Le 21 octobre 2000, le journaliste Jacques-Marie Bourget est grièvement blessé par balle à Ramallah. Dans une lettre publiée sur notre site, il rapporte ainsi les événements : « […] pour éviter de prendre le moindre risque, surtout pour le photographe peu habitué à ce type de situation, je décide de prendre refuge entre trois murs d’un ensemble de baraques de pierre. Pour nous atteindre, il faut donc nous viser de front, de façon délibérée. En face, il n’y a rien d’autre que l’armée, donc un élément à priori maîtrisé. Autour de nous quelques Palestiniens, de jeunes adultes, sont assis comme moi sur un muret qui fait saillie au bas du mur lui-même. L’atmosphère est bon enfant. Puis, dans cette ambiance de happening répété, les adolescents et leurs pierres lancées vers l’armée, je me lève pour quitter cette position. Quelques secondes plus tard, je suis touché. Des témoins diront “par un tireur installé au City Inn”, le building de l’état-major israélien ».
De retour en France, Jacques-Marie Bourget, en janvier 2002, dépose une plainte contre X pour « tentative d’homicide volontaire », appuyée par l’association Reporters sans frontières qui se porte partie civile. Après diverses péripéties judiciaires (rapportées dans la lettre citée plus haut), et alors qu’il est établi que la balle qui a atteint le journaliste était de fabrication israélienne, le ministère de la Justice israélien affirme que, d’après « une enquête conduite par l’armée », le journaliste aurait été victime « d’un tir palestinien ». Les autorités israéliennes rejettent toute coopération judiciaire avec la France. Jacques-Marie Bourget et ses avocats insistent et, malgré plusieurs demandes, y compris officielles, Israël reste silencieux et refuse de communiquer le moindre élément, y compris l’enquête interne, couverte par le secret défense.
Le 24 mai dernier, soit plus de neuf ans après le début de la procédure, la justice française rend son verdict : non-lieu. C’est ce qu’on peut lire dans cet extrait de l’ordonnance de jugement, que nous avons récupérée sur le blog de Gilles Paris, du Monde :
Comprenons bien : si le non-lieu été prononcé, c’est notamment parce qu’Israël a « refusé d’exécuter une commission rogatoire internationale » et que l’officier israélien en charge de la zone de Ramallah le 21 octobre 2000 ne s’est pas présenté à la convocation qui lui a été adressée. Une décision judiciaire qui se passe en effet (et comme, légalement, il se doit) de tout commentaire !
On peut remarquer d’abord que le refus de coopérer d’un État suffit à paralyser l’action de la justice. Un refus de coopération paradoxal venant d’un État qui se présente comme « la seule démocratie du Moyen-Orient » et qui devrait donc être garant de la liberté d’informer et d’exercer le métier de journaliste dans de bonnes conditions. Un refus de coopérer difficilement compatible avec la thèse selon laquelle Jacques-Marie Bourget aurait été victime d’un « tir palestinien »…
Remarquons ensuite que, de toute évidence, les autorités françaises n’ont guère fait de bruit autour de cette « affaire », alors que, selon Jacques-Marie Bourget, « théoriquement, c’est une action qui a été envisagée dans l’affaire Borrel, l’Etat français devrait faire convoquer Israël devant la juridiction internationale pour le non-respect de son engagement d’assistance judiciaire » [1]. La France, si prompte à se mobiliser – et c’est une bonne chose – lorsque des journalistes sont pris en otage, ne devrait-elle pas également se préoccuper de ceux qui sont victimes de tentatives d’homicide et exiger des autorités compétentes qu’elles permettent à la vérité d’être établie ?
Remarquons enfin que les « confrères » du journaliste blessé n’ont, pas plus que lors des péripéties précédentes, relayé l’information. Si l’on excepte Gilles Paris sur son blog, et une courte brève sur le site Lalsace.fr (le 31 mai), aucun média, à notre connaissance, ne s’est fait l’écho de l’ordonnance de non-lieu. Celle-ci est pourtant très claire : « Cette absence de coopération [israélienne] ne permettait pas d’identifier l’auteur du tir, non-lieu sera donc prononcé ». L’auteur du tir, sans doute. Mais Israël ? Son refus de coopérer lors des investigations sur une tentative d’assassinat a conduit à l’abandon de l’enquête... N’est-ce pas le rôle des journalistes de dénoncer de telles pratiques, ainsi que, plus généralement, les conditions de travail imposées par Israël aux journalistes, et pas seulement par les autres protagonistes du « conflit du Moyen-Orient » ?
Or le cas de Jacques-Marie Bourget n’est malheureusement pas isolé : dans son « Baromètre de la liberté de la presse 2011 », Reporters sans frontières pointe « les exactions commises par l’armée israélienne contre les professionnels des médias dans les Territoires palestiniens, où les forces de sécurité israéliennes mènent une politique proche de l’arbitraire ». Il va de soi que cela n’exonère aucun autre État de la région, ni aucune autorité palestinienne quant à leurs entraves à la liberté de la presse ou à leurs exactions éventuelles contre des journalistes. Mais, de toute évidence, quant il s’agit du gouvernement israélien et de son armée, la liberté de la presse se confond trop souvent avec la liberté de ne pas informer.
Colin Brunel