Approximations et contrevérités à Bayonne
« Hué et chahuté, le président-candidat a trouvé refuge dans le Bar du Palais pendant [plus ?] d’une heure avant d’être évacué. », déclare, pour Lexpress.fr, Diane Saint-Réquier. « Nicolas Sarkozy, qui a dû se réfugier dans un bar, dénonce “la violence d’une minorité” », ressasse Libération, « avec AFP ». « Nicolas Sarkozy est retranché dans le Bar du Palais » surenchérit en direct Jérémy Brossard pour BFM.
Cette présentation est pour le moins abusive : l’étape du Bar du Palais était prévue dans la visite de Nicolas Sarkozy, et plusieurs habitants l’attendaient à cet endroit pour une discussion à bâtons rompus. La presse était au courant. Dès le matin, les télévisions (comme l’équipe de TF1) repéraient les abords du bar en question. On a d’autant plus de mal à croire que les journalistes n’étaient pas informés de cette étape qu’elle avait été annoncée par le QG de campagne, et que c’est dans ce bar que s’étaient donné rendez-vous les militants de l’UMP.
Contrairement à ce que laisse entendre l’affirmation, maintes fois répétées, selon laquelle Sarkozy aurait été « chahuté », à aucun moment Sarkozy n’a été malmené ni bousculé. Les manifestants présents le jour en question se sont contentés de le huer et de le siffler, sans aucun contact physique avec le président en campagne.
« Les CRS sont en train d’intervenir pour faire reculer des indépendantistes basques », rapportait, lors de son direct de 16 h 15, BFM [1]. Et, à l’instar de cette chaîne, la plupart des médias ont réduit la population venue montrer son mécontentement à un groupe de nationalistes basques. Or les habitants de Bayonne ont su la veille que Sarkozy se rendait dans leur ville. La manifestation était spontanée, non organisée, et aucun appel n’avait été lancé par des organisations syndicales, politiques ou autres. On peut même dire que les abertzale (nationalistes basques) étaient sous-représentés dans le cortège : pas un drapeau basque, pas un message sur la revendication, par les nationalistes et leurs sympathisants, d’un rapprochement des prisonniers politiques du Pays basque... Les images parlent d’elles-mêmes : un public de tous âges, en vêtements de ville tout à fait ordinaires... On distingue, en particulier, une cinquantaine de militants du Parti socialiste brandissant des programmes de François Hollande [2].
Une manifestation non-violente : aucune vitrine cassée, pas la moindre plainte au commissariat de Bayonne. Si les brigades de CRS ont mené des petites charges, leur attitude était pour le moins contenue, et la violence tant décriée s’est résumée à des mouvements de foule bon enfant. Jérôme Jadot, pour France Info, qui rapportait à juste titre « un affrontement oral », décrivait plutôt bien la nature diverse des manifestants présents [3]. Les autres journalistes ont été dupés par les tracts distribués par l’association Batera, assimilant tous les manifestants à la coalition en question, ou ont préféré (mais pourquoi ?) s’en tenir à cette version. Aucun n’a pris soin de de préciser que Batera n’est pas une organisation « avec du sang sur les mains », contrairement à ce qu’affirmait Sarkozy, mais regroupe des élus de droite et de gauche, et que 52 % des 159 maires du Pays basque de France sont favorables à une collectivité propre au Pays basque [4].
« J’ai regardé Nicolas Sarkozy dans les yeux et je lui ai dit : “Ton bilan est mauvais. Tu seras bientôt sur le banc des accusés de l’affaire Karachi” », raconte Adrien, 30 ans, éducateur. Pourtant on compte sur les doigts d’une main les médias qui ont demandé à des manifestants la nature de leurs revendications, alors que les commentaires de Sarkozy sont complaisamment rapportés [5]. Parfois même, comme dans les reportages de BFM, on ne laisse pas entendre le son des slogans des 2 000 personnes présentes.
Soudain, au troisième étage d’un immeuble qui fait face au Bar du Palais, trois militants du collectif de désobéissance civile Bizi ! déploient une longue banderole où l’on peut lire « Sarkozy, travailler sept jours sur sept jusqu’à 77 ans. Y’a bon, y’a bon la croissance ». L’émotion est grande, la foule crie « Bizi ! Président ». Ce spectaculaire pied de nez à la politique de l’UMP, sous les yeux Sarkozy, n’a presque pas été évoqué. Pas plus que l’intrusion des forces de l’ordre dans l’appartement pour faire retirer la banderole.
Plus grave encore : aucun des journalistes présents au Bar du Palais n’est revenu sur les propos particulièrement durs, voire faux, de Sarkozy à l’encontre « d’indépendantistes, dans des manifestations de violence pour terroriser de braves gens. […] » Aucun n’a interrogé Michèle Alliot-Marie, députée UMP de Saint-Jean-de-Luz, ni Max Brisson, élu UMP à Biarritz, qui savaient pertinemment que les manifestants scandant « Casse-toi, pauvre con » à l’extérieur du Bar du Palais ne pouvaient en rien être assimilés aux seuls nationalistes basques.
Enfin, peu de médias se sont réellement posé ces quelques questions dérangeantes : pourquoi Sarkozy a-t-il choisi un parcours au travers de rues étroites, dans une région où il sait la population relativement hostile ? Pourquoi, sachant que le député-maire de Bayonne, Jean Grenet, le lui avait déconseillé quelque jour auparavant ? Pour un président qui a pris tant de précaution à choisir les ouvriers dans les usines qu’il visitait, les journalistes et les « citoyens » qui l’interrogent sur les plateaux télé, comment expliquer tant de naïveté à Bayonne ?
Et comment expliquer que des journalistes nationaux n’ont pas vu la manifestation du matin ?
Silence et désinvolture à Itxasu
Le matin même de son séjour à Bayonne, Sarkozy, en effet, était attendu pour visiter la ferme dans la campagne basque, à Itxasu. La plupart des journalistes s’étaient retrouvés au très bon Restaurant du Chêne. Soudain, on fait savoir qu’un cortège de manifestants basques et de citoyens opposés à la ligne TGV Paris-Madrid tentait de franchir à pied l’un des nombreux barrages policiers mis en place le jour en question. Le secteur avait été bouclé dans la matinée par une trentaine de camions de CRS et de gendarmes. La presse nationale, bien assise, n’a pas cru bon d’aller voir ce qui se passait à l’extérieur du restaurant. Seuls quelques journalistes locaux ont quitté la table pour « couvrir » ce qui se passait et qui était pourtant très significatif.
En effet, un groupe de jeunes militants contournait alors à travers champs le bouclage policier. Le jeu du chat et la souris durera plusieurs heures, marqué par des affrontements avec les forces de l’ordre d’une violence notable. Le terme de violence est cette fois justifié. Ces images, sur lesquelles on peut apercevoir l’une des rares journalistes présentes, Anne-Marie Chancerel, de France Bleu Pays basque, ont été seulement filmées par la presse militante [6] : elles n’apparaîtront sur aucun écran des « grandes » télévisions. Or, contrairement à la manifestation de Bayonne, celle-ci regroupait sans aucun doute de jeunes militants indépendantistes. En effet, pour sa visite dans le Pays basque intérieur, Sarkozy était attendu sur la question du rapprochement des prisonniers politiques et de l’ETA. « Sur le principe, je suis favorable au rapprochement des détenus de leur famille. On doit faire le maximum pour satisfaire cette revendication », a-t-il répondu à la journaliste de France Bleu Pays basque.
Une fois de plus, le clivage a été manifeste entre, d’une part, les journalistes politiques qui suivent jour après jour la campagne de Sarkozy, et d’autre part les correspondants locaux et la presse quotidienne régionale. La réponse de Sarkozy en faveur du rapprochement des prisonniers de l’ETA était pourtant inédite. Elle signait un relâchement dans la position jusqu’ici très ferme du gouvernement français sur la question basque, mais elle n’a pas été rapportée dans les médias généralistes. Pourquoi ? Peut-être parce que « la presse politique n’est intéressée que par les petites phrases, cultive une vision sensationnaliste de la campagne et n’a aucune idée de ce qu’est le Pays basque », conclut une journaliste bayonnaise.
Oriana Melikian et Jean-Sébastien Mora