Edwy Plenel voudrait qu’on se souvienne de l’indéfectible soutien qu’il a apporté à Denis Robert, en dépit de son « désaccord professionnel » avec l’enquête de ce dernier. Telle est du moins la version qu’il a confiée, en toute discrétion, non aux lecteurs de Mediapart, mais à des étudiants en journalisme de Montpellier [2]. Malheureusement quand on récite,- probablement sans notes – son autobiographie publique, on s’expose à de fâcheux trous de mémoire.
Quelques piqûres de rappel s’imposent donc. En 2001, Edwy Plenel est directeur de la rédaction du Monde. Et le 26 février, le quotidien vespéral publie un article qui flingue l’enquête publiée dans le premier livre de Denis Robert sur l’affaire Clearstream (Révélation$) coécrit avec Ernest Backes : « Les auteurs ne semblent pas, à plusieurs reprises, avoir respecté les règles minimales de l’investigation journalistique », déplore la journaliste en charge du flingage. « Plutôt que d’aligner des faits vérifiés et indéniables, le livre procède principalement par allusion et juxtapositions » ajoute-t-elle. C’est le début d’une offensive qui se poursuivra dans Le Monde, avant et après le départ d’Edwy Plenel [3]
Ce dernier, après avoir quitté Le Monde, offre sa prose au quotidien belge Le Soir. Le 20 octobre 2006, il explique – c’est le titre - « Ce que cache l’affaire Clearstream ». Une révélation, donc ! Qui nous apprend que Denis Robert et son éditeur croient que « Clearstream serait la grande lessiveuse de l’argent sale et noir de la planète. Or, affirme notre péremptoire, « ils se trompent. Leur démonstration ne tient pas la route. Des vérifications élémentaires - je peux en témoigner - suffisent à l’infirmer. » On attend toujours cette prometteuse contre-enquête. Et l’investigateur d’ajouter, avec un sens aigu de la nuance, à propos du travail de Denis Robert que « cette enquête Canada Dry, qui avait l’allure d’une investigation mais en aucun cas sa consistance, appliquait à la finance mondiale une variante des théories du complot. » Philippe Val lui y avait vu une variante du « Protocole des sages de Sion » !
Usant de son droit de réponse dans les colonnes du Soir – « Ce que cache l’affaire Plenel » (3 novembre 2006) -, Denis Robert répliquera notamment ce que tout lecteur de bonne foi peu vérifier : « Sur ses accusations à mon encontre, que dire ? Je n’ai jamais prétendu apporter des révélations définitives. Au contraire, je cherche, je tâtonne, j’invente et parfois je trouve. Avec Clearstream, j’ai trouvé. Pas du tout « la plus grande lessiveuse d’argent sale du monde », comme l’écrit Plenel, mais un outil de dissimulation qui sert à des milliers de clients sur la planète. Je fournis des preuves, des centaines de comptes ouverts dans des paradis fiscaux (je donne leurs numéros, leurs dates d’ouverture), des microfiches. J’apporte des dizaines de témoignages que je filme et que j’enregistre. »
Bilan : Edwy Plenel n’a rien trouvé de plus urgent, que de témoigner publiquement contre l’enquête de Denis Robert, alors que les procès contre lui se multiplient.
Mais ce n’est pas tout. Peu de temps auparavant, le 13 juin 2006, invité par les juges d’Huy et Pons à donner son avis sur l’origine du faux listing sur lequel figure son nom, Edwy Plenel se lance dans une longue tirade qui suggère, sans l’affirmer, que Denis Robert pourrait ne pas être étranger à cette falsification : « Je ne sais pas qui a mis mon nom et je n’accuse personne. Je rappelle simplement ce contentieux avec Denis Robert, qui me semble lui aussi être passé du réel à la fiction. A chaque étape du scénario du corbeau, l’enquête initiale sur Clearstream est présente. Imad Lahoud rentre en contact avec Denis Robert, Denis Robert met en contact Florian Bourges avec Imad Lahoud et le juge Van Rumbeke tente de comprendre Clearstream en s’adressant à Denis Robert »…
De tout cela que reste-t-il dans la confession en vidéo réservée aux étudiants en journalisme de Montpellier ? Edwy Plenel se félicite de la victoire judiciaire de Denis Robert : « une formidable décision pour la liberté de l’information ». Au terme d’un combat qu’il a soutenu ? Il invoque des « désaccords professionnels ». Qu’il a toujours minorés ? Il admet, du bout des lèvres que « ce qu’a voulu établir Denis Robert existe peut être » et soutient pour le déplorer que, cela « n’a pas été établi parfaitement » L’impitoyable condamnation a fait place a une soudaine prudence. La contre-enquête d’Edwy Plenel et de ses amis ne fait donc que commencer… dix ans après !
Acrimed (les articles publiés dans Médiacritique(s) sont collectifs)