La menace principale pour Le Figaro Magazine, ce ne sont pas les réductions des dépenses publiques mais les augmentations d’impôts. L’urgence, c’est de « se protéger contre le matraquage fiscal » et de « faire fructifier son épargne ». « Matraquage », vraiment ? Mais de qui ? « Épargne » ? Soit. Mais laquelle ?
Les journalistes du Figaro Magazine – car il semble bien que ce sont des journalistes qui ont contribué à ces « 60 pages spéciales »… – ne manqueront pas de nous l’apprendre. Ils ne se contentent pas de défendre une orientation politique, ils informent et… ils conseillent.
Quelques exemples (on s’en contentera : 60 pages, dont la moitié en publicité, c’est long…)
– Un problème général : La hausse possible, voire probable, de la fiscalité. Titre alarmant : « Vers un “big bang” fiscal après la présidentielle ». Introduction plus sereine : « Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, la droite comme la gauche ne cachent pas leur volonté de refondre en profondeur les impôts de notre pays durant le prochain quinquennat. » Suit une présentation figaresque des différents projets, impôts sur les revenus, taxes, fiscalité du patrimoine. Là, blesse le bât : « On imagine ce qui guette les détenteurs de patrimoine dans les prochaines années... », menace, lugubre, le journaliste en conclusion de son article.
Au passage, les adeptes de l’évasion fiscale auront appris une bonne nouvelle : le secret bancaire qui protège les comptes réfugiés en Suisse à l’abri du « matraquage fiscal » ne devrait pas être supprimé. En effet, les pouvoirs publics français pourraient se contenter d’un accord avec les banques du pays qui le préserverait en échange d’une taxation des montants officiellement déposés. Les fidèles lecteurs du Figaro peuvent (prudemment) se réjouir : « À terme, la porte n’est peut-être pas totalement refermée ». On l’a échappé belle !
– Les niches fiscales. « La pression fiscale devrait augmenter dans les années à venir pour redresser les finances publiques. Mais durant quelques mois encore, des échappatoires existent. À saisir rapidement », avertit Le Figaro Magazine sur le ton d’une annonce immobilière. Car, voyez-vous, prévient le titre de l’article : « Réduire ses impôts, c’est encore possible ». Et Le Figaro Magazine d’expliquer à ceux que cela concerne comment s’y prendre… sans omettre de se lancer dans un plaidoyer en faveur des niches fiscales : « les niches […] ont comme rôle fondamental d’inciter l’investissement privé à se substituer à l’investisseur public. Sans niches, point d’investissement dans une France qui en manque déjà cruellement. »
– L’impôt sur la fortune. Comment esquiver ce douloureux matraquage ? Ce n’est pas à nos lecteurs que nous posons la question. C’est aux lecteurs (une partie des lecteurs…) du Figaro Magazine qu’elle se pose. Et le magazine répond : « Les solutions pour réduire son ISF ». Si vous avez vraiment besoin de savoir ce qui distingue les ruses de riches (légales et conseillées) et les fraudes de pauvres (illégales et désastreuses), lisez Le Figaro Magazine…
– Les retraites. Comment cotiser à des assurances privées pour les retraites ? La question ne se pose pas pour tout le monde. Mais elle se pose apparemment pour de nombreux lecteurs du Figaro Magazine. Réponse : « Préparer sa retraite
tout en payant moins d’impôt ». Le problème est en effet le suivant : « Les cadres moyens, surtout, seront pénalisés avec la diminution des rendements des régimes complémentaires. Les particuliers sont conscients qu’ils vont devoir épargner pour préserver leur pouvoir d’achat futur. Ils peuvent le faire en réduisant leur impôt. Plusieurs produits d’épargne permettent en effet d’être gagnant sur le plan fiscal. » Et Le Figaro Magazine de détailler ces « produits »…
Résumons.
Le Figaro Magazine défend une orientation – réduire les dépenses publiques sans (trop ?) augmenter les impôts des plus fortunés –, et c’est son droit. C’est sa conception de l’intérêt général. Mais Le Figaro Magazine défend une orientation éditoriale, et surtout des intérêts très particuliers : ce n’est pas une surprise, mais il est rare que cela s’expose avec une telle clarté et un tel cynisme. En pleine crise financière et alors que les dettes publiques sont menaçantes, Le Figaro Magazine, hebdomadaire patriotique, n’a rien trouvé de mieux à faire que de conseiller ses lecteurs afin qu’ils contribuent à accroître cette dette – des lecteurs qui ont les moyens de s’acheter le joli lingot d’or signé Jean-Paul Gaultier de la page 154. Alors, vous avez des amis riches ? Passez l’info.
Qu’une revue comme Le Cri du contribuable conseille ses lecteurs en stratégie d’évitement fiscal, c’est sa raison d’être, même si on peut avoir peut-être – comment dire ? – des réserves sur sa vocation sociale. Mais Le Figaro Magazine se présente comme un hebdomadaire généraliste et agit comme une société de conseil en placements des plus fortunés.
Or est-ce le rôle d’un média qui bénéfice des aides publiques à la presse ? Et puisque, selon Le Figaro Magazine, il convient de réduire les dépenses publiques, suggérons qu’il donne l’exemple en se privant de cette aide.
Il le pourra d’autant mieux que l’on distingue à peine les articles des journalistes des annonces publicitaires et des publirédactionnels qui s’accordent comme par magie avec la bonne parole du Figaro Magazine. Vous voulez vous soustraire à la fiscalité ? Cela tombe bien : un publireportage d’Axa, opportunément inclus dans le dossier, vous conseille sur l’épargne retraite défiscalisée. Et quand Le Figaro Magazine vous conseille d’investir dans l’immobilier, le groupe Ogic vous propose justement en double page ses résidences luxueuses sur la Côte d’Azur. D’un côté on fustige les dépenses « excessives » de l’État, on appelle à couper dans les dépenses, et de l’autre on propose à pleine page des dispositifs défiscalisés, et ça fait plaisir aux annonceurs.
Peut-on, sans vergogne, préconiser une réduction de la dette publique et encourager, à grand renfort de publicités, des actions qui ne peuvent que l’accroître ? Pour Le Figaro Magazine, c’est possible ! Il paraît même qu’aucun code de déontologie ne désavoue ce journalisme-là. Mais est-ce encore du journalisme ?
Augustin Fontanier et Henri Maler