Point d’interrogation
L’accusation de plagiat est trop grave pour que nous la lancions à la légère. C’est pourquoi le titre de l’article où nous publiions les comparaisons effectuées par Evelyne Larousserie était assorti d’un point d’interrogation : « Joseph Macé-Scaron plagiaire ? » Et nous notions simplement : Joseph Macé-Scaron « pratique même le copier-coller à l’excès. Plagiat ? Au lecteur de juger... »
Joseph Macé-Scaron, dans la dépêche de l’Agence France presse qui lui donne largement la parole, s’indigne : « On lance un soupçon et au fur et à mesure le point d’interrogation derrière ce terme tombe. » Pierre Assouline, dans sa chronique du Monde des livres [1], renchérit : « En quelques heures, le point d’interrogation a sauté, le coupable lynché. Plagiaire. » Pas sur notre site, bien sûr. Mais dans le recyclage tous médias des informations publiées par Arrêt sur images (Asi) et nous-mêmes.
Pourtant, Bruno Roger-Petit, grand défenseur de Joseph Macé-Scaron, nous inflige une leçon de lecture que nous lui retournons volontiers. Ironisant sur « les fins limiers d’Acrimed », le très cultivé écrit : « Si un dénonciateur anonyme ne leur avait pas signalé les passages empruntés à Byron, ils n’auraient pu lancer leur “fatwa” littéraire. » Une « fatwa » flanquée d’un point d’interrogation ? Mais notre très cultivé ne sait pas lire : le dénonciateur anonyme n’est ni un dénonciateur ni anonyme, puisque notre article mentionne que c’est Evelyne Larousserie qui nous a transmis les informations, ainsi qu’à Asi. Mais laissons ce fin lettré à ses aveugles lectures…
Pourquoi ce redoutable changement de ponctuation ? Les défenseurs de Macé-Scaron, qui se posent du même coup en défenseurs de la littérature, l’attribuent à l’inculture générale, notamment des internautes-forumeurs, et se gardent bien de mettre ouvertement en cause les titres des reprises par les médias professionnels… et Macé-Scaron en personne.
Or les choses sont terriblement simples. Interrogé par Asi (lien payant), Joseph Macé-Scaron admet dans un premier temps avoir fait une « connerie ». Et tout le monde comprend [2], qu’il reconnaît ainsi, en atténuant le larcin, avoir commis un plagiat… et non des « emprunts », comme le prétend Pierre Assouline qui confond les « explications » de la veille avec celles du lendemain [3].
Et tout le reste est littérature ?
Le lendemain en effet – la nuit portant conseil –, Joseph Macé-Scaron reconnaît des emprunts qu’il attribue à « l’intertextualité ».
Ah, l’intertextualité ! Plusieurs définitions sont possibles. Mais dans son sens le plus large, la notion d’intertextualité renvoie à toutes les formes de présence d’un ou de plusieurs textes dans un autre : citations, parodies, emprunts… et plagiats. Et il est vrai que la littérature abonde d’emprunts que l’on peut ou non assimiler à des plagiats. Souvent la justice ne parvient pas à trancher. Mais qu’elle y parvienne ou non, la question relève peut-être avant tout du jugement littéraire.
Selon quels critères ? Ni la fréquence ni la fidélité des « emprunts » ne seraient tout à fait concluantes. Restent la créativité dont fait preuve l’emprunteur et la complicité qu’il établit avec ses lecteurs, souvent par jeu. Montaigne « pille » Plutarque ? Mais il s’adresse alors à une communauté de lecteurs si retreinte que tous connaissent l’original. Du Bellay signale qu’il s’est beaucoup inspiré des « anciens » (entre autres, d’Homère) : du moins le signale-t-il. N’est pas Montaigne qui veut ! Ni Du Bellay, ni, pour prendre un exemple plus récent, Georges Perec [4]
Trancher quand on le peut est donc souvent affaire de critique littéraire et moins de critique des médias. Mais à lire les « emprunts » commis par Joseph Macé-Scaron, il est permis de douter de leur créativité et de souligner qu’il n’y a guère de trace de clins d’œil à ses lecteurs [5] , fussent-ils aussi cultivés que Pierre Assouline ou Bruno-Roger Petit. À bien y regarder, les passages recopiés par Macé-Scaron n’ont rien d’extraordinaire : il ne s’agit ni de rendre hommage à des grands textes de la littérature, ni d’emprunter une idée originale, en prenant, même discrètement, les lecteurs à témoin.
Un autre emprunt avait été signalé par un forumeur sur le site de Libération [6] Et la comparaison proposée par Jérôme Dupuis sur le site Internet de L’Express confirme que Joseph-Macé-Scaron, avec son dernier roman, n’en est pas à son premier fait d’arme. Dans son premier roman, Trébizonde avant l’oubli, publié en 1990, Joseph Macé-Scaron s’est clairement inspiré du Premier journal parisien d’Ernst Jünger (publié en 1980). C’est à la lecture du chapitre 28 que l’on découvre des passages empruntés. Dans Trébizonde avant l’oubli, Macé-Scaron relate une exécution capitale dont la description ressemble étrangement à celle faite par l’écrivain allemand :
- Ernst Jünger : « On donne lecture de la sentence. Le condamné écoute avec une extrême attention et cependant j’ai l’impression que le texte lui échappe. Ses yeux sont grand ouverts. »
- Macé-Scaron : « Un juge donne lecture de la sentence. Le condamné écoutait le texte avec une extrême attention, et cependant j’avais la curieuse impression que son sens lui échappait. Ses yeux étaient grand ouverts. »
- Ernst Jünger : « Une minuscule mouche danse autour de sa joue gauche, et se pose plusieurs fois tout près de son oreille ; il fait un mouvement de l’épaule et secoue la tête. »
- Macé-Scaron : « Une abeille tournait autour de sa joue et cherchait à se poser sur son visage ; il secoua la tête dans un mouvement brusque. »
- Ernst Jünger : « Je dois lui demander s’il veut qu’on lui bande les yeux. Le prêtre répond oui à sa place, tandis que les gardiens l’attachent... »
- Macé-Scaron : « On lui demanda s’il voulait qu’on lui bandât à nouveau les yeux. Le prêtre répondit oui à sa place, tandis que les bourreaux le hissaient... »
Cette fois, il est vrai, l’hommage appuyé à Ernst Jünger au début de l’ouvrage peut faire passer l’emprunt pour un clin d’œil réservé aux connaisseurs. Mais la question demeure : « emprunt » ou « connerie » ? « Emprunt créatif » ou « emprunt servile » ?
Et, comme le rappelle Lemonde.fr, entre Macé-Scaron et les accusations de plagiat, « c’est une vielle histoire »... Pour son deuxième roman Le cavalier de la nuit (Julliard, 1998), Le Canard enchaîné du 3 février 1999 avait relevé des similitudes entre un passage et un paragraphe de la préface de Ainsi parlait le hassidisme (Cerf, 1990) de Victor Malka. Intertextualité, quand tu nous tiens...
Copier-coller
On pourrait en rester là. Et nous aurions volontiers laissé les professionnels de la critique littéraire à leurs querelles (aussi intéressantes soient-elles) si, mis en cause, nous n’avions poursuivi notre brève enquête.
Pourquoi ? Parce que le copier-coller et le copain-copain ne sont pas l’apanage du seul Macé-Scaron. Ni le cumul : « il occupe des postes de direction à Marianne et au Magazine littéraire […] ; chroniqueur, il commente et débat régulièrement sur I-Télé, Canal+, RTL, France Culture et c’est tout […] », déclare en tout inconscience Pierre Assouline. Pourtant à s’exprimer si souvent on risque de dire (ou de faire) des « conneries »… On le devine : ce cas particulier est un cas d’école.
Le copier-coller ne concerne pas la seule littérature. Passons sur la reproduction à l’identique, mais sans la mentionner, d’une même enquête dans un même journal à quelques mois de distance. Sans le mentionner : cette forme d’autoplagiat est une tromperie. Comme celle que nous avions soupçonnée en 2003, s’agissant d’une « enquête » du Nouvel Observateur : autoplagiat confirmé par Le Canard enchaîné, comme nous le relevions ici même.
Mais le copier-coller le plus fréquent relève de la « circulation circulaire de l’information », avec omission de la source initiale. Personne – nous-mêmes y compris – n’est à l’abri de cette facilité. Mais cette facilité peut prendre une forme systématique – et ce n’est pas le souci d’éviter la multiplication des notes de bas de page qui explique la fréquence des recopiages entre les articles de divers médias.
Or de nombreux témoignages concordants attestent que Joseph Macé-Scaron ne pratique pas seulement l’emprunt littéraire mais que, confondant la liberté de l’écrivain avec l’ascèse du journaliste, le journaliste se montre aussi « libre » que l’écrivain.
Sinon pourquoi serait-il affublé dans les rédactions elles-mêmes de ces charmants surnoms : « Macé Xerox », « Macé Scanner » ou « Copiant-collant » ? Pourquoi un témoin qui souhaite garder l’anonymat, mais dont nous garantissons la probité, nous a-t-il rapporté une anecdote remontant aux années 80, selon laquelle le service politique du Monde se serait alors inquiété auprès de Joseph Macé-Scaron de ses multiples emprunts ? Tout laissait penser alors que Macé-Scaron n’interprétait même pas : il glosait.
Pourquoi avons-nous reçu d’autres indications que nous sommes en train de vérifier ? Nous ne sommes pas dupes : non vérifiées, ces indications ne sont encore, qu’elles soient inspirées par le souci de la vérité ou par la malveillance, que des rumeurs. Et nous n’entendons pas les colporter sans preuves. Mais il est certain que Joseph-Macé Scaron a tout du caméléon. Si la plupart de ses articles ne prennent pas la couleur de ceux qu’il lit ailleurs, ses positions prennent les couleurs du média qui l’accueille. Il est vrai que, comparé, par exemple, à Franz-Olivier Giesbert, c’est un apprenti.
Le « cas » Macé-Scaron n’a donc, à bien des égards, que valeur de symptôme.
Copain/copain
La « polémique » sur le versant littéraire des « emprunts » de Joseph Macé-Scaron a pris une telle ampleur qu’elle soulève elle aussi des questions qui dépassent son propre « cas ».
Comme Jérôme Garcin, mais sans doute moins que ce dernier, Joseph-Macé Scaron est un critique influent et un écrivain célébré. Critique et écrivain : l’exercice cumulé de ces deux rôles ouvre la voie à toutes les formes de copinages, de connivences et de renvois d’ascenseur, comme nous l’avions montré à propos du premier nommé.
Avant de s’accommoder de ce cumul, Jérôme Garcin lui-même avait soulevé le problème, dans des termes que nous avons déjà mentionnés à son propos : « Je crois qu’on ne peut pas faire ce métier de critique littéraire, de journaliste culturel [et être écrivain]. On ne peut pas être juge et partie. […] Je n’arrive pas à penser sérieusement qu’on puisse dire ce qu’on pense chaque semaine, sinon chaque jour et en même temps aller soumettre aux confrères tous les ans sa petite production. Je crois que c’est ce qui a gangrené ce milieu… » C’était il y a vingt ans, dans l’émission de Thierry Ardisson « Lunettes noires pour nuits blanches » (4 min 44 s)…
Un seul exemple, « emprunté » au site « Tout va bien ». Joseph Macé-Scaron, animateur de l’émission « Jeux d’épreuve » sur France Culture a reçu le prix de La Coupole le 8 juin 2011. Or parmi les membres du jury figurait notamment Clara Dupont-Monod. Or celle-ci, selon le site mentionné plus haut, « a été invitée dans “Jeux d’épreuves” le 18 juin 2011, le 28 mai 2011, le 21 mai 2011, le 16 avril 2011, le 19 mars 2011, le 26 février 2011, le 29 janvier 2011, le 8 janvier 2011, le 4 décembre 2010, le 6 novembre 2010, le 30 octobre 2010, le 18 septembre 2010, le 04 septembre 2010. » Soit très souvent avant l’attribution du prix et, une fois encore, quelques jours après. Peut-être n’a-t-elle pas voté pour couronner son hôte et Joseph Macé-Scaron n’est-il pour rien dans sa présence au sein du jury. Le même site relève que deux autres membres du jury ont bénéficié d’invitation : « Pierre Vavasseur, qui a été invité dans “Jeux d’épreuves” le 11 juin 2011 et Marc Lambron, dont le dernier livre fait l’objet d’une “critique” par Joseph Macé-Scaron dans Marianne du 2 juillet 2011. »
Il est des cas où le devoir de réserve imposé arbitrairement à certains fonctionnaires devrait s’imposer librement à certains littérateurs !
À suivre….
Henri Maler
N. B. : Cet article (qu’on se le dise…) n’est pas un texte littéraire ! Mais il comporte un emprunt soumis à la sagacité des internautes [7]