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Intermède ludique : Laurent Joffrin gazouille sur Twitter

par Franz Peultier,

Twitter est désormais un terrain d’investigation de choix pour nos grands éditorialistes, qui ne veulent manquer aucune occasion de faire connaître leur pensée. Un pays de Cocagne où ils peuvent donner libre cours à leur humour, régler leurs comptes entre eux, mais également se confronter au terrible jugement d’une armée d’internautes qui ne goûte pas leur omniprésence médiatique. Parmi eux, Laurent Joffrin…

Après avoir aidé les révolutions arabes et permis de suivre plus vite que la télévision les audiences de Dominique Strauss-Kahn, Twitter est à la mode. La presse consacre de plus en plus de dossiers à ce site de microblogging qui impose à ses utilisateurs de s’exprimer par des messages n’excédant pas 140 signes. Télérama et Le Parisien - Aujourd’hui en France ont fait leur couverture dessus. Dans son édition du 1er septembre, Le Nouvel Observateur lui a consacré quatre pages.

Un tel phénomène ne pouvait passer sous les radars des plus grandes plumes de France. Elles sont de plus en plus nombreuses à rejoindre ce réseau social jusque là peuplé de « petits » journalistes – entendre : ceux qui travaillent chaque jour avec les moyens qu’on leur donne. Leur liberté de ton a d’ailleurs commencé à inquiéter les chefferies, qui étudient les moyens de limiter leur prise de parole sur Twitter, comme le relevait Telerama.fr en juillet.

Parmi les plus célèbres de nos éditocrates, il y en a un à qui Twitter ne devait échapper sous aucun prétexte : Laurent Joffrin, qui dirige maintenant le Nouvel Observateur après avoir dirigé Libération, Le Nouvel Observateur et Libération.

Or, voyez-vous, Sa Hauteur a été blessée par… un tutoiement.



On ne saurait qualifier en des termes assez durs la violence de ce tutoiement, qui plus est adressé à une majesté éditoriale…

… laquelle, en ce qui la concerne, emploie toujours un vouvoiement d’une exquise courtoisie :



Les « flics d’Acrimed » ! Comment Son Importance en est-elle venue à nous honorer d’une insulte ? Pour répondre à cette question — dont nous reconnaissons volontiers qu’elle est anodine —, un retour en arrière s’impose.


De Laurent Joffrin à @Laurent_Joffrin…

Le 7 mars 2011, @Laurent_Joffrin fait une entrée fracassante sur Twitter en postant ce message :



Aucun doute : M. Joffrin est là pour faire cliquer sur ses éditos qui, comme chacun sait, constituent un phare pour la pensée française [1].

Durant quatre mois, le petit peuple de Twitter ignore gentiment les liens que @Laurent_Joffrin poste à son attention… Quatre longs mois au terme desquels, le 13 juillet, la politique joffrinienne sur Twitter marque un tournant. Désormais, @Laurent_Joffrin ne twittera plus seulement des liens vers ses articles, mais il résumera également son opinion dans les 140 signes accordés par la norme du site.

Le 15 juillet, enfonçant le clou de l’éditorial où il pourfendait, avec tout le talent qu’on lui connaît (et que nous lui avons reconnu ici même), la proposition d’Eva Joly de supprimer le défilé militaire du 14 juillet, il déclare :



La puissance de cette analyse qui, en quelques signes, manifeste une volonté de débattre sans laisser la moindre place au mépris, lui vaudra d’être retweetée (reprise par d’autres utilisateurs) vingt-deux fois. Commence alors, pour @Laurent_Joffrin, l’ère des interactions fécondes avec d’autres « twittos ». Très souvent interpellé, il ne répondra pas à tous. Toutefois, un membre d’Acrimed, après plusieurs tweets adressés à M. Joffrin mais restés sans réponse, parvient enfin à capter son attention.

Le 18 juillet, @Laurent_Joffrin livre en effet cette analyse économique :



Ce qui fait dire à ce membre d’Acrimed qui, s’exprimant alors à titre personnel, n’est autre que l’auteur du présent article :


Cette interpellation, certes tutoyante mais dont le ton humoristique — du moins je l’espère — ne devrait échapper à personne, fait référence à l’émission « Vive la crise ! », diffusée en 1984 sur le service public. Véritable leçon de soumission au libéralisme, elle a été conçue en partie par Laurent Joffrin, alors directeur de la rubrique économie de Libération [2].

La réaction de Laurent Joffrin ne tarde pas :



De nombreux « twittos » se sont aussitôt moqués de cette réponse pour le moins épidermique [3]. En effet, il est banal, sur Twitter, de se tutoyer. Cela fait partie des astuces qui permettent de faire rentrer ses tweets dans la limite des 140 signes autorisés. Parmi eux, certains y ont également vu une manifestation du mépris des « grands journalistes » qui s’appuient sur leur capital socio-culturel pour écraser leur interlocuteurs.

L’histoire devait en rester là. Mais Laurent Joffrin n’est pas homme à se laisser tutoyer et rudoyer sans réagir Et pour que cette riposte serve de leçon à tout les méchants, rien de tel que de la publier sur le site du Nouvel Observateur afin de compléter le dossier Twitter publié par l’hebdomadaire. On ne se moque pas de l’inexpérience de @Laurent_Joffrin sans avoir affaire au courroux de Joffrin Laurent : un courroux analytique accessible à tous, sous le titre...« Qui vous autorise @ me tutoyer ? » dont on ne retiendra ici qu’un aspect.

Notre grand moralisateur, en effet, n’a pas hésité, pour mener bataille, à réemployer la méthode qui avait fait l’échec de son livre Media-paranoïa, dont on peut lire ici même tout le bien qu’il est permis d’en penser : les meilleurs ennemis étant ceux que l’on s’invente soi-même pour répondre à leurs arguments imaginaires, Laurent Joffrin a pris l’habitude d’attaquer des moulins à vent. Et de la même façon que les « médias-parano » fustigés dans son ouvrage n’étaient jamais nommés ni cités explicitement, les « linottes » de Twitter ayant vexé Laurent Joffrin ne sont jamais citées ni nommées.

Le lecteur de M. Joffrin apprendra ainsi que la remarque tutoyante qui lui avait été adressée était « sur un ton de mise en demeure  ». Plus loin, car la précision s’impose, il prétendra avoir été « interpellé sur un ton péremptoire, désagréable, assorti d’un tutoiement. » Le lecteur du Nouvelobs.com sera pourtant privé de toute citation du tweet en question. Le contexte, en effet, n’est éclairant… que lorsqu’il s’agit des sentences de Laurent Joffrin qui, sans craindre la contradiction, manifeste un léger regret dès la phrase suivante : « C’est vrai, sortie de son contexte, ma réponse à l’intéressé […] a pu dérouter les experts du prêt à penser en 140 caractères ». En effet. C’est pourquoi Laurent Joffrin, plutôt que de citer l’outrage dont il a été victime, préfère recréer à sa convenance le contexte qui convient à une bonne compréhension de sa phrase…

L’expert du prêt à penser en d’innombrables caractères peut alors étendre le procédé à tous les interlocuteurs qui ont eu le malheur de lui déplaire : toute la suite du texte, leçon de morale à l’égard des twittos, est composée de citations floues, d’idées attribuées à « une phalange d’indignés aux accents de vieille fille effarouchée », à « certains esprits doctes » ou encore tout simplement aux « centaines de twits que j’ai reçus, en général consternants de médiocrité ».

Soyons clairs : contrairement à M. Joffrin, nous ne pensons pas qu’une polémique aussi ridicule mérite tant d’efforts. Nous nous sommes amusés du courage avec lequel @Laurent_Joffrin a fait face à l’adversité, en recourant à ses bonnes vieilles méthodes (dont il n’a pas, toutefois, l’exclusivité...), et nous voulions vous amuser un petit peu aussi. Nous voulions également ramener cette sorte de débat à son point de départ : l’interpellation d’un éditocrate sur l’un de ses nombreux faits d’armes ; un parmi tant d’autres, qui n’ont jamais suffi, pourtant, à le tricardiser, ni dans les médias dominants, ni même dans les grands médias se réclamant de la gauche.

Au reste, malgré le ridicule dont il s’est couvert avec cette insignifiante histoire de tutoiement, sa complainte sur le site du Nouvel Observateur lui a valu d’être invité une heure le soir même sur Europe 1, dans l’émission « Des clics et des claques »... Tutoyez un éditocrate un jour, et il disposera d’une heure à la radio pour partager sa peine un mois plus tard : cela fait partie des joies d’un système médiatique qui alimente lui-même les polémiques qu’il crée tout seul. On rêve du jour où un cheminot traité de « privilégié » par l’une des élites médiatiques de ce pays sera invité à se défendre pendant une heure à l’antenne d’une radio nationale…

Quant aux « flics d’Acrimed », ils n’en demandent pas tant !


Puisque « flics » nous sommes…

Suivons les conseils de M. Joffrin : rétablissons le contexte.

Comme ses camarades Demorand, Thréard et Colombani (voir la liste complète ici), Laurent Joffrin a animé, début juillet, les « Rencontres économiques d’Aix-en-Provence », petite sauterie libérale organisée par le Cercle des économistes. Interpellée par la participation de journalistes « de gauche » à cet événement, Acrimed a voulu savoir si, de surcroît, leur participation avait été rémunérée. Question parfaitement légitime quand on sait que les « ménages » sont, si on ose dire, monnaie courante.

C’est ainsi qu’@acrimed_info (qui diffuse les messages de l’association) a adressé ce tweet à trois d’entre eux :



Nicolas Demorand a daigné nous répondre. Et c’est sans doute parce qu’il ne disposait que de 140 signes qu’il n’a pas illustré sa remarque ironique par un exemple d’information non vérifiée… Il aurait dû… vérifier !


Félicité par Demorand, certes, mais condamné par @Laurent_Joffrin qui, blessé une fois encore, par une question banale, s’est empressé de confondre une question légitime avec un interrogatoire policier... On ne s’en lasse pas :



Franz Peultier

 
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Notes

[1Voir ses récents faits d’armes sur le défilé du 14 juillet et le terroriste norvégien Anders Behring Breivik ici.

[2Pour plus de détails, voir sur le site du Monde Diplomatique, « Il y a quinze ans, “Vive la crise !” » de Pierrre Rimbert et, sur le site de 20 minutes, « Quand Yves Montand et Laurent Joffrin criaient “Vive la crise !” » de Vincent Glad.

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