Pour le comprendre, il suffit de comparer les pages 63 à 65 de l’essai de nos duettistes, avec ce qu’écrivait, avant elles, Claire Levenson, journaliste à New York, dans un article qui, paru sur le site de Slate.fr le 1er juin 2011, a bénéficié d’une reproduction autorisée dans l’ouvrage collectif Un troussage de domestique, coordonné par Christine Delphy, publié aux Editions Syllepse en août 2011 et conseillé ici même).
Deux tests comparatifs suffisent.
(1) Pour évoquer une prétendue exception française qui, fondée sur la galanterie et la séduction, serait mise en péril par le féminisme, Françoise Laborde et Denise Bombardier se sont documentées. Mais où ? Voici ce qu’elles écrivent :
L’attitude française serait liée à une tradition intellectuelle qu’a soulignée récemment dans le New York Times l’historienne Joan Scott. Celle-ci indique que, pour les Français, l’« alternative à l’égalité entre les sexes est l’acceptation d’un jeu érotisé des différences ». Ainsi, la femme acquerrait du pouvoir en étant désirée par les hommes et pourrait de la sorte rééquilibrer le rapport de force. Le féminisme serait, de ce point de vue, « un apport étranger », en décalage avec les mœurs françaises. Et, surtout, il mettrait en danger la galanterie française.
Le modèle – celui d’une « galanterie française » – est à distinguer du combat égalitaire des féministes américaines, accusées de forcer les femmes à nier leur féminité. Pour ce courant, il s’agit d’opposer le « commerce heureux entre les sexes » à la judiciarisation excessive des rapports hommes-femmes aux États-Unis. Ce discours de l’exception française a d’ailleurs été construit en réaction à la politisation des questions sexuelles en Amérique à la fin des années 1980.
Évidemment, c’est un peu moins précis que ce qu’écrivait Levenson dans son article, mais c’est presque totalement identique. Levenson écrivait :
L’attitude française, elle, est en partie liée à une tradition intellectuelle qu’a examinée l’historienne de Princeton Joan Scott. Celle-ci soulignait récemment dans le New York Times que pour certains historiens et sociologues français, l’« alternative à l’égalité entre les sexes est l’acceptation d’un jeu des différences érotisé ». L’idée est que la femme acquiert du pouvoir en étant désirée par les hommes, et que grâce à cela elle parvient à rééquilibrer le rapport de forces. Scott ajoute que pour ces intellectuels (elle cite Claude Habib, Mona Ozouf et Philippe Raynaud), le féminisme est vu comme « un apport étranger », en décalage avec les mœurs françaises.
Le modèle défendu est celui d’une « galanterie française », à distinguer du combat égalitaire des féministes américaines, accusées de forcer les femmes à nier leur féminité. Pour ce courant, il s’agit d’opposer le « commerce heureux entre les sexes » (Mona Ozouf) à la judiciarisation excessive des rapports aux États-Unis. Ce discours de l’exception française a d’ailleurs été « construit en réaction contre la politisation des questions sexuelles aux États-Unis à partir de la fin des années 1980 », souligne le sociologue Éric Fassin.
Laborde et Bombardier ont-elles écrit, sans qu’elles le sachent, sous la dictée involontaire de Levenson ? On a peine à le croire. Et cette incrédulité est confirmée par la suite.
(2) Notre duo s’est documenté (mais où ?) avant d’écrire ceci :
Dans plusieurs interviews tirées du nouveau livre de la journaliste du New York Times Elaine Sciolinot [1], on entend des discours qui font écho à cette conception des rapports homme-femme « à la française ». Une chef d’entreprise interrogée explique ainsi que les femmes utilisent la séduction « comme une armée pour se défendre contre le machisme des hommes ». Beaucoup critiquent la vie de bureau dite à l’américaine, « le travail sans séduction : quel ennui ! »
Les Français ont donc tendance à glorifier le jeu de séduction, là où beaucoup d’Américains y voient un abus de pouvoir. De même, de nombreuses femmes interviewées dans ce livre n’ont pas été gênées par les remarques que les hommes se permettaient de faire en public sur leur physique. À Paris, dans les lieux publics, plus qu’à New York, les femmes sont sujettes à des sifflements et petites remarques, voire à des mains baladeuses.
Levenson, anticipant sans le vouloir l’œuvre de nos deux créatrices, livrait ainsi la version originale du même passage :
Dans plusieurs interviews tirées de La Séduction. How the French play the Game of Life [2], le nouveau livre d’Elaine Sciolino, journaliste au New York Times, on entend des discours qui font écho à cette conception des rapports homme/femme « à la française ». Une chef d’entreprise interrogée explique ainsi que les femmes utilisent la séduction « comme une arme pour se défendre contre le machisme des hommes ». Beaucoup critiquent la vie de bureau dite à l’américaine, « Le travail sans séduction, quel ennui ! » […]
De même, de nombreuses femmes interviewées dans le livre n’étaient pas gênées par les remarques que les hommes se permettent de faire en public sur leur physique. À Paris, plus qu’à New York, les femmes sont sujettes à des sifflements et petites remarques, voire à des mains baladeuses.
La reproduction de l’article de Levenson par Laborde et Bombardier est tellement scrupuleuse que l’on regrette presque qu’elles aient oublié de recopier cette « anecdote » : « Une des pépites du livre de Sciolino est une interview avec Valéry Giscard d’Estaing à l’issue de laquelle l’ancien Président touche brièvement les fesses de l’assistante de la journaliste. Deux fois. » Pourquoi avoir omis cette « pépite », puisque ce n’est pas Giscard d’Estaing qui a nommé Laborde au Conseil supérieur de l’audivisuel ? Pour ne pas alourdir le plagiat ?
« Plagiat » est l’équivalent, dans le langage courant, du terme juridique approprié : « contrefaçon ». C’est donc pour contrefaçon – ainsi que nous l’avons appris de sources proches du dossier – que la justice a été saisie par deux actions distinctes :
- Une assignation en contrefaçon délivrée par les éditions Syllepse à l’encontre des éditions Fayard.
- Une action en contrefaçon pour violation de son droit moral intentée par Claire Levenson, parallèlement aux éditions Syllepse.
La raison juridique a ses raisons qui peuvent ne pas être les nôtres. En ce qui nous concerne, la cause est entendue : le plagiat est avéré.
Henri Maler
– Pour mémoire. Le 21 octobre 2011 sur Canal +, Jean-Michel Aphatie, mentionnant un article du Point dans lequel il était question d’un « nègre » qui aurait écrit pour Françoise Laborde, s’était exclamé : « Françoise Laborde, qui est membre du CSA, elle devrait nous dire qu’elle a un nègre caché dans ses livres ! » Pour défendre, dit-elle, son honneur et celui du CSA, Françoise Laborde a porté plainte pour diffamation. Acrimed ne dispose pas d’informations précises et recoupées sur l’éventuel emploi d’un « nègre ». En revanche, il semble acquis que Françoise Laborde, si ce n’est son « nègre », sait lire : elle sait lire les articles qu’elle emploie sans les mentionner.