Et le moins que l’on puisse dire est que les deux principaux « arguments » laissent pantois.
Le premier : le film attaque des personnes, puisqu’il a recours à « la stigmatisation individuelle ». Quelle horreur ! Notons tout d’abord que c’est la loi de toute satire. Mais surtout, en l’occurrence, c’est faux : les individus en question ne sont pointés que comme incarnations des positions de pouvoir qu’ils occupent et des prédispositions aux abus de pouvoir du petit monde auquel ils appartiennent. Cette compassion pour les individus sous la plume d’un journaliste – du Monde de surcroît – est proprement hallucinante. Car, voyez-vous, jamais au grand jamais, les journalistes – du Monde notamment – ne prennent à partie des individus ! Si, si : on ne rêve pas. On peut être journaliste au Monde et ne jamais le lire ! Il est vrai que les personnes mises en cause par le film sont, elles aussi, des individus. Mais, voyez-vous, il y a pour certains journalistes – du Monde parfois – des individus qui le sont plus que d’autres : les patrons de presse, les gradés du journalisme, les experts tous plateaux. Pas touche ! Ou, gare au populisme !
Car, deuxième critique : le film n’accorde pas de droit de réponse aux « individus stigmatisés ». L’argument est tellement puissant qu’il est asséné à deux reprises, qualifié, entre autres, de « procédé contestable ». Et le journaliste du Monde de dénoncer « une structure peu favorable […] à l’expression du pluralisme des opinions et de la complexité du réel ». Passons sur les droits de réponse dont ne bénéficient jamais ceux qui ne soupçonnent pas qu’ils pourraient les réclamer ou ceux qui ne les obtiennent pas, car le territoire de l’immunité journalistique, sur ce point, est bien gardé. Passons sur l’invocation novatrice du pluralisme au cinéma ! Mais laissons-nous griser par cette hypothèse : un film d’1 heure 40 minutes devrait en consacrer la moitié à donner la parole à ceux qu’il met en question : ceux-là même qui ont des kilomètres de papier journal et des centaines d’heure d’antenne d’avance et qui, malgré le film, continueront à barbouiller les colonnes des « tribunes libres » – du Monde, entre autres – et à monopoliser les micros !
Si on osait, on risquerait l’outrance : le pluralisme, – selon tel journaliste du Monde – ce serait 5 minutes pour Hitler et 5 minutes pour les Juifs... Mais nous avons, nous aussi, nos accès de modération. Disons donc simplement qu’il ne suffit pas aux patrons des médias, aux éditorialistes-animateurs-présentateurs de monopoliser un droit d’expression qu’ils ne concèdent que chichement et pour le fun à ceux qui les contestent : il faut aussi que ceux qui contrôlent l’accès aux grands médias aient accès à tous les autres, film d’une heure 40 inclus !
Il faut dire que les chômeurs (ces assistés), les fonctionnaires (ces paresseux), les grévistes (ces preneurs d’otage), les jeunes des quartiers populaires (ces barbares), les femmes (qui peuvent être chômeuses ou fonctionnaires, voire grévistes ou banlieusardes et, dans tous les cas, maltraitées) – la liste est longue – ne sont pas des individus, ce sont des « troupes » [1]. Qu’ils et elles se taisent, et laissent parler ceux qui les méprisent. Et surtout, que celles et ceux qui osent remettre en question les mécanismes de diffusion de l’information n’oublient jamais, lorsqu’ils le font, de tendre le micro (ou d’ouvrir leurs colonnes) aux omniscients qui auront probablement un avis éclairé à offrir à un public habitué grâce à eux au « pluralisme des opinions ».
Tous les journalistes ne sont pas ivres de puissance. Tous ne caressent pas les chiens de garde dans le sens de leur pelage. Même au Monde, nous le savons. Et comme, même au Monde, il en est qui ont trouvé le film intéressant voire convaincant – nous le savons aussi –, à ceux-là nous adressons une prière : s’ils croisent dans les couloirs l’auteur de la critique qui est parue dans le « quotidien de référence », qu’ils lui sourient : il doit être très déprimé en ce moment, comme un caniche privé de Royal Canin.
Henri Maler (avec Julien Salingue)