Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.
Préambule de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, Syndicat national des journalistes, 1918 - 38 – 2011}
D’une élection présidentielle à l’autre, le SNJ constate, à l’heure du bilan, que l’exercice de la liberté de la presse s’est fortement dégradé dans notre pays. Disparition des kiosques de quotidiens nationaux emblématiques, concentration accrue dans tous les secteurs de la presse, déstabilisation de l’audiovisuel public, remise en cause de l’indépendance de l’Agence France Presse, menaces sur le statut des journalistes...
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le pluralisme de la presse a indéniablement reculé alors qu’il avait déclaré en 2007 vouloir le garantir.
Actuellement rien ne vient arrêter les logiques capitalistiques et financières qui se sont emparées du secteur des médias.
Et la qualité du travail des journalistes s’en trouve directement remise en cause alors qu’elle constitue la première des garanties pour un vrai pluralisme. Dans cette double campagne électorale, présidentielle et législative, le SNJ entend donc porter des revendications qui concernent les journalistes, les titres de presse, mais aussi les citoyens qui ont besoin de cette information libre et honnête pour mieux comprendre les évolutions du monde dans lequel nous vivons.
Pour une presse éthique et de qualité, et des journalistes mieux garantis dans leur travail
La confiance des citoyens envers les journalistes et leurs publications s’est grandement affaiblie au cours de ces dernières années. Il s’agit donc de mettre en œuvre des mesures permettant aux journalistes de garantir la qualité des informations publiées et de protéger réellement leurs sources d’information. Le SNJ demande donc trois mesures :
Annexion de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (1918-1938-2011) à la Convention collective de travail des journalistes professionnels (CCNTJ).
Protection des sources : amélioration de la loi du 4 janvier 2010 en prenant pour référence la loi belge. Pour empêcher toutes les violations, il conviendra de prévoir des sanctions pénales pour les fautifs et leurs complices.
Depuis plusieurs années, des journalistes se trouvent régulièrement menacés, intimidés et poursuivis par le pouvoir, exécutif comme judiciaire. Des pressions inadmissibles qui visent à limiter le cadre de leurs enquêtes et à obtenir qu’ils dévoilent ainsi aux forces de police et à la Justice les sources de leurs informations. Ces interpellations, gardes à vue et poursuites devant les tribunaux ont été maintes fois dénoncées par le SNJ. La loi du 4 janvier 2010, violée dès sa promulgation par le pouvoir exécutif, s’est avérée trop souvent insuffisante.
En prenant pour référence la loi belge, un modèle en la matière, il faut introduire, dans notre dispositif légal, la possibilité de juger les violations du secret des sources et prévoir des sanctions pénales pour les fautifs et leurs complices.
Par ailleurs, il faut encadrer l’utilisation des informations détenues par les opérateurs téléphoniques, que ce soit par les services de police ou de justice. Il est avéré qu’à plusieurs reprises ces opérateurs ont ignoré délibérément les mesures nécessaires à la protection des sources des journalistes. La loi doit donc nécessairement prévoir de les poursuivre pour complicité de violation du secret des sources, que cette complicité soit active ou passive.
Faciliter l’accès des journalistes aux documents et informations relevant de l’intérêt public en prévoyant, là également, des sanctions pour celles et ceux qui s’y opposeraient. Il faut également prévoir une réforme de la loi sur les secrets d’État et prendre garde à la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale sur le secret des affaires.
Face aux obstacles purement administratifs parfois opposés aux enquêtes journalistiques, le SNJ demande que soit reconnu un droit spécifique des journalistes à l’accès aux documents administratifs ou financiers des entreprises, des associations, des services de l’État ou des collectivités publiques. Les journalistes se heurtent très sou- vent à des freins puissants pour obtenir la communication de documents qui sont pourtant, de par la loi, censés être publics. En cette matière également il paraît nécessaire de prévoir des sanctions pour les élus, les agents des administrations, les responsables d’entreprise ou d’association qui limiteraient, freineraient ou s’opposeraient à la communication de tels documents.
Pour une presse indépendante
L’accélération des mouvements de capitaux dans les médias privés, la nomination directe des dirigeants de l’audiovisuel public par le chef de l’État fragilisent l’indépendance des journalistes et leur crédibilité. La valse des responsables de rédaction au gré des changements de propriétaires ou de PDG en est la manifestation la plus visible, mais ce n’est pas la seule.
Reconnaître l’existence juridique des équipes rédactionnelles qui seront consultées pour toutes les décisions touchant à l’identité et à la ligne éditoriale.
Il est nécessaire de donner à l’équipe rédactionnelle un statut juridique lui permettant d’assurer sa mission d’information en affirmant un droit moral collectif, tout particulièrement si son indépendance vient à être gravement mise en cause par le comportement de l’actionnaire.
En protégeant l’intégrité de l’équipe rédactionnelle et son identité éditoriale, c’est avant tout le public et son droit à une information complète, honnête et pluraliste que nous entendons garantir.
Des exemples de dispositifs similaires fonctionnant de façon satisfaisante existent ailleurs en Europe, notamment en Belgique et en Italie.
Quelle que soit la forme juridique de l’entreprise de média ainsi que la structure de son capital, l’équipe rédactionnelle sera obligatoirement consultée sur les événements mettant en jeu l’identité éditoriale ou l’indépendance rédactionnelle de la publication, sans préjudice des consultations des instances représentatives du personnel prévues par ailleurs par le Code du travail. Le cas échéant, l’équipe rédactionnelle peut s’auto-saisir de ces problèmes.
Rendre plus efficaces les dispositifs anticoncentration sur le plan économique, interdire les concentrations éditoriales, interdire également aux sociétés dépendant des commandes publiques de détenir des actions dans les entreprises de médias.
Il faut renforcer l’efficacité des instances anticoncentration en les obligeant à motiver leurs décisions et à établir chaque année un état des lieux précis des mouvements capitalistiques dans la presse. Chaque groupe de presse doit respecter l’obligation de publier et de communiquer à ses lecteurs, auditeurs et télés- pectateurs ses comptes annuels ainsi que la composition de son capital et le nom des principaux porteurs de parts.
Il faut aussi limiter les effets de ces concentrations économiques en interdisant les concentrations éditoriales. Par principe, une rédaction indépendante doit demeurer dans chacun des titres d’un groupe de presse. En cas de rachat d’un titre, il faut que tout changement de structure obtienne l’accord de l’équipe rédactionnelle concernée.
Il faut également interdire aux sociétés dépendant des commandes publiques de détenir des actions dans les entreprises de médias.
Enfin, dans les organes de décision des entreprises de presse, conseils d’administration ou/et de surveillance, il faut inclure des représentants des journalistes et des autres catégories de salariés.
Un service public de l’audiovisuel dégagé de la tutelle politique.
Soi-disant libérées de la pression publicitaire, les sociétés de l’audiovisuel public ont vécu ces dernières années une véritable régression démocratique. Pour éviter à l’avenir toute reprise en main politique et remise en cause de leur mode de financement, le SNJ demande :
– Une refonte complète du mode de nomination du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et une redéfinition de ses compétences.
Pour garantir une véritable indépendance de cette institution, il faut modifier le mode de nomination de ses membres pour l’instant désignés exclusivement par les représentants des pouvoirs politiques. Le SNJ propose de faire élire la moitié de ses membres par les salariés des entreprises publiques placées sous l’autorité du CSA. Pour garantir la réelle indépendance des membres du CSA, il faut éviter tous les soupçons de subordination et interdire clairement le « pantouflage », c’est-à-dire la possibilité pour ses membres de faire des allers-retours entre le CSA et les entreprises de l’audiovisuel public ou privé.
– Des modifications en profondeur de la loi du 5 mars 2009 avec un nouveau mode de désignation des PDG et un financement pérenne de l’audiovisuel public. Tout d’abord le changement du mode de désignation et de récusation des PDG. Ils seront désignés par des conseils d’administrations pluralistes et indépendants où siégeront, avec les mêmes attributions que les autres membres, des représentants de toutes les catégories professionnelles de l’entreprise.
Un financement pérenne et indépendant des budgets de l’État doit être assuré par une augmentation progressive de la redevance afin de la mettre au niveau de la moyenne des ressources de ce type dans les pays européens.
– L’abrogation des décrets « Tasca » qui prévoient des quotas obligatoires de productions privées dans les programmes des sociétés de télévisions publiques.
Cette obligation entraîne trop souvent le développement artificiel de sociétés de production dont l’activité est assurée sur le dos de l’audiovisuel public tout en profitant abusivement du statut des intermittents. Il faut garantir à l’audiovisuel public la possibilité d’assurer en interne le financement et la production d’une majorité de ses fictions et documentaires.
– La fin de l’absurde bricolage de l’AEF, l’audiovisuel extérieur de la France. Il faut rapidement apaiser tous les conflits provoqués par les directions successives et retrouver une organisation plus rationnelle en adossant France 24 à France Télévisions et RFI au groupe Radio France.
Pour le SNJ, il faut ici aussi rechercher les garanties de la qualité et du pluralisme de l’information tout en utilisant au mieux les ressources économiques existantes dans les sociétés de l’audiovisuel public. Un possible adossement de France 24 à France Télévisions et de RFI au groupe Radio France devrait permettre de reconstituer un pôle public cohérent et efficace dans l’utilisation de ses ressources.
Des mesures spécifiques à l’audiovisuel privé.
Des négociations nécessaires, surtout pour les sociétés de télévision, pour que des accords d’entreprise permettent aux journalistes qui y travaillent d’avoir les mêmes garanties d’indépendance et les mêmes principes professionnels de droits et de devoirs que dans le service public.
Garantie pour tous d’une bonne réception des signaux radio pour mettre fin à la cacophonie qui affecte trop souvent les auditeurs.
Assurer l’indépendance éditoriale et économique de l’AFP.
L’information délivrée par les services de l’AFP répond à une mission d’intérêt général. Il convient donc qu’elle soit garantie et pérennisée. En fonction des évolutions dans les différentes formes de presse, il est probable qu’il faudra revoir ses financements et la composition de son conseil d’administration. Cette révision devra faire l’objet d’une vraie concertation puis d’un large accord en interne comme à l’extérieur, sans attenter au bien le plus précieux de l’AFP : son indépen- dance à l’égard de « tout groupement idéologique, politique ou économique » (article 2 du statut).
Pour une presse respectueuse des droits des citoyens et des droits sociaux de ses salariés
Bénéficiaires de nombreuses aides publiques, les entreprises de presse ont, selon le SNJ, le devoir de se montrer exemplaires dans l’application et le respect des droits sociaux de ses salariés. C’est pourquoi le SNJ demande :
La remise à plat de toutes les aides à la presse afin qu’elles répondent à leurs objectifs : mettre les entreprises à l’abri des puissances de l’argent et garantir le pluralisme et, ce, dans le droit-fil de l’article 34 de la Constitution française.
Au moment où l’on parle de la crise des finances publiques, les citoyens ont droit à la transparence concernant le montant et l’attribution de ces aides. Ainsi le SNJ demande que des représentants des journalistes et des autres travailleurs de la presse siègent dans la commission d’attribution de ces aides.
Sans pour autant remettre en cause l’indépendance des médias vis-à-vis de l’État, et parce que la précarité pèse directement sur la qualité et le sérieux des contenus éditoriaux, il est légitime que ces aides soient la contrepartie d’un certain nombre d’exigences sociales. Par exemple, l’obligation pour les entreprises d’employer des journalistes professionnels en bannissant tout recours aux stagiaires surexploités, faux correspondants locaux/vrais journalistes, auto-entrepreneurs, sous-traitances diverses, etc.
En plus de cette exigence, les critères de versement proposés par le SNJ sont :
– l’adoption de la Charte de déontologie (cf. ci-dessus) ;
– l’existence d’une rédaction identifiée avec des attributions clairement définies ;
– le respect d’un dialogue social digne de ce nom avec obligation de résultats à l’égard de tous les personnels. Une grille d’évaluation précise et objective sera inscrite dans le bilan social annuel rendu obligatoire pour toutes les entreprises bénéficiaires des aides à la presse ;
– le respect des obligations légales et conventionnelles à l’égard des journalistes rémunérés à la pige ;
– des grilles de salaire ne comportant aucun minima en dessous du SMIC ;
– une évaluation du recours aux emplois précaires dans l’entreprise et des créations d’emplois « solides » avec un versement des aides inversement proportionnel au taux de précarité constaté.
Pour contribuer au retour de la confiance des citoyens, l’indépendance des médiateurs sera garantie et les moyens donnés pour la publication de leurs échanges et rapports.
Le respect des droits sociaux et syndicaux à tous les étages de négociation dans le secteur des médias, depuis les entre- prises jusqu’au niveau de la branche.
Dans les entreprises, le paritarisme tend à disparaître et, parallèlement, partout se renforce le pouvoir des actionnaires et celui des services marketing et publicité. Conséquence immédiate : les partenariats se multiplient, étouffant les activités journalistiques des rédactions. La crédibilité des journalistes et, partant, de leur titre de presse, est ainsi remise en cause.
Pour les journalistes, bénéficiaires d’un statut reconnu par la loi, le SNJ demande que celle-ci s’applique dans tous les territoires de la République. Dans les TOM particulièrement, les journalistes ne bénéficient pas des droits reconnus en métropole et dans les DOM. Pour le SNJ, l’élargissement du statut des journalistes à ces territoires est plus que jamais indispensable.
De la même façon, le SNJ demande que les journalistes travaillant dans les agences de presse bénéficient des mêmes droits que tous leurs autres confrères notamment quand il s’agit de faire jouer le bénéfice de la clause de conscience et de cession.
Pour garantir une juste représentation des journalistes dans la vie de leurs entreprises et compte tenu des spécificités de leur statut, le SNJ demande également que soit prévu par la loi l’existence de collèges électoraux « journalistes » pour les élections professionnelles dans chaque entreprise.
En complément de la reconnaissance des équipes rédactionnelles, le SNJ exige aussi que soit reconnu dans les entreprises de presse un renforcement des droits des élus. Nous souhaitons que ces élus aient la capacité de saisir en urgence, dans une procédure de droit d’alerte simplifiée, toutes les ins- tances et tous les interlocuteurs qu’ils jugeront nécessaires lorsqu’ils estimeront que l’avenir de l’entreprise est engagé par les décisions des actionnaires.
Créer de nouvelles formes juridiques pour les entreprises de presse.
Pour faciliter la création ou la reprise de titres de presse, le SNJ propose que soit mis à l’étude un statut spécifique de Scop de presse (Société coopérative et participative) qui pourrait intégrer les équipes rédactionnelles au capital de ces sociétés directement ou via des associations.
Ce type de nouvelles sociétés de presse pourrait s’inspirer d’autres formes de société alternatives comme la SCIC (société coopérative d’intérêt collectif ) qui rassemble dans le capital d’une entreprise des personnes physiques ou morales dedivers horizons tout en gardant les principes coopératifs.
On peut également imaginer créer des sociétés de financement de la presse sur le modèle des Sofica : les sociétés pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle sont des sociétés de capital-investissement spécialisées dans les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles et bénéficiant d’avantages fiscaux.
Créées en 1985 pour permettre l’investissement des particuliers dans l’audiovisuel et le cinéma, elles pourraient tout à fait être adaptées au secteur des médias. On pourrait ainsi imaginer des Sofirep (société pour le financement des reportages et enquêtes de presse). Cela permettrait aux lecteurs- auditeurs-téléspectateurs de participer au financement de projets journalistiques qu’ils souhaitent soutenir sans que le modèle coopératif soit obligatoire.
Enfin, il serait souhaitable de créer un statut spécifique de société ou de fondation de presse à but non lucratif pour faciliter le lancement de nouveaux titres. Plus besoin dès lors de réunir un capital important pour lancer un projet. Et ces sociétés seraient alors plus légitimes pour recevoir des aides publiques.
Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, vous remercie du temps et de l’attention que vous avez pris pour lire ses propositions. C’est toute une profession qui vous demande de l’aider à être, au quotidien, à la hauteur de sa mission : informer complètement et démocratiquement les citoyen(ne)s de notre pays.