Rien n’empêche, à l’occasion d’une campagne électorale, de faire réagir ce qu’on appelle la « société civile » lorsque les propos d’un candidat interpellent (positivement ou non) telle ou telle catégorie de la population. Encore faut-il savoir au nom de qui, et si besoin au nom de quels intérêts, s’expriment ceux qui réagissent.
Dans l’émission qu’il anime, Alain Passerel a donc généreusement donné la parole à Morgan Marietti, qui s’exprimait en qualité de dirigeant de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf), créée il y a à peine plus d’un an (en novembre 2010). De Marietti, les auditeurs de France Inter ne sauront que ce que veut bien leur en dire Passerel : « 25 ans environ » (sic), « titulaire d’un master de marketing et production de services et actuellement en apprentissage à la SNCF ».
Or il suffit de quelques clics pour découvrir ceci (sur une page mise en cache d’un blog qui se déclare en vacances).
Avec ce complément :
Que le jeune homme soit membre de l’UMP et mette ses talents en matière de communication au service des Jeunes Populaires ne regarde sans doute pas les auditeurs de France Inter. En tous cas, Passerel n’en a rien dit alors qu’il suffit, en deux clics de souris, d’interroger le plus connu des moteurs de recherche pour obtenir l’information.
Marietti, au micro de Sonia Bourhan, a donc réagi aux déclarations de Mélenchon, dont « les propos répétés sur l’apprentissage offusquent des intéressés », nous prévient Passerel en lançant son sujet. Des intéressés, oui, mais lesquels ? Et combien sont-ils, les intéressés représentés par Marietti ?
D’après le jeune homme, « l’Anaf touche 500 personnes ». On ne peut formellement dire qu’il s’agit d’adhérents puisque d’après Marietti, que nous avons interrogé par téléphone, l’association ne fait pas payer de cotisations. L’intéressé nous a également affirmé que son association était pluraliste et qu’il avait réagi sur France Inter parce que des apprentis et (souligné par nos soins) des professeurs s’étaient sentis insultés par Mélenchon.
Nous avons écouté les propos tenus par Mélenchon, rappelés par Passerel d’une façon qui semble fort peu distanciée.
Alain Passerel : « Le candidat du Front de gauche à la présidentielle, dit l’Association nationale des apprentis de France, contribue à amplifier la mauvaise image de l’apprentissage, laissant entendre que la plupart étaient forcés d’y entrer. Écoutez par exemple ce qu’il disait à ce sujet sur France Inter le 29 janvier dernier ».
Nous aussi, écoutons France Inter, mais du 6 février :
Voici donc ce que disait exactement Mélenchon en janvier : « Sous couleur de développement de l’apprentissage, on va pousser massivement les enfants du peuple hors de l’école pour les pousser dans des usines. Et le chef de l’État fait faussement mine de s’étonner que les entreprises ne prennent pas plus d’apprentis. Il lui reste à savoir qu’une usine n’est pas une école. »
Sans vouloir d’aucune façon participer à la polémique, il paraît difficile d’affirmer que Mélenchon, en reprochant au président de la République de vouloir lutter contre le chômage en développant l’apprentissage, insulte les apprentis. Mélenchon s’est exprimé à de nombreuses reprises sur la question de l’apprentissage, en réaction aux propos du président de la République sans que l’on trouve nulle trace d’insultes à l’égard des apprentis. [1]. C’est assez dire l’incongruité des propos du militant de l’UMP [2].
C’est pourquoi l’on peut se demander ce qui justifiait d’inviter, pour répondre à des insultes imaginaires, un représentant d’une toute jeune association d’apprentis qui n’est rien moins qu’un militant actif du parti soutenant le président de la République, auquel Mélenchon s’oppose.
Ce type d’omission ne peut que nous rappeler cette pratique journalistique courante qui consiste à ne préciser, à propos d’« experts » économiques, que leurs responsabilités académiques, en omettant leur présence récurrente dans les conseils d’administration de grandes entreprises [3].
Michel Ducrot