vue de ma vie de journaliste. » Et elle en a vu, sans doute !