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Affaire DSK (7) : Demorand découvre Bourdieu et fait diversion

par Ugo Palheta,

Dans un éditorial daté du 6 juin 2011, Nicolas Demorand – nouveau directeur de rédaction de Libération – pousse l’art de la diversion jusqu’à son plus haut degré de raffinement. Citant Pierre Bourdieu, il affirme que « les faits divers font diversion » et que « l’affaire DSK » risque ainsi de masquer les enjeux politiques légitimes associés à l’élection présidentielle.

Après une telle charge, on s’imagine que le journal va prendre soin de mettre au premier plan ces enjeux et reléguer « l’affaire DSK » à sa juste place dans la hiérarchie de l’information, c’est-à-dire à un rang secondaire. Que nenni ! Car c’est bien Dominique Strauss-Kahn qui figure une nouvelle fois en « une » du quotidien ce 6 juin, accompagné d’un titre qui ressemble fort à un jeu de mots au goût douteux [1].

Demorand est un résistant, imaginaire ou de la dernière heure peut-être, mais un résistant tout de même. Ainsi prévient-il que, contre la tentation de « beaucoup » (mais qui ?) de transformer « l’affaire DSK » en conte moral, opposant le « richissime homme blanc » à « une pauvre femme noire », « il faut savoir résister ». De même, contre le « légitime et coupable voyeurisme » qui amènerait à offrir aux lecteurs « des “révélations” sur le train de vie de l’ancien directeur du FMI, sur ce qu’il mange et le nombre de salles de bains dont il jouit », « il faudra savoir résister ».

Portrait du directeur de rédaction en résistant, cet édito pourrait sonner comme une excuse – rétrospective ou anticipative – s’il ne constituait une forme sophistiquée de diversion, vouée à faire taire les critiques en prétendant leur donner droit de cité. Car comment mieux rendre inoffensive une critique, sinon en faisant mine de la reprendre à son compte tout en la contredisant dans un même mouvement ? Libération n’a en effet pas cessé, ces dernières semaines, de monter « l’affaire DSK » en épingle, lui consacrant pas moins de huit « unes » en trois semaines. « Il faudra savoir résister » ? Au futur, donc. Car pour le passé, en effet, c’est raté :

Sur cette seule base des « unes », on comprend que Libération n’a pas peu contribué à la diversion médiatique, faisant de ce qui reste un fait divers, malgré des conséquences politiques non négligeables, un sommet incontournable de « l’actualité » durant près de trois semaines. Il est risible, dans ces conditions, que Demorand se flatte de résister au « nouvel épisode de la série qui passionne la France depuis trois semaines ». La France ? Ou plutôt les grands médias, qui avaient fait de Strauss-Kahn leur candidat favori pour le Parti socialiste à l’élection présidentielle [2], tout en se gardant bien de dévoiler le secret de sa candidature ?

Cette critique des médias qui n’engage à rien, n’induisant ici aucune différence dans les choix éditoriaux ou les pratiques journalistiques, s’abstient naturellement de se pencher sur le rôle éminent joué par Libération dans la sur-médiatisation de « l’affaire DSK » (et la sous-estimation concomitante, voire l’oubli, de faits sans doute beaucoup plus cruciaux [3]). Il s’agit là d’une ruse de la raison médiatique à laquelle le quotidien a régulièrement recours : introduire une distance pseudo-critique avec le traitement standard de l’information, suffisante pour complaire à son lectorat mais suffisamment légère pour lui offrir une information fidèle à celle proposée partout. Quand le journal évoque en « une » la victime en parlant d’une « femme traquée », il reproduit ainsi la même photographie vue partout d’une femme dissimulée sous un drap blanc.

Mais il arrive que Libération ne prenne même pas cette peine. DSK en prison, Libération ne s’était pas privé de proposer tous les détails sur ses conditions d’incarcération, de son emploi du temps jusqu’au type d’uniforme porté. De même le journal proposait-il une « visite en vidéo de la nouvelle adresse de Dominique Strauss-Kahn à New York : trois étages, terrasse, déco luxe » [4]. Une semaine plus tard, son directeur de la rédaction peut pontifier tout à son aise sur notre « coupable voyeurisme ». Maintenant, c’est terminé : Libération entre en « résistance ».

Et on est prié d’y croire : on ne saura donc rien, grâce à Libération, de ce dont Libération nous a déjà instruits, et le quotidien ne nous infligera pas, à l’avenir, le récit de détails scabreux ou insignifiants qu’il n’a eu de cesse de nous faire connaître jusqu’à maintenant. Preuve que Nicolas Demorand n’est pas seulement un intrépide résistant à l’air du temps mais un magicien sans pareil, capable de faire référence à Pierre Bourdieu sans en tenir aucun compte, la critique de la diversion se muant dans ses mains en art consommé de la diversion [5].

Ugo Palheta

P.-S. : les bonnes résolutions critiques et résistantes de Nicolas Demorand n’auront tenu que le temps d’un édito, le 6 juin. Revenu du maquis dès le 7, Libération propose à ses lecteurs cette « une » éminemment politique, où l’on peut voir DSK s’affichant, lors de son procès, avec sa femme, Anne Sinclair. « Légitime et coupable voyeurisme » disait-il…

 
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Notes

[1Ce qui n’empêche pas Libération de pointer des « jeux de mots douteux » de la part du New York Post... et les « dix unes en trois semaines » de cet indigne journal qui fait « ses choux gras avec l’affaire DSK » !

[2Nicolas Demorand écrivait ainsi, le 16 mai 2011 dans Libération, que « les socialistes perdent le seul candidat qui avait, dans toutes les configurations possibles, la faveur des sondages », affirmant qu’il était « peut-être l’un des mieux placés pour répondre aux inquiétudes des Français ».

[3Pour exemple, voir nos articles sur le traitement médiatique du mouvement des « indignés » en Espagne.

[4Pour ces trois exemples, voir notre article.

[5Soyons juste : il n’est pas le seul dans ce cas, Christophe Barbier l’ayant précédé et pouvant lui aussi prétendre au titre de premier tartuffe de la classe.

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