La première série de question était la suivante :
« Envisagez-vous de mettre un terme à l’appropriation des médias par des groupes dépendants de marchés publics ? Si tel est le cas, comment pensez-vous procéder ? Plus généralement, envisagez-vous de limiter les concentrations dans le secteur des médias ? Quelles sont les dispositions législatives que vous proposez ? Selon quels critères seraient fixés les seuils de concentration autorisés ? »
Voici les réponses, suivies d’une synthèse de notre cru.
I. Les réponses
– François Bayrou (Modem)
J’ai été le premier à dénoncer l’intimité, la consanguinité même, qui existe parfois entre l’État, certains groupes industriels et certains médias. Ces rapports sont encore plus ambigus et dangereux lorsque ces grands groupes, en relations contractuelles avec l’État, possèdent par ailleurs, journaux, magazines ou télévisions. Liaisons dangereuses d’où naît la suspicion, et qu’il faut à tout prix éviter. Sur cette question importante de l’indépendance des médias, mais également de l’indépendance des politiques par rapport à ces mêmes médias, nous devons exiger une transparence absolue. Voilà pourquoi je propose que la loi assure la mise en œuvre de quelques principes simples comme l’abrogation de la procédure de nomination des présidents de l’audiovisuel public par le chef de l’État, l’inscription du respect de l’information pluraliste des citoyens, l’interdiction de détenir un groupe de presse quand on fait des affaires avec l’État…
– François Hollande (Parti socialiste)
Les grands médias privés sont de plus en plus concentrés et souvent contrôlés par des groupes industriels, dont l’activité dépend pour partie de commandes de l’État, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Les concentrations horizontales et verticales des médias doivent donc être suffisamment régulées pour garantir un pluralisme réel, notamment de l’information.
1/ Le mélange des genres entre contrôle des médias et participation à des marchés publics (militaires ou civils) choque légitimement tous les esprits attachés au pluralisme et à la transparence.
Or, il trouve avant tout son origine dans l’absence de volonté politique qu’ont manifestée les pouvoirs publics en ce domaine. S’il avait été réellement indépendant du pouvoir et des groupes audiovisuels dominants, le CSA avait les moyens de s’opposer à l’accroissement des mouvements de concentration au profit d’entreprises pratiquant ce mélange des genres.
Je compte donc bien ne pas laisser perdurer un système malsain.
Dans la perspective d’acquisitions ou de lancement de chaînes et, notamment, dans celle des nouveaux appels à candidatures qui interviendront à l’expiration des licences actuelles, la loi complétera les critères que le CSA est en charge d’apprécier en vue de prendre ses décisions. Il lui sera ainsi explicitement demandé de privilégier dans sa sélection les services proposés par des opérateurs indépendants des groupes titulaires de marchés publics. Par ailleurs, la législation sera complétée afin de mieux garantir la transparence et, surtout, l’indépendance :
– Il n’est pas acceptable que le public d’un média, audiovisuel ou écrit, y trouve des informations concernant des marchés, des produits ou des personnes vis-à-vis desquels le propriétaire de ce média a des intérêts directs (commandes, relations d’affaires, produits, investissements, etc.) sans qu’il soit clairement averti de ce lien. Un dispositif d’information claire et systématique en ce sens devra donc être défini et exigé par la loi et son non-respect sanctionné.
– L’indépendance des Rédactions par rapport aux groupes propriétaires des médias devra être garantie grâce à de nouveaux droits conférés aux équipes rédactionnelles. Dans la presse écrite, les aides publiques directes seront réservées aux médias les respectant.
2/ J’entends en outre contrebalancer les avantages offerts aux grands groupes privés en introduisant, dans une future proposition de loi, un véritable encadrement de la concentration en matière de médias qui adoptera des mesures comparables à celles qui sont en place dans d’autres grandes démocraties. À cet effet, une nouvelle loi délimitera des plafonds d’audience pour les groupes médias en radio, télévision [1] et presse écrite, encadrera la participation des médias nationaux dans les médias locaux et modernisera le dispositif de contrôle plurimédias pour y intégrer la presse (y compris la presse gratuite) et Internet.
Ce projet de loi donnera lieu à une vaste concertation avec tous les
acteurs, qui partira notamment des propositions suivantes.
Pour la télévision :
– plafonnement en part d’audience des chaînes gratuites des groupes
– limitation du nombre de chaînes gratuites hertziennes contrôlées par un groupe
– surtaxation des cessions de parts de sociétés ayant obtenu des fréquences gratuites (taux majoré de l’impôt sur les plus-values de cession)
Pour la radio, il pourrait s’agir de compléter le dispositif actuel, qui fixe à 150 millions d’auditeurs le plafond maximum de cumul de différents réseaux d’un groupe, par un plafonnement en part d’audience inférieur à 20%.
Il faudra également moderniser le dispositif de contrôle plurimédias pour tenir compte des évolutions numériques des différents médias.
– Eva Joly (Europe Écologie-Les Verts)
Sans exagérer ou chercher à lancer une polémique, l’audiovisuel public actuellement semble aussi dépendant des « pouvoirs » économiques et politiques que du temps de l’ORTF. La loi sur la protection des sources est bafouée au plus haut niveau, des pressions politiques sont exercées sur les journalistes et les éditeurs de presse, les dirigeants de l’audiovisuel public continuent d’être nommés par le président de la République, etc. La télévision publique redevient une sorte de « télévision d’État » tandis que ses ressources sont bridées en même temps au profit du privé (redevance bloquée, suppression de la publicité, développement de partenariats privés parfois exigeants sur les contenus).
Les médias privés, qu’ils soient audiovisuels ou écrits, voient leur capital se concentrer entre les mains d’un nombre de plus en plus réduit d’actionnaires ou entrent sous la coupe de puissants groupes financiers ou industriels, qui ont obtenu que leurs cahiers des charges soient moins contraignants vis-à-vis de la production d’œuvres originales.
Le métier de journaliste quant à lui est de plus en plus difficile à exercer. Les pressions par l’éditeur ou des lobbies sont exercées sur les rédactions. Dans le même temps, le plus grand nombre se précarise et les conditions de travail se dégradent.
Il y a donc urgence à rétablir l’indépendance des médias et à permettre l’exercice du métier de journaliste en toute liberté. C’est pourquoi nous écologistes sommes favorables à une réforme du financement de l’audiovisuel public et de sa gouvernance. Il s’agit d’éviter autant que possible les grandes concentrations dans le secteur stratégique des médias à l’heure de l’information en continu et des nouvelles technologies. Par exemple toute société détenant au-delà d’un certain seuil du capital d’une entreprise de presse devrait pouvoir être exclue du droit de répondre à un marché public.
Donc une grande loi garantissant l’indépendance des médias, la liberté des journalistes et la protection du secret de leurs sources me semble nécessaire dès la première année de mandat, suite à des États généraux de la profession (syndicats de journalistes et éditeurs de presse, audiovisuel et internet) que nous souhaiterions tenir très vite pour formuler des propositions relatives aux évolutions du métier, au statut et à la rémunération des journalistes, en lien permanent avec les acteurs du secteur. Notre idée générale, c’est « Sortir l’audiovisuel des petits arrangements entre amis » en commençant par restaurer une vraie Démocratie dans l’audiovisuel !
– Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche)
Nous sommes convaincus que l’information, au même titre que l’éducation ou la culture, est outil indispensable à l’émancipation humaine. C’est aussi actuellement l’instrument principal d’imposition de l’idéologie dominante. C’est pourquoi il est essentiel que la révolution citoyenne que nous défendons ait lieu aussi dans les médias. Il faut soustraire les médias, audiovisuels et autres, à la domination des pouvoirs politiques et économiques. La méthode que nous proposons est celle de l’implication du grand nombre. Il faut développer la pensée autonome et critique de chaque citoyen sur les médias, assurer leur diversité, démocratiser ceux qui appartiennent au secteur public. Bien sûr cela implique une confrontation avec les oligopoles de l’industrie des médias et de la communication. C’est pourquoi nous relancerons en premier lieu les dispositifs anti-concentration dans la presse, la télévision et l’Internet, condition du pluralisme des idées et de la liberté de la création. Nous interdirons par la loi les situations de monopole, national ou régional, pour les groupes financiers, industriels et de services. Nous ne permettrons plus aux groupes tributaires de commandes de l’État de posséder des médias. Nous assurerons l’indépendance des rédactions, en donnant un statut légal aux entités rédactionnelles comme le réclament les syndicats de journalistes, et légiférer pour assurer une étanchéité entre les actionnaires et les rédactions.
Nous renforcerons les aides à la presse d’opinion, aux coopératives de presse, aux médias associatifs, notamment à l’aide du nouveau fonds stratégique de développement et nous modifierons le régime spécial de provisions pour investissement (article 39bis du Code général des impôts) qui n’intéresse que les titres bénéficiaires. C’est ainsi que nous soutiendrons activement la mutation des titres indépendants vers des médias multi-supports (papier, Web, tablettes, smartphones...).
Le ministère de l’Éducation nationale lancera un plan d’abonnement aux quotidiens nationaux et quotidiens régionaux pour chacune des 180 000 classes des lycées et collèges.
Pour finir, nous conserverons le statut actuel d’indépendance de l’AFP en affirmant son rôle d’agence mondiale d’information par un financement pérenne. Nous proposerons que l’AFP soit partie prenante du Pôle public des médias…
– Philippe Poutou (NPA)
L’appropriation privée des médias est pour nous la racine des deux problèmes principaux que posent les médias dominants : leur faible indépendance à l’égard des pouvoirs économique et politique, et le pluralisme (idéologique, politique, culturel) anémié qui les caractérise. Une critique radicale des grands médias ne peut donc se passer de propositions pour en finir avec l’emprise du capital et de l’État sur ces biens publics que constituent l’information et la culture. Outre la refondation du service public, le NPA propose des transformations radicales du secteur privé.
Si un secteur privé sera laissé à la libre initiative d’individus ou de groupes d’intérêts politiques, syndicaux, sociaux, culturel, sportifs, etc., ces derniers ne pourront détenir plus d’un titre. Nous proposons par ailleurs que les partis politiques qui parviennent à réunir un certain nombre (à déterminer) de signatures de citoyens puissent bénéficier des moyens de publier et diffuser un journal d’opinion quotidien. Cette disposition permettra l’exercice d’un véritable pluralisme idéologique et politique.
Par ailleurs, des dispositions anti-concentration drastiques seront appliquées : outre la définition d’un seuil de concentration capitalistique, ainsi que d’audience ou de diffusion, un seul titre ou canal pourra être possédé par une personne, un groupe de personnes ou une entreprise. Nous interdirons par la loi à des entreprises bénéficiant des commandes publiques, comme aujourd’hui Dassault, Lagardère ou Bouygues, de détenir, même indirectement, des médias.
Dans la presse écrite, outre les mesures évoquées plus haut permettant aux partis et syndicats de publier des journaux quotidiens, le fonds de soutien aux médias alternatifs dont nous proposons la création permettra de soutenir financièrement les initiatives coopératives et la presse alternative. De même, la création d’un service public de l’impression autorisera une modulation des coûts selon le statut des entreprises de presse (au prix fort pour les médias capitalistes, faible pour les médias du tiers-secteur). Enfin, la renationalisation de la Poste permettra une diffusion égalitaire et à faible coût sur tout le territoire, et les statuts des kiosquiers et porteurs de presse seront revus en leur faveur.
II. Résumé (modérément) critique
C’est d’une certaine façon la règle du jeu : les candidats préfèrent – pour une part variable, mais souvent généreuse – se livrer à des considérations ou déclarations d’intention générales, répondre à côté des questions posées ou développer des propositions qui ne les concernent pas, se servant de leurs réponses comme d’une tribune sur la totalité de leur projet. Néanmoins, que retenir de ces réponses ?
(1) « Envisagez-vous de mettre un terme à l’appropriation des médias par des groupes dépendants de marchés publics ? Si tel est le cas, comment pensez-vous procéder ? » Telles étaient les premières questions.
François Bayrou se prononce pour « l’interdiction de détenir un groupe de presse quand on fait des affaires avec l’État ».
Eva Joly ne se prononce pas directement, mais indique que « toute société détenant au-delà d’un certain seuil du capital d’une entreprise de presse devrait pouvoir être exclue du droit de répondre à un marché public ».
François Hollande propose non pas d’interdire toute appropriation par des groupes dépendants de marchés publics, mais de demander au CSA « de privilégier dans sa sélection les services proposés par des opérateurs indépendants des groupes titulaires de marchés publics ». Ce qui en l’état actuel des choses ne saurait concerner que les médias audiovisuels – et semble, pour ceux-là, permettre (sinon promettre), dans sa formulation même, tous les contournements souhaitables.
Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou veulent interdire par la loi une telle appropriation, mais ne précisent pas si et comment cette loi pourrait s’appliquer aux groupes déjà existants, que les autres candidats, semble-t-il, n’envisagent pas de remettre en cause.
(2) Plus généralement, envisagez-vous de limiter les concentrations dans le secteur des médias ? Quelles sont les dispositions législatives que vous proposez ? Selon quels critères seraient fixés les seuils de concentration autorisés ? » Telles étaient les questions suivantes.
François Bayrou ne se prononce pas.
Eva Joly se borne, sans plus de précision, à indiquer qu’il convient « d’éviter autant que possible les grandes concentrations dans le secteur stratégique des médias ».
François Hollande se propose d’adopter « un véritable encadrement de la concentration en matière de médias qui adoptera des mesures comparables à celles qui sont en place dans d’autres grandes démocraties », à la suite d’une « vaste concertation avec tous les acteurs » (dont l’identité n’est pas précisée) à partir de propositions relativement détaillées, dont on peut penser qu’elles sont très insuffisantes type de médias par type de médias, d’autant limitation à la propriété multi-médias n’est pas explicitement envisagée.
Jean-Luc Mélenchon se propose de relancer « les dispositifs anti-concentration dans la presse, la télévision et l’Internet », mais ne mentionne que l’interdiction des « situations de monopole, national ou régional, pour les groupes financiers, industriels et de services ».
Philippe Poutou, enfin, est donc celui qui va le plus loin, en proposant d’appliquer « des dispositions anti-concentration drastiques » qu’il présente ainsi : « outre la définition d’un seuil de concentration capitalistique, ainsi que d’audience ou de diffusion, un seul titre ou canal pourra être possédé par une personne, un groupe de personnes ou une entreprise. »
Voir la suite : « Des candidats à l’élection présidentielle répondent à Acrimed (2) : Sur l’avenir de TF1