I. Quelques chiffres pour commencer
– OpinionWay, 5-6 octobre 2011 :
François Hollande 43 %, Martine Aubry 28 %, Arnaud Montebourg 11 %, Ségolène Royal 11 %, Manuel Valls 6 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
– Harris Interactive, 5-6 octobre 2011 :
François Hollande 40 %, Martine Aubry 29 %, Arnaud Montebourg 12 %, Ségolène Royal 6 %, Manuel Valls 5 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
– Ifop, 15/30 septembre 2011 :
François Hollande 42 %, Martine Aubry 27 %, Ségolène Royal 11 %, Arnaud Montebourg 8 %, Manuel Valls 5 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
– Harris Interactive, 28-29 septembre 2011 :
François Hollande 40 %, Martine Aubry 28 %, Arnaud Montebourg 12 %, Ségolène Royal 6 %, Manuel Valls 4 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
– OpinionWay, 23/26 septembre 2011 :
François Hollande 43 %, Martine Aubry 30 %, Ségolène Royal 11 %, Arnaud Montebourg 10 %, Manuel Valls 5 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
– CSA, 19-20 septembre 2011 :
François Hollande 34 %, Martine Aubry 27 %, Ségolène Royal 19 %, Arnaud Montebourg 6 %, Manuel Valls 4 %, Jean-Michel Baylet 1 %.
Soyons honnêtes : les instituts ont « trouvé » le duo de tête (même s’ils ont, en général, surestimé le score de François Hollande et sous-estimé celui de Martine Aubry), et parfois même le tiercé gagnant.
Mais parlons chiffres : l’écart entre les résultats des sondages et les résultats réels est, en ce qui concerne la « surprise » Arnaud Montebourg, considérable. Le score réel d’Arnaud Montebourg équivaut à environ 150 % de celui que les deux dernières enquêtes lui prédisaient. Le sondage Ifop publié début octobre le sous-estimait de moitié. L’enquête CSA des 19-20 septembre a surestimé le score de Ségolène Royal d’un peu moins de 200 %, et prédit à Arnaud Montebourg un tiers du score qu’il a finalement réalisé.
Les sondeurs ont été (étonnamment ?) silencieux dimanche soir. Mais certains ont osé venir sur les plateaux télé. Questionné sur le fait « [qu’]une fois de plus, les sondages se sont trompés », Édouard Lecerf, directeur général de TNS Sofres, a nié l’évidence sur I-Télé : « Non, les sondages ne se sont pas trompés », concédant néanmoins « [qu’]il fallait être prudent, ç’en est la preuve ». De la prudence, son institut aurait en effet dû en faire preuve. En témoigne sa dernière « enquête » (réalisée pour I-Télé auprès de « 1 859 téléspectateurs ayant regardé le deuxième débat des primaires », et publiée le 29 septembre) :
Pas besoin de commentaires… Nous pourrons nous contenter de cet aveu du même Édouard Lecerf, toujours sur I-Télé, dimanche soir : « En fait, on n’a pas la capacité à cerner ce qu’est ce corps électoral ». Mais dans ce cas, à quoi bon réaliser des sondages ?
À bien entendre les sondologues, d’ailleurs, les sondages ne se trompent jamais… car ils ne peuvent pas se tromper !
- Argument n° 1 : « Ce sont des photographies et non des prédictions. Et si la photographie est floue, ce n’est pas parce l’appareil photographique est mal réglé, mais… parce que l’opinion publique est dans le brouillard. »
- Argument n° 2 : « La succession des sondages dessine des tendances. Et si, à quelques jours d’une élection, leur résultat peut être proche du résultat final (sans le prévoir), ce n’est pas parce que les sondages mesurent leurs propres fluctuations mais épousent la fluctuation de l’opinion et des intentions de votes. »
Et comme aucun sondage ne peut prouver le contraire, les sondologues ont toujours raison puisqu’ils ne peuvent pas avoir tort. C’est ainsi que Jean-François Doridot, de l’institut Ipsos, a pu déclarer, dimanche soir sur France Info : « Oui, c’est une surprise, mais en même temps on pouvait la voir venir ». Brice Teinturier, « directeur général délégué d’Ipsos France » s’est même fendu, le 14 septembre, d’une surréaliste tribune intitulée « Ne tirez pas sur les sondages ! » [1], illustrée par… un sondage donnant 18 % d’intentions de vote à Ségolène Royal et 5 % à Arnaud Montebourg…
Gageons que les sondages sur les intentions de votes pour le second tour de la primaire permettront aux photographes de photographier approximativement le résultat final… et aux bavards de bavarder sur les sondages.
II) Au-delà des chiffres
Nous l’écrivions en… novembre 2006 : « La technologie des sondages ne va pas, contrairement à ce qu’affirment les sondeurs, dans le sens de “plus de démocratie” : avant de s’interroger sur le fait de savoir si tel(le) candidat(e) a de bonnes chances d’être élu(e), il serait peut-être bon de savoir pour faire quoi. Et on peut même se demander s’il ne faudrait pas oublier totalement les sondages préélectoraux et les petits calculs plus ou moins cyniques et manipulateurs qu’ils encouragent afin d’en revenir plus classiquement à une logique inverse de celle qui tend à s’imposer aujourd’hui, à savoir que chaque parti construise d’abord un vrai projet de société en réunissant, pour l’élaborer, militants, experts, spécialistes, et ensuite, mais seulement ensuite, voir qui peut, dans chaque parti, le défendre devant les citoyens avec quelques chances de succès. »
Les sondages d’intention de vote incitent (mais incitent seulement…) les partis, les courants politiques au sein de chaque parti et les électeurs de chaque parti à se déterminer moins en fonction des projets que des projections simulées par les sondages sur les intentions de vote… pour le second tour de l’élection présidentielle ; à voter pour celui ou celle qui, selon les sondages, aurait le plus de chance l’emporter ; à faire prévaloir le calcul d’une utilité arithmétique présumée sur le choix d’une conviction politique assumée.
Les sondages incitent… Dans quelle mesure cette incitation est-elle déterminante ? Il est difficile de le mesurer. Quelle est la part respective des calculs électoraux et des choix proprement politiques dans les options des électeurs et dans les résultats d’un scrutin ? Il est difficile de le dire. Et il n’existe aucun sondage pour prétendre le dire, sauf si l’on prend pour argent comptant, dans un sondage d’opinion, les déclarations des électeurs sur leurs motivations.
Mais si les sondologues se sont trompés sans se tromper (puisque selon eux ils ne se trompent presque jamais, bien qu’ils se trompent presque toujours), force est de constater que leurs approximations ont pesé sur le scrutin, ne serait-ce qu’en entourant la campagne de la primaire d’un épais brouillard. Et même si les sondeurs ont été plutôt discrets dimanche soir, nul doute que les journalistes politiques chargeront les sondologues eux-mêmes de le dissiper !
Julien Salingue et Henri Maler