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Murdoch : les choses vont-elles réellement changer ?

par Tariq Ali,

Nous reproduisons ici un article de Tariq Ali traitant de « l’affaire Murdoch », publié (en anglais) le 20 juillet dernier sur le site Counterpunch
(Acrimed).

L’état de décomposition de la culture politique britannique, dans un pays où nombre de comportements étaient depuis bien longtemps couverts par le mensonge, est depuis ces dernières semaines sur la place publique. Les récents événements ont contraint le plus puissant baron des médias du pays à fermer son – très rentable – titre du dimanche (News of the World), spécialisé dans le récit des frasques sexuelles des célébrités et marqué par sa proximité avec la police, qui lui a permis de bénéficier de fuites au sujet d’enquêtes criminelles, de disparitions, etc. News of the World est allé trop loin en piratant le téléphone portable de la victime d’un meurtre et en volant ses messages, donnant ainsi l’impression qu’elle était peut-être toujours en vie.

Tout ceci a entrainé une réaction de dégoût à travers tout le pays et braqué les projecteurs sur les hommes politiques et sur les principaux responsables policiers. Pourquoi Cameron a-t-il engagé l’un des principaux journalistes de Murdoch comme responsable de presse ? Pourquoi Scotland Yard a embauché un autre des principaux journalistes de la même écurie ? Nous savons évidemment pourquoi. Mais le fait que cela ait débouché sur un scandale rend ces pratiques d’autant plus inacceptables.

C’est un scandale très britannique, qui éclate soudainement et qui devient immédiatement une affaire nationale. On a l’impression que la « psycho-politique » sous-jacente aux réactions de tous ceux qui ne vivent pas dans le microcosme du pouvoir, de l’argent et de la quête de célébrité, est en partie une échappatoire et un substitut à l’authentique colère ressentie contre l’establishment politique du pays, corrompu et corrupteur : les banquiers, les barons des médias, les politiciens, les juges et la police. L’économie est dans un état désastreux, des mesures d’austérité sont mises en place, l’Ecosse est très en colère, mais au moins les députés peuvent interroger Rupert Murdoch et son fils et les regarder s’excuser et s’humilier en public.

[Ces derniers jours,] Murdoch s’est dévoilé à deux reprises. Tout d’abord lorsqu’il a salué le Daily Delegraph pour ses révélations quant aux combines des députés relatives à leurs notes de frais, suggérant à ces derniers de suivre le modèle de transparence de Singapour. Ensuite, lorsqu’un manifestant l’a arrosé de mousse à raser et a reçu un coup de poing de Wendi Murdoch. Le reste du temps, les Murdoch ont bien joué la comédie. Le jeune James ressemblait à un responsable d’Enron après l’écroulement de l’empire, et Rupert, les yeux mouillés de larmes, a expliqué comment il avait appris le journalisme auprès de son remarquable père, qui avait révélé le scandale de Gallipoli [1]. Mais que se passera-t-il après cette pièce de théâtre si bien répétée ? Même si Murdoch n’acquiert pas la totalité de BskyB, les choses vont-elles réellement changer ?

L’Empire Murdoch a dominé la scène politique britannique depuis l’époque de Margaret Thatcher. Elle lui a donné la télévision par satellite. Il a détruit les syndicats de la presse, et ses journaux ont aidé à détruire la grève des mineurs. Il a été un outil central dans la création d’une culture qui célèbre les privatisations, les dogmes du libre-échange, les guerres (l’intégralité des presque 300 journaux de Murdoch ont soutenu, aux quatre coins du monde, la guerre en Iraq), etc. Le populisme de droite propagé par le tandem Thatcher-Murdoch a vidé de sa substance l’éthos collectif né après la seconde guerre mondiale. Son influence a été si forte que les autres journaux et chaînes de télévision (comme Channel Four ou la BBC) ont perdu toute confiance et se sont transformées en pâles copies [des médias de Murdoch], en quête de lectorat et d’audience. La musique classique, largement appréciée, sans distinction de classe, de croyance ou de race, a été considérée comme élitiste et retirée de la BBC 2.

Les héritiers de Thatcher au sein du Blue Labor [2], Tony Blair et Gordon Brown, ont entretenu la dévotion à l’argent et à Murdoch. Blair s’est humilié en permanence devant le baron des médias. Brown a fait la même chose. Les éditorialistes de la presse Murdoch sont devenus des invités réguliers des résidences officielles ; les Premiers Ministres et leurs proches assistent régulièrement aux soirées privées de ces éditorialistes. Pas plus tard qu’hier [le 19 juillet], Murdoch a affirmé qu’il rencontrait régulièrement Gordon. Leurs familles sont devenues amies. David Cameron a suivi le mouvement, montrant clairement que malgré ses origines sociales il pourrait être exactement comme Tony Blair et accepter avec plaisir tous ceux (et tout ce) qui font le lien entre la politique et les millions.

Peter Oborne, un journaliste du toujours très conservateur Daily Telegraph, a fourni un éclairant portrait de Cameron, suggérant qu’il était consciemment descendu dans l’égout en rejoignant le sulfureux cercle de Chipping Norton [3] :

« Il n’aurait jamais dû employer Andy Coulson, l’éditorialiste de News of the World, comme directeur de communication. Il n’aurait jamais dû se rapprocher de Rupert Murdoch. Et – sa plus grave erreur – il n’aurait jamais dû s’autoriser à devenir un ami proche de Rebekah Brooks, la directrice générale du géant des médias News International, dont la démission dans la honte et le déshonneur n’est plus qu’une question de temps. […] M. Cameron s’est donné les moyens de faire partie d’une clique dont aucune personne respectable, sans même parler d’un Premier Ministre britannique, ne devrait jamais être membre ».

Cameron s’est montré presque aussi autoritaire et opportuniste que Tony Blair dans sa façon de diriger le parti. Mais si les coulées de lave de ce scandale volcanique continuent de se répandre, le Premier Ministre britannique, aujourd’hui éraflé par les révélations, pourrait être contraint à se faire hara-kiri. Mais nous n’en sommes pas encore là.

En attendant, le consensus tripartite au parlement britannique quant au néolibéralisme et à ses dogmes, qui créent des ravages dans toute l’Europe, ne volera pas en éclats. Voilà le problème qui, à la différence de l’empire médiatique ébréché de Murdoch, ne risque pas de disparaître.

Tariq Ali

Traduit de l’anglais par Julien Salingue

Article original sur le site Counterpunch

 
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Notes

[1La Campagne de Gallipoli, ou Campagne des Dardanelles, menée en Turquie durant la guerre en 1915, avait pour objectif la conquête de Constantinople. Elle s’avéra être un désastre pour les armées britanniques et françaises, appuyées par des troupes australiennes et néo-zélandaises. Le père de Rupert Murdoch, Keith, journaliste australien, a contourné la censure militaire en dénonçant la faillite programmée de l’opération (ndt).

[2Jeu de mots intraduisible : « Blue Labor » au lieu de « New Labor », la couleur bleue étant celle des conservateurs (ndt).

[3Du nom d’un village britannique, dans lequel résident, entre autres, la fille de Murdoch, Rebekah Brooks et… David Cameron (ndt).

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