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Mépris pour les « petits » candidats dans « Le Grand Journal » de Canal +

par Sam Florent,

L’élection présidentielle est l’occasion de pointer du doigt le mépris réservé par les grands médias à ceux qu’ils appellent les « petits » candidats [1]. Le crédit qui leur est accordé par les journalistes est malheureusement corrélé à leur score dans les sondages d’intention de vote… Si la campagne pour l’élection de 2012 n’échappe pas à cette règle, c’est dans l’émission « Le Grand Journal » de Canal +, régulièrement épinglée par Acrimed, que les distorsions sont les plus significatives.

« Vous devez être le prototype du candidat inutile dans cette campagne. Totalement inutile. » C’est ainsi que Jean-Michel Aphatie donnait son avis sur le pluralisme lorsqu’il s’exprimait face à Jacques Cheminade, sur Canal +, le 31 janvier 2012 [2]. Pour enfoncer le clou – et montrer que Cheminade n’est pas un cas particulier –, le 10 février, « Le Grand Journal » a fait pour nous une synthèse de ses interviews de « petits » candidats.

Quand on sait que le temps de parole d’un invité au « Grand Journal » est compté – cinq à dix minutes –, les candidats doivent aller rapidement au cœur des sujets. Or, pour les animateurs du « Grand Journal », le sujet des 500 parrainages nécessaires pour se présenter est d’une extrême importance, et chaque candidat qui n’est pas adossé à un « grand » parti est contraint de perdre quelques minutes de temps de parole pour répondre à cette question. Question qui tourne parfois au harcèlement. Comme face à Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République).

- Michel Denisot : « En 2007 vous n’avez pas pu vous présenter parce que vous n’avez pas eu les 500 signatures, est-ce que cette fois-ci vous pensez que vous allez franchir les “qualifs”, comme on dit en sport ? »
- Nicolas Dupont-Aignan : « Je ne serais pas ici si je n’étais pas sûr de les avoir. »
- Michel Denisot : « Mais vous les avez ? »
- Nicolas Dupont-Aignan : « Je les aurai. »
(...)
- Michel Denisot : « Alors vous en êtes loin ou pas loin ? »
- Nicolas Dupont-Aignan : « Je les aurai. »

Peu présent sur les plateaux de télévision (et celui du « Grand Journal » en particulier), Dupont-Aignan – qu’il ait ou non ses 500 signatures – a peut-être des choses à dire qui sortent des discussions convenues. Il est de droite, pour le retour au franc, et critique à l’égard de la mondialisation. Une position originale qui pourrait susciter l’intérêt des journalistes ? Non, sur Canal +, on préfère gaspiller les minutes utiles pour des sujets futiles.

Pour Corinne Lepage (Cap 21) et Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), en revanche, la sentence est lapidaire. Dès la première question, Denisot plante le décor et anéantit toute possibilité de discussion de fond : « Vous avez trois points communs qui sont pas des points communs positifs, hein. Vous le savez : vous serez pas élues, vous ramez pour trouver les 500 signatures, et vous ne roulez pour personne d’autre a priori, est-ce que je me suis trompé ? »

C’est en effet un point récurrent du traitement médiatique des « petits » candidats : à la différence des « grands » candidats, il sont sommés de justifier leur candidature, comme les candidates respectives de LO et de Cap 21 face à Aphatie : « À quoi ça sert, puisque c’est un peu la question, de se présenter quand on n’a pas de chances d’être élu ? Comment est-ce que vous répondez à cette question ? » Encore des minutes de perdues pour répondre à cette question plutôt qu’à celles qui portent sur le fond… Et Dupont-Aignan, qui lui non plus ne gagnera pas, doit donc répondre à cette question de Denisot : « Et vous avez l’espoir d’obtenir un pourcentage de quel ordre ? »

Aphatie, encore, en plus de remettre en cause la légitimité des candidats, se permet également d’évaluer les campagnes électorales, comme ici, face à Julien Bayou, porte-parole de la candidate Eva Joly :

- Jean-Michel Aphatie : « On peut dire que la campagne d’Eva Joly ne marche pas, il ne faut pas avoir honte de le reconnaître. »
- Julien Bayou : « Ah non ça ne marche pas, on n’est pas à 15 % dans les sondages... »
- Jean-Michel Aphatie : « Ça marche pas... »
- Julien Bayou : « ... on est les seuls à porter des propositions, et on tardera pas à être rejoints par les autres. »
- Jean-Michel Aphatie : « Vous reconnaissez que ça ne marche pas ? »
- Julien Bayou : « Ça ne marche pas... ça va marcher, et pour l’instant ça... »
- Jean-Michel Aphatie : « C’est autre chose. »
- Ariane Massenet : « Quand ça ? »
- Julien Bayou : « Hein ? »
- Ariane Massenet (insistante) : « Quand ça ? »

L’éditorialiste se veut avant tout un grand pédagogue, aidant le porte-parole à reconnaître les errements de son parti.

***


Qu’importent les rares séquences consacrées au fond (car elles existent dans ce « best of » ) et au programme des candidats, le message principal reste : il existe des candidats légitimes et d’autres illégitimes. Les premiers sont consacrés par les sondages, leurs commanditaires et leurs gardiens, les seconds sont enterrés, par les mêmes juges, avec « la morgue et le mépris » qu’on leur connaît parfois.

Mais nous étions prévenus, car ce « best of » s’ouvrait par un avertissement de Denisot : « Le meilleur du “Grand Journal”. »

Sam Florent (avec Mathias Reymond)

 
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Notes

[1Voir nos articles, sur Philippe Poutou, Dominique Voynet, Frédéric Nihous ou Gérard Schivardi (liste non exhaustive).

[2Voir notre article sur cette émission.

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